C'était le 12 novembre. Drôle de coïncidence, on fêtait la Saint-Christian, le prénom de mon papa, comme un signe.
D'ailleurs, je crois que nous voulons voir des signes partout, quand un être aimé vous quitte, comme ça, là, une silhouette au loin, ici une ombre près de soi, un chuchotement, le sifflement d'un oiseau qui se transforme soudainement, dans notre esprit, qui prend corps et ressemble à s'y méprendre à un appel depuis l'au-delà.
Une façon de nous consoler, j'imagine, d'apaiser notre douleur, notre chagrin infini.
Papa est parti et, évidemment, je ne me résous pas à ce funeste destin.
J'entends, autour de moi, des mots doux, qui se veulent réconfortants. Oui, il est en paix, il ne souffre plus, il ne ressent plus ses tourments qui l'ont tant affecté.
"Un mal pour un bien", ai-je même entendu... Je le sais, consciemment, que l'existence n'a plus beaucoup de saveur quand la tête a vrillé, quand l'obscur s'est engouffré dans ces grottes mystérieuses et a englouti toute la lumière qui subsistait. Quand on n'est plus que l'ombre de soi-même et que l'on se met à détester ceux que l'on a tant chéris. A rejeter son quotidien si terne et à interroger la pertinence de respirer quand tout devient compliqué.
Quand il n'y a plus d'espoir.
Mais allez raisonner un cerveau qui pleure, une âme qui ne comprend pas, qui a perdu une partie d'elle-même...
Ce mercredi 12 novembre, nous lui avons donc dit un dernier au revoir. Nous avons mis en route l'enceinte, pour offrir la bande-son que mon papa aurait adorée, lui le mélomane aux goûts pointus. Nous nous sommes serré les uns contre les autres, droits comme des i ou plus prostrés. Délicatement, la personne des pompes funèbres a ouvert le couvercle de l'urne, s'est approchée de la terre, en contrebas d'un bel arbre que nous avions choisi, et a laissé se déposer - et s'envoler, pour certaines - ces cendres si blanches, comme des grains de ce sable que mon père aimait tant fouler.
Poussière d'étoile, voilà ce qui m'est venu en tête, réalisant ce paradoxe fou, propre à chacun: nous ne sommes que poussière sur cette terre et pourtant, notre nature si insignifiante côtoie la grandeur de l'être que nous sommes, marquant nos proches, laissant une empreinte indélébile dans leur cœur.
Nous ne sommes rien et tout à la fois.
Quiconque a perdu un être cher comprendra la dissonance des émotions, l'ampleur du gouffre dans lequel on se retrouve plongé, sans volonté farouche de le remonter tant il y a une forme de réconfort à se complaire dans le chagrin. Trop tôt pour sortir de cette douce mélancolie qui m'habite si souvent.
Face à cette disparition, ma sœur, ma nièce et son ami, mon fils et moi-même avons fait corps autour de ma mère, chez elle, là où tout évoque mon père. En fin de semaine, chacun s'est dispersé, car la vie continue et que chacun retourne à la sienne, le cœur cabossé, évidemment, mais avec l'envie de ne pas s'écrouler.
Il y aura des hauts et des bas. On célèbrera encore et encore sa mémoire, jusqu'à en rire, parfois, pour ne retenir que les facéties. Ce matin encore, les larmes ont dévalé en cascade sur mes joues, comme chaque jour depuis son départ, dans un mouvement si fort, qui me laisse dans une forme de néant. Je sais qu'on lui doit ça, de continuer à vivre, lui qui était si actif, si sportif, si aimant. On doit jongler avec cette tristesse, qui subsistera à chaque fois que je penserai à lui, et la réalité de notre vie sur terre. Accepter de parler à l'imparfait, avancer vers ce présent et cet avenir sans lui.
J'écoute "Let It be" et la voix de Paul Mc Cartney m'emporte dans cet élan mêlé de tristesse et de résignation.
Cela s'appelle le deuil et dieu que c'est dur.


