mardi 7 février 2023

Chemin miné


Elle arrive souvent sans crier gare. Comme ce soir à la faveur du soleil couchant. Je l'aime bien, à vrai dire, mais j'en suis consciente, elle est un peu toxique pour moi. J'aurais à la fois envie de la chasser et de la prendre dans mes bras. Au lieu de ça, je la laisse m'envelopper et je me résigne. Pas la force de la combattre.

Et ce n'est pas grave.

Elle arrive, oui, et envahit mon coeur, mon âme, mes terminaisons nerveuses. Elle me fait vivre des montagnes russes. Elle me donne l'air triste et m'ôte soudainement mon quinzième degré pour me transformer en drama queen. Etonnamment, mes yeux restent secs, sans doute parce qu'il n'est pas question là d'un chagrin, juste d'une pointe qui pique l'âme.

Souvent, elle surgit au son d'une mélodie trop souvent entendue, rappelant une rupture douloureuse, une époque pourtant un peu lointaine, maintenant. Mais, comme une plaie qui aurait du mal à cicatriser, elle fait s'écorcher mon esprit. Lui, aussitôt, pris au piège, trébuche, cherche une issue... et laisse passer la vague, parce qu'il en va ainsi.

Au début, il y a les écouteurs que l'on prend innocemment, sans penser qu'ils vont évidemment nous mener vers cette voie. Il y a ce chemin pris, ces jeux sur lesquels on s'était amusé, avec mon Loulou, un soir de retrouvailles. Soudain apparaissent les bribes d'une vie passée, ce rôle de maman, toujours existant, bien sûr, mais si différent maintenant que le petit garçon est devenu un beau jeune homme autonome.

Ce chemin de terre, c'était celui que j'empruntais, à vélo, quand je partais travailler, alors en apprentissage vers ma nouvelle vie en cuisine, passionnée et fébrile. En route vers ma vie d'adulte, imaginais-je.

Et puis, ce chemin, si près de chez moi, c'est aussi celui que j'empruntais quand je courais, seule ou à deux, quand ma vie était autre, quand je partageais ma vie avec un homme, quand j'étais amoureuse, quand je n'avais pas que ma seule petite personne à penser. Quand je me souciais sans doute trop des autres pour mieux chasser le vague à l'âme intérieur qui ne manquait pas de sonner régulièrement à ma porte.

Ce chemin, c'est sa voie royale, à cette saleté de mélancolie.

Jamais, en choisissant d'y passer, je n'avais imaginé y succomber aussi soudainement, ce soir.

Pourquoi ce ciel couchant si inspirant un soir devient le prélude à des pensées plus sombres, réveille des doutes pourtant enfouis par la candeur nouvelle ressentie, grâce à cette vie soudain dénuée de stress? 

Pourquoi on est tenté de remuer ces souvenirs forcément idéalisés? Pourquoi on a envie de remonter le temps pour éradiquer ces réactions, ces incompréhensions, ces éclats de voix qui ont fait exploser en vol des amours ?

Pourtant, c'est comme ça, on ne peut pas revenir en arrière, je n'ai pas envie de nourrir de regret. Je me suis sentie parfois libérée par certaines décisions, parfois accablée. Je ne renie rien de ma vie, c'est comme ça, c'est parfois sec, c'est parfois dur, le coeur a été morcelé et jamais tout à fait recollé, mais doucement, les battements reprennent et c'est comme ça qu'on avance. 

Alors, sincèrement, je préfère avancer en retrouvant mon quinzième degré et mon envie de goûter le nectar de cette vie qui nous est donnée, mais allez, toi qui te présente à moi ce soir, va, je ne t'en veux pas.

T'es quand même un drôle de numéro, madame la mélancolie.

PS: Pour les flippés prêts à me conseiller d'appeler Thérèse, rassurez-vous, la mélancolie est ma deuxième nature. Traduisez: je vais bien, ne t'en fais pas :)