jeudi 22 septembre 2011

Le coup du pipeau

Sans doute touchée par une légère crise de démence, la semaine passée, j'ai sollicité Pôle Emploi pour un accompagnement. Pas que je me sentais perdue dans la nature, mais enfin, un peu quand même.

Ce matin, je me suis vraiment interrogé sur ma santé mentale en regardant mon agenda. Pourquoi donc vouloir jouer du pipeau, dans ces réunions où l'on vous assène que si, vous pouvez retrouver le chemin de l'emploi, il suffit de le vouloir, toussa, faites-moi un beau CV et surtout, pensez bien à signer en bleu la feuille d'émargement, sinon Pôle Emploi va vous botter les fesses?

Ma part de masochisme étant ce qu'elle est, j'ai décidé d'en prendre mon parti. Et puis après tout, je n'étais pas mécontente de croiser de nouvelles têtes, fussent-elles désespérées ou désespérantes. En plus, je venais de finir une mission, mon linge était rincé et ma vaisselle repassée (oui, oh, ça va, hein), alors, pensez donc, j'y suis allée pleine de motivation.

Visiblement, j'en avais au moins autant que les trois autres personnes convoquées à la dite-réunion. La première, 45 ans environ, forte en gueule, était visiblement là parce que Pôle Emploi le lui avait imposé. Elle a évoqué les sanctions éventuelles si jamais, à tout hasard, elle avait la drôle d'idée de faire le mur un de ces quatre. Motivée, je vous dis.

Le deuxième, au physique de déménageur, énorme tatouage sur le bras, la petite chaîne qui va bien au cou et sa petite soeur autour de son lourd poignet, a vite fait comprendre qu'il n'était pas là pour beurrer les tartines, lui. Oubliant qu'il s'agissait d'une réunion collective, il a raconté sa vie en trois minutes top-chrono: père célibataire de deux enfants, cariste depuis toujours, cariste il resterait. Pas question d'envisager un autre métier, si proche soit-il, qu'il a juré, sous le regard interloqué de la pauvre formatrice.

Laquelle a frôlé la syncope lorsque ma voisine lui a annoncé, dans son charmant - mais néanmoins difficilement compréhensible - accent sud-américain qu'elle ne pourrait venir à ses rendez-vous que le lundi et le jeudi. A cause de son enfant, vous comprenez.

"Mais, alors, comment faites-vous pour vos démarches? s'est étonnée la formatrice.

"Eh bien, je les fais le lundi et le jeudi. Les autres jours, j'ai la gosse avec moi."

Ah. Pas facile, effectivement.

Entre la grande gueule de la première, visiblement prête à mordre, le garçon-boucher (pardon, cariste) qui ne veut pas bouger d'un iota et la maman à presque plein-temps, je me suis demandé ce que je faisais là. Et puis, je me suis souvenue. Oui, j'ai eu en mémoire ces mois passés, à courir après le travail, sans jamais parvenir à trouver le job rassurant et stabilisant auquel j'aspire maintenant.

Je me suis dit que, moi aussi, j'avais besoin d'être réinsérée. Mais je me suis demandé, quand même, si, comme eux, je traînais de telles casseroles pour que ma situation soit à ce point en dissonance avec la réalité, avec le monde du travail. Si j'étais, moi aussi, un boulet.

Ça m'apprendra à vouloir jouer du pipeau, tiens.

jeudi 15 septembre 2011

Jusqu'ici, tout va bien (l'histoire du mur qui arrive)

Mes journées se suivent et ne se ressemblent absolument pas, en ce moment. Oh, je sais, ce n'est pas un scoop mais le désordre prend une ampleur que je tente d'atténuer sous des couches de discipline et d'organisation. Et après, on s'étonne que je sois au bord du malaise.

Et après, donc, j'ai des moments de solitude. Et c'est comme ça qu'une (charmante) mamie de 83 ans me tape sur l'épaule en me souhaitant de bien me remettre, après un malaise vagal à la pharmacie. Où ça, le monde à l'envers?;)

Bref, mes journées-chaos sont pleines de surprises. Prenez avant-hier, par exemple. Mardi, donc, était écrit sur mon agenda : fin mission CGHS (j'aime bien les abréviations, les noms de code, tout ça, ça donne un petit côté Mata Hari à mon quotidien. Oui, oui, je sais, il y a des trucs que je devrais éviter d'écrire, si je veux garder la moindre once de crédibilité, mais je ne résiste pas). Ce qui, concrètement, signifiait que j'allais passer ma journée sur mon canapé à... retranscrire du politicard. Sans pause, sans yogging, toussa.

Sauf que j'avais fini la veille au soir, en fait. Et quand j'ai fini une mission, généralement, avant de repartir sur mes lettres de motivation, je trie mes papiers et... je vais chez Pôle Emploi, qui venait de m'envoyer une missive au contenu un rien nébuleux pour mon esprit visiblement attaqué.

La dame a, peu ou prou, éclairé ma lanterne, m'a expliqué que je ne pourrai JAMAIS revenir sur ma décision de choisir les droits pour lesquels j'avais optés et que j'étais donc sous le coup d'une suspension éternelle de toute alloc si jamais j'avais le malheur d'avoir un conjoint. Ouh la la, mon sang n'a fait qu'un tour. Et puis, je me suis souvenue que j'habitais toute seule avec mon fils, donc ça allait. Ouf.

Tant qu'à faire le pied de grue devant l'accueil, j'ai demandé à être reçue par un conseiller, dans l'optique hautement optimiste, j'en conviens, d'obtenir une formation afin de mieux maîtriser le oueb (pas que je sois inadaptée aux offres d'emploi actuelles, dans le journalisme, mais y'a de ça). Allez, hop, c'était parti pour une bonne heure d'attente, assez enrichissante.

Parce que, que fait une mouette lorsqu'elle a une heure de battement, une fois le Ouest-France lu et replié? Une fois les annonces placardées au mur balayées de son regard un rien désespéré ("Devenez saisonnier, faites les pommes!" Ou bien "Partez dans le trou du cul du monde pour devenir hôtesse au rayon charcuterie d'un hypermarché, CDD de trois semaines ; 78% du SMIC et possibilité de logement." J'aime beaucoup)

Eh bien, la mouette ouvre ses oreilles et boit du petit lait (enfin, un peu jaune quand même).

C'est comme un échantillon de la France (bon, celle d'en bas, j'imagine) qui se présente à l'accueil, devant ces deux employées, une très pro et un rien cassante (celle que j'ai eue), que nous appelerons n°1, l'autre un peu hésitante mais avenante, n°2 (je suis d'une logique, moi, je me bluffe toute seule).

Il y a ce jeune homme, le front bas (je n'ai pas dit bas du front, attention. Ne pas juger sur l'apparence. Même si l'évidence m'y incite. C'est mal, je suis mauvaise), qui vient s'inscrire, T-shirt moulé sur son torse large, short baggy du plus bel effet. En fait, on dirait un homme à l'extérieur, mais un gamin inside, comme le traduisent son allure gauche et son élocution. "A manchild", comme ils disent, les Ricains. Son père, visage buriné et bonnet de laine sur le crâne chauve (je suppose, tout du moins) vient à sa rescousse, ou essaie, tout du moins. N°2 l'envoie voir un conseiller. Enfin, les envoie, puisque le manchild ne quitte pas son pôpa d'une semelle.

Il y a cette dame âgée qui rentre dans l'agence, regarde tout autour d'elle comme si elle découvrait un territoire inconnu, s'avance de façon hésitante, finit par croiser le regard de n°2. "Voilà, c'est pour mon fils, il n'a pas touché son salaire de juillet", explique-t-elle. "Vous avez son n° d'allocataire?", lui demande n°2. La dame sort un pauvre bout de papier, scrute, et répond par la négative. "Parce que, normalement, on ne communique les informations qu'aux personnes concernées" précise n°2 (signifiant donc que, n° d'allocataire ou pas, de toute façon, la petite dame, elle devrait repartir bredouille.) Mais la dame sort une carte de son jeu: "je vais vous dire, Madame, mon fils a trouvé du travail et il est en Thaïlande actuellement."

Me voilà transportée à Phuket, je suis sur un transat, face à la plage, mon homme me masse les omoplates et je réalise combien... Aaaah, si je dormais la nuit, aussi!

Donc, n°2, visiblement à mes côtés à Phuket si j'en crois son air rêveur à l'instant, demande la date de naissance du veinard en question. Et là, scène surréaliste, la dame se prend la tête avec sa main toute ridée, ferme les yeux (je le vois à travers les rides), réfléchit longuement sous l'air interloqué de n°2... avant de retrouver la dite-date.

"Vous avez beaucoup d'enfants?" s'étonne n°2. "Non, non" répond la dame, "c'est ma mémoire qui flanche."

Ma patience pourrait flancher aussi mais voilà un homme qui arrive au guichet n°1. Un homme noir, dois-je préciser. Si, si, c'est important. N°1 le laisse parler et lui répond avec un rien de dédain, comme ça. Mais le monsieur, qui ne se laisse pas faire, demande des précisions. N°1 lui fait comprendre de circuler, c'est pas tout ça, elle a du boulot, elle. Suit une jeune femme toute pimpante, jolie robe bleue et talons hauts, et, croyez-le ou non, n°1 sort son sourire commercial et se penche davantage sur son guichet, visiblement plus attentive. Elle prend clairement son temps, converse, fait son job, oui.

Leçon du jour: pour être bien reçu chez Pôle Emploi, de ton plus bel habit tu te pareras.

Et si tu es noir, ben c'est tant pis pour toi.

Pendant ce temps, n°2 poursuit son abattage et reçoit un monsieur qui vient se renseigner sur le statut d'auto-entrepreneur. "Faites, monsieur, faites", lui indique-t-elle en lui donnant une liasse de documents. J'avais déjà noté, lors de mes dernières visites, cet empressement à diriger les gens, ces pauvres âmes perdues, vers cette solution qui reste, à mes yeux, bâtarde. Au moins, ils sortent des chiffres, ils font leur truc dans leur coin, ils n'enquiquinent personne, EUX.

Pas comme ce vieux monsieur aux dents tellement avancées (enfin, celles qui lui restent) qu'on ne distingue plus vraiment ses lèvres. Il râle, parce que, vous comprenez, il a été convoqué à un entretien, à l'autre bout de la ville, tout s'est bien passé, et puis, paf, ils ont choisi un autre candidat. Et il râle, il râle... "Vous exagérez, Monsieur", lui répond une conseillère chargée de montrer comment appuyer sur les touches du clavier et expliquer le fonctionnement du site de Pole Emploi. L'édenté, lui, il n'arrive pas à comprendre. Perso, c'est son français que j'ai du mal à décrypter. Maître Capello s'en retournerait dans sa tombe. Ecoutez-le deux secondes et vous saisirez à quel point il est parfois dur de s'insérer dans le marché du travail...

Et puis, est venu mon tour, je suis rentrée dans le bureau d'une conseillère très gentille. Vraiment. Elle m'a écoutée, j'ai senti les larmes me monter aux yeux comme à chaque fois que je mets le doigt sur ma précarité, m'a conseillée de "croire en moi", ce qui a eu l'effet immédiat de me faire sortir les mouchoirs... et a refusé toute formation dans le journalisme ou la com, "secteurs complètement bouchés." Il faut élargir mes recherches, et sans doute mon plan de carrière, a-t-elle tranché "Nan, parce que vous êtes jeune. Pourquoi ne pas faire une formation diplômante?"

En ces temps de crise, où la main d'oeuvre est plus que jamais nombreuse, disponible et donc très exploitable, j'imagine que les employeurs n'ont qu'à se baisser pour choisir des candidats expérimentés et que des personnes formées sur le tard comme moi ne constituent vraiment pas leur priorité. Mais enfin, j'écoute, je m'inscris à un organisme extérieur qui va m'aider à "redéfinir mon projet professionnel" et je sens déjà les experts en pipeau venir me seriner de conseils forcément tous plus avisés les uns que les autres.

En attendant, c'est moi qui deviens une experte en lettres de motivation. Je suis très forte dans l'art d'expliquer combien faire le larbin pour 9 euros de l'heure me passionnerait. Limite, je n'attendais que ça pour me réaliser pleinement.

Le pire, c'est que ce n'est pas complètement faux. A l'heure actuelle, j'ai vraiment envie de faire quelque chose, et jouer au larbin ne constitue-t-il pas une nouvelle expérience?

jeudi 8 septembre 2011

La quête de l'ennui

J'ai fait le tri. Enfin écrit ces lettres que je retardais tellement, certaines depuis mon arrivée à Nantes, voilà maintenant près d'un an. Enfin ressenti cette forme d'apaisement... même si elle n'est que relative. Car seule ma conscience souffle, ma situation, elle, reste en stand-by.

Comme je le souhaitais, j'ai senti l'effet bénéfique de la rentrée, cette envie de renouvellement et d'une bouffée d'air frais, loin de la mélancolie estivale. Loulou est redevenu le Loulou, certes espiègle, mais si touchant que j'avais l'impression d'avoir un peu perdu dans le bouleversement de ces derniers mois... Et moi, j'ai retrouvé cet enthousiasme qui m'avait un peu lâchée, un peu lasse de la tournure des événements.

Alors, j'ai postulé, pour des boîtes qui m'attirent, en premier lieu, évidemment. Mais aussi en réponse à des annonces, où l'on vous demande d'être le mouton à cinq pattes, Bac + 12 et disponible 24 sur 24, le tout pour 1200 euros bruts mensuels. Dans la presse, la rédaction, mais aussi la restauration et même d'autres secteurs plus inattendus parce que, après tout, on ne sait jamais.

J'ai parfois envoyé ces lettres comme des bouteilles à la mer mais quelque chose me dit qu'il faut le faire. Parallèlement, j'ai reçu de nouvelles missions et je vais donc repartir dans mon marathon rédactionnel, avec plein de politicards, de syndicalistes et leurs tics de langage - je vous en parlerai, un jour - dedans. Je m'interroge sérieusement sur la pérennité de ce blog, parce que l'envie d'écrire demeure pressante, mais que j'ai de plus en plus de mal à coucher mes envies et mon ressenti ici, comme si tout ça me semblait indécent et, oui, futile. Cette sensation de trop m'écouter me gêne.

Je tourne en rond.

Vous voyez, tout bouge et rien ne change, les doutes persistent, les questionnements m'empêchent régulièrement de vivre au jour le jour comme je m'y suis pourtant toujours appliquée. Je suis dans la projection et ce n'est guère confortable. Je rêve du jour où je vous annoncerai que, ça y est, j'ai retrouvé le chemin vers une vie, non pas plus heureuse - car je le suis, paradoxalement - mais plus rassurante.

Comme si, finalement, j'avais hâte de m'ennuyer;)

lundi 5 septembre 2011

L'ordre rétabli

A cinquante mètres de la grille, il a tourné ses lèvres vers ma joue et m'a lancé:

"Allez, au revoir, maman!"

Au moins, la rentrée n'angoisse pas Loulou. Un peu dépité que je l'accompagne jusque dans la cour d'école, il s'est finalement laissé embrasser avant de filer discuter boulets et toupies avec ses petits copains. L'un a sorti un tas de billes de sa poche, un peu en douce, en a laissé tomber deux et les a vite ramassées comme on cache vite un trésor. Hilare, la petite bande a renchéri sur ces jouets de verre et j'ai regardé Loulou s'animer. Il avait retrouvé sa joie mais surtout cette candeur que j'ai craint voir disparaître voilà peu.

Il n'avait pas vraiment changé, de toute façon. La chemise déjà sale (une histoire de chocolat et d'éternuement simultané sur le tissu blanc, un vrai bonheur), la veste en équilibre sur l'épaule, le cheveu rebelle, il retrouve l'école sans se poser de questions. C'est ainsi, voilà tout.

J'ai reculé de quelques pas, parce qu'il ne servait à rien de rester là, près de lui et j'ai écouté les parents, cette maman toute bronzée qui racontait ses vacances à une autre au teint blafard, cette autre qui critiquait déjà l'instit, ce papa qui s'inquiétait de ne pas trouver son fils sur la liste et tous ces adultes qui eux aussi allaient reprendre le chemin du bureau, après cet intermède matinal.

J'ai senti soudain un noeud serrer mon estomac, au souvenir très lointain de mes propres rentrées, où j'oscillais entre la retenue (quand ma mère m'accompagnait) et l'hystérie (avec mon père, bien plus faible devant les caprices de sa fille. Hum). J'ai songé à toutes ces rentrées, ensuite, une fois sortie du rythme scolaire, lorsque l'on rattaque une année en retrouvant les collègues à qui on raconte quelques anecdotes de vacances. Ou pas, d'ailleurs, parfois, mieux vaut s'abstenir.

Ensuite, je ne me souviens plus trop, mes oreilles, chahutées par les cris et rires ambiants, m'ont sommée de rebrousser chemin et de reprendre place à mon poste, chez moi, derrière l'ordi. Toute seule et autonome.

Oui, l'ordre est rétabli.

La liste est rédigée, les tâches prêtes à être barrées, je sens en moi l'énergie revenue et l'envie de bouleverser doucement ce quotidien plein de surprises mais déstabilisant. Loulou à l'école, je retrouve certains repères, une routine à laquelle je n'étais déjà plus habituée.

J'ai retrouvé aussi cette stigmatisation permanente qui m'avait déjà frappée par le passé. En discutant quelques minutes avec la nouvelle institutrice de Loulou, j'ai compris qu'elle avait déjà ses "fiches" sur chaque enfant. Qu'elle avait communiqué avec sa collègue, qui a eu sa classe l'année dernière, et échangé quelques informations sur les élèves. Celui-ci a du mal en maths, celle-là en français, lui est turbulent, cet autre est bavard... Après tout, elle balise le terrain, elle s'intéresse et c'est tout à son honneur.

Mais elle a eu beau me répéter qu'elle aimait bien repartir de zéro en faisant un peu table rase du passé, j'ai eu comme un doute. Certains jugements laissent des séquelles et il est difficile de les anéantir totalement. Alors, aux enfants de sortir des idées préconçues, à eux aussi d'évoluer, parce que, après tout, il n'y a pas de fumée sans feu et un gamin que l'on dit turbulent l'a probablement été et l'est peut-être encore. Mais je m'aperçois que les étiquettes, elles collent très vite et impriment à long terme le parcours d'un enfant.

Lequel ignore encore que son existence sera parsemée de ces petits riens qui le définiront ensuite comme un être sociable ou pas. Sans qu'il puisse véritablement contrôler cette image qui finira par lui échapper.