vendredi 30 décembre 2022

Une vie restaurée

 A l'heure des traditionnels bilans de fin d'année, je me pose la question: que retenir de 2022?

Un vent d'impatience, d'agressivité, de haine, parfois. Beaucoup de colère et d'incompréhensions entre les uns et les autres, de l'égocentrisme à outrance. La guerre en Ukraine. L'inflation. La terre qui brûle sous nos yeux impuissants et encore parfois si indifférents. Le sentiment d'un déclin certain.

Pourtant, à titre personnel et très égocentré, je n'ai pas envie de l'enterrer, cette année 2022. On me dit dans l'oreillette que ma petite existence a légèrement basculé, pour une sombre histoire de tumeur.

Certes, c'est un peu marquant.

Ce que je veux retenir, c'est cette bascule vers un nouveau monde, pour moi, cette impression d'avoir vraiment fait le vide en touchant du doigt une vie nouvelle, à la fois solitaire et si riche de rencontres. Une vie touchée par la maladie, certes, mais pas abîmée.

Une vie, au contraire, restaurée.

Depuis l'arrivée d'Abricotine, je n'ai jamais autant vu ou conversé avec ma famille et mes amis, ceux-là même qui passaient toujours en second plan derrière l'inamovible tyran, j'ai nommé le TRAVAIL. 

Je n'ai jamais écouté autant de musique, lu autant, médité, réfléchi posément. Je me suis surprise à savourer ces heures qui s'étiraient indéfiniment, à apprécier de ne rien faire, mais vraiment. A vivre pleinement ces journées sans parler à personne, sinon aux chauffeurs de VSL, aux manips radio et... à mes chats.

Alors, évidemment, je ne me suis pas transformée en moine bouddhiste, je vous l'avais déjà écrit. D'ailleurs, si je veux être complètement honnête, je n'ai jamais autant passé de temps, aussi, devant Netflix ou à dormir sous mon plaid et ça, c'est pas hyper valorisant. Mais ça gêne qui? Ma culpabilité? Cette garce qui m'a gâché tellement d'années et d'énergie ?

Je te l'ai dégommée, celle-là, plus vite que ne l'aurait fait un gosse avec un paquet de Haribo.

A la place, Messieurs Sommeil et Temps sont venus squatter chez moi et je vous avoue être raide dingue d'eux. Viendra un moment où ils devront cohabiter avec Madame la Réalité, mais pour l'instant, je les conjugue avec Mademoiselle Gratitude pour poursuivre ce chemin vers la sérénité.

Quel que soit votre bilan 2022, je vous souhaite de vivre de belles éclaircies pour la suite, sans avoir pour autant à passer par la case "Maladie" qui reste une option parfois un rien... aléatoire, j'en conviens.

D'ailleurs, je l'avoue, je trouve ça  quand même dingue qu'il me faille des... rayons pour entrevoir le bonheur.

samedi 24 décembre 2022

Hors jeu (ou pas)

 Ce matin, en scrollant sur Instagram, j'ai vu défiler les bûches par milliers sur les différents comptes que je suis. Les lutins s'étaient agités toute la nuit pendant que je dormais du sommeil du juste.

Pour la première fois depuis six ans, Noël n'a pas été l'enfer. Pendant que chaque pâtissier virevoltait, coupait, glaçait, décorait, emboîtait, je dormais, me reposais, écoutais, méditais, réfléchissait au sens de la vie,  soufflais... Oui, je respirais.

Au delà de ce sentiment réel de délivrance, j'ai perçu cette pointe d'amertume: je me suis sentie soudainement hors-jeu. Comme si je faisais un arrêt sur image pendant que les autres continuaient de courir. Quelque chose de totalement paradoxal m'a traversée. Car le mode "pause", je ne l'ai pas choisi, mais je l'ai très bien accepté. Je me sens dans le vrai, alignée comme jamais, métamorphosée.

Et je me dis parfois que finalement, je ne suis pas si hors-jeu, comme si Abricotine m'avait fourni le mode d'emploi pour vivre mieux. Je suis même sans doute dans le vrai, dans cette réalité qui est la mienne et qui m'est propre.

Est-ce vivre mieux quand sa vie est entre parenthèses? L'hyperactive que j'étais vous certifierait du contraire. La paresseuse contrariée que j'ai toujours été vous dirait que je vis ma meilleure vie.

En fait, il n'y a pas de mode d'emploi de la vie idéale. Certains, fortement impactés par le rythme pro, rêveraient de s'adonner à un repos quasi illimité, au moins quelques mois, sans contrainte (ou presque), comme je le vis actuellement. Résultat d'un trop-plein, évidemment. 

D'autres, dans mon cas, se morfondraient de rythmer ses journées par des allers-retours dans un centre de cancérologie et d'y croiser de "vrais" malades - oui, oui, je nuance et relativise; je vous assure que mon cas est anecdotique, si je devais comparer.

Moi, je ne peux pas vivre la situation autrement que comme une éclaircie!

Je me souviens de ce jour, mi-décembre, où, partie en livraison, j'ai frôlé l'accident de la route. J'ai pilé, j'ai réussi à éviter ce crash. Pour tout vous dire, ça m'a sorti de ma somnolence car oui, je m'étais endormie au volant. Le coeur palpitant, j'ai pensé à ce qui se serait passé si la voiture m'avait percutée.

 J'en ai rêvé, pour tout vous dire.

Oui, dans le sens où je l'ai espéré, tant j'étais à bout et je voulais que ça s'arrête, que la pression stoppe, que mon esprit puisse s'évader, que mon corps endolori puisse se reposer.

J'ai été cette femme surmenée, vivant de l'adrénaline mais ne l'assumant plus.

Certains pâtissiers ne vivent pas Noël comme un enfer, j'imagine. Moi-même, j'éprouvais un réel sentiment de satisfaction lorsque les dernières bûches avaient quitté la chambre froide. Je savais quel plaisir nous allions apporter sur les tables familiales, que la mission était accomplie. Mais quelle dureté, parfois! Ce tourbillon qui m'emportait chaque année me laissait vide et épuisée, asséchée, là où d'autres passionnés vivent sans doute le moment comme une apothéose. 

Mais justement, ne cherchons pas à comparer. Je vis ce que j'ai à vivre et c'est en cela que je me sens si sereine.

Je vous souhaite, pour Noël, de ressentir cet apaisement personnel et de pouvoir goûter, vraiment, aux saveurs, petites ou grandes, que la vie nous propose.

mercredi 21 décembre 2022

Saigner des oreilles (l'art de la résilience)

 Chaque matin, le VSL s'arrête devant chez moi. En général, le chauffeur ne sort pas, il voit que je suis valide - mais ne sait pas que je le vois en double.

Histoire d'animer ces aller-retours quotidiens à l'institut de cancérologie (on est d'accord que l'activité n'est pas dingue, à la base. Quoique), j'aime bien discuter avec ces hommes et ces femmes, tous différents malgré leur uniforme bleu. Je leur pose des questions, ils y répondent souvent volontiers et se confient facilement. J'ai l'impression parfois d'endosser ma casquette de journaliste, il ne manque plus que le dictaphone pour immortaliser le moment.

A la place, j'use de ma mémoire et je repense à nos conversations. Le trajet me semble souvent trop court tellement ils auraient à dire et j'espère souvent les croiser de nouveau pour reprendre là où on en était. Ils m'épatent souvent par leur empathie mêlée à un bouclier invisible, une espèce de dichotomie précieuse pour supporter leur quotidien, entourés de malades.

Oui, la dissociation dont ils doivent faire preuve est sans doute ce qui me fascine le plus chez eux, je vous en reparlerai. Enfin, en tout cas, pour les bons. Depuis ma première séance de radiothérapie et ces trajets entre mon domicile et le centre, je suis tombée sur deux très grognons pas très agréables.

Depuis ce matin, le pompon du boulet revient à l'énergumène chargé de me conduire. L'arrivée tardive, son attitude nonchalante et Skyrock à fond dans la voiture... Celui-là, je ne lui demanderai pas comment il vit son métier. Il ne baisse pas le volume. Je me tais et m'enfonce dans le siège.

Il roule. Au passage, on prend un deuxième patient, il râle parce qu'il ne trouve pas la maison, ne daigne pas sortir alors que le monsieur est en difficulté pour grimper dans le véhicule. Le dit monsieur grogne à son tour contre la hauteur des sièges. On est sur une bonne ambiance.

Je ferme les yeux, j'ai la nausée. Je réalise qu'au delà de ce besoin que je ressens de taper la causette avec ces différents ambulanciers, cette nouvelle et éphémère habitude me permet chaque jour de me mettre à mon tour en dissociation. Pendant que je les écoute, je me concentre sur eux et minimise les sensations de mon corps, légèrement en vrille. 

Ce matin, pas le choix, cette impression d'ébriété qui ne me quitte plus semble s'accentuer dans ce véhicule rythmé par la soupe de Skyrock. J'entends la Marseillaise largement revisitée, j'ai envie de vomir (écoutez ou tapez "Heuss l'enfoiré + marseillaise" sur votre barre de recherches, ça vous situera) (Au secours) (le mec est pas mytho, on est bien sur de l'enfoiré).

Le monsieur à côté reste silencieux. Le chauffeur poursuit sa route, sans se poser une seule fois la question de savoir si sa musique peut nous perturber.

Je me dis que j'ai décidément vieilli, à ne plus supporter la "musique de jeunes", à la juger ainsi, sentant les beats outranciers me traverser le corps fatigué.

Tolérer. Faire le vide. Attendre que ça passe. Bah, rien que de l'ordinaire, finalement, c'est un peu comme la séance de radiothérapie avant l'heure. Mais je préfère la mélodie de mon Michel à celle, outrancière, de Jul.

Ensuite, c'est l'arrivée, l'attente en salle, la séance avec Freddy Kruger et le retour en taxi. Surprise, c'est le même ambulancier qui s'en charge. Il râle, cette fois parce qu'il a été mis en pause pour assurer cette mission et qui dit pause dit moment non payé. Pas cool.

Je l'écoute, il a baissé la musique, c'est plus supportable. Et puis, je lui réponds et on parle gentiment, il est sans doute plus réveillé qu'à l'aller, plus causant (c'est valable pour moi aussi, vous me direz). J'ai un peu hâte de rentrer, quand même, parce qu'il ne m'inspire pas plus de sympathie que ça.   

Et, là, il y a ce moment où je le sens me regarder avec plus d'insistance dans son rétro. Et cet autre moment, lorsque, arrivée devant chez moi, je descends et j'enlève le masque. Je sens le regard, je me dis que mon imagination me joue des tours.

Je rentre, je vois par la fenêtre qu'il s'est arrêté dans la rue. Cinq minutes plus tard, il frappe à ma porte, me tend sa carte avec son 06 et son prénom. C'est pas comme si j'avais déjà les coordonnées de son entreprise. Ouais, mon imagination, sans doute.

Je suis un peu gênée, je prends la carte, la pose sur le meuble de l'entrée et passe à autre chose.

20 minutes plus tard, il m'appelle. Ben oui, évidemment qu'il a mon 06, on doit le donner pour être pris en charge. Je fais comment pour m'en sortir en restant polie? Je ne veux pas le blesser mais vraiment, à quel moment le type peut imaginer que j'ai un crush pour lui? J'écourte comme je peux la conversation, il me glisse que ce serait bien que l'on reste en contact, hein. 

Mais oui, bien sûr, l'ambulancier qui met à pleines balles Skyrock à 7h du mat, sans imaginer une seconde qu'il fait saigner mes oreilles, c'est tout à fait ce qu'il me fallait.

Hey, le karma, ça va maintenant, hein. J'ai bien compris les messages de l'univers, je fais tout bien comme il faut, je me suis calmée, je vis le moment présent et je respire. Le vide que j'ai pu faire dans mon corps et mon esprit n'a aucunement besoin d'être rempli, surtout par du parasite.

J'ai beau être résiliente, pas sûre de résister longtemps à Heuss l'enfoiré et son hymne national massacré.

mercredi 14 décembre 2022

La dame au turban rose et vert (Un jour en salle d'attente)

Croyez-le ou non, dans mon quotidien, je ressens souvent une forme de poésie, là, un moment suspendu, là un regard tendre, là un visage éthéré qui s'illumine... Je m'accroche même à ces apparitions sibyllines, parfois, quand le sombre de l'humanité en rajoute une couche, qui par un grognement, qui par une insulte, qui par un simple haussement de ton qui laisse augurer du pire.

Chaque jour de la semaine, je retrouve cette salle d'attente, "Novalis" (comme le nom de la machine de guerre chargée de pulvériser Abricotine) et, je vous l'avoue, je remercie mon état fiévreux ou mon imagination, selon les instants, de débusquer une quelconque forme de poésie entre ces murs ternes, réhaussés de peintures que je qualifierai de "naïves", pour rester très neutre.

Vous voyez un peu l'esprit. On n'est pas sur un Rembrandt (écrit celle qui ne peint pas)


Actuellement, certaines de ces oeuvres sont décorées d'une guirlande un peu passée, pour faire genre "Youhou, c'est Noëëëëllllll!". Aux murs, on trouve des affichettes pour rappeler les diverses actions et mains tendues dans la maladie, des numéros de téléphone ou simplement des pancartes pour rappeler que... tousser très fort ne servira pas à faire venir plus vite les manipulateurs. Evidemment, c'est écrit plus poliment. Le message, c'est que le personnel sait (ou espère!) que vous êtes là, et votre tour ne sera pas oublié, non.

Sur la table basse, un mini-sapin de Noël finit d'achever toute notion de bon goût. Personne n'ose toucher les magazines posés, devenus véritables incongruités depuis le Covid, et ce malgré le gel hydroalcoolique mis à disposition. Les sièges, roses et durs, ne génèrent pas non plus une sensation de cocoon, on est d'accord. Il y a bien une machine autour de laquelle on pourrait se retrouver, le distributeur d'eau, mais soyons honnête, elle sert surtout aux personnes venues soigner un cancer dans le bas du ventre - tous sexes confondus - qui se dépêchent d'avaler l'équivalent de 5 ou 6 verres en carton pour remplir leur vessie. Vessie vide= examen nul. Allez, on picole, on y va.

Oui, ça génère aussi de soudains sprints de patients apathiques dix minutes plus tôt sur leur siège, partis en soins, et qui reviennent en courant se libérer aux toilettes.

De la poésie dans ce contexte, disais-je.

Hum.

Si, si, je vous assure. Le lyrisme n'est pas si loin. Bref.

Hier matin, dans l'état second qui me caractérisait (merci la grippe), je me suis donc installée dans cette salle d'attente plutôt remplie, en saluant discrètement chacun des patients. Incapable de lire deux lignes, j'ai fini par lever tout aussi discrètement les yeux vers mes compagnons d'infortune. Des personnes toutes plus âgées que moi, clairement, l'une le regard au loin, l'autre la main sur le front plissé, ce monsieur avec les mains serrées contre les genoux. Au milieu de ces silhouettes aux teintes ternes - visages dont on distingue la pâleur, malgré le masque, et vêtements foncés - il y avait cette dame au turban rose et vert, attendant paisiblement. 

Je crois que j'avais envie de communiquer un peu, dans cette ambiance morne, mais si je veux être sincère, le stade "Amorphe grade +" qui me caractérisait me faisait davantage ressembler à une figurante de Walking Dead qu'à une danseuse de salsa.

Pour la poésie, on repassera.

Ce matin, en arrivant, je m'installe de nouveau dans cette salle toujours bien remplie, le salut discret, et l'envie et l'énergie, cette fois, de lire. Il y a une sexagénaire, trois hommes fatigués, une femme qui a peut-être la cinquantaine - ah, je me sens moins seule - et je reconnais la femme au turban rose et vert.

J'ai l'impression que nous aurions tant à nous raconter et en même temps, je vois bien que l'option salon de thé n'est pas spécialement envisagée pour la zone. Pourquoi imaginer échanger avec d'autres patients qui, comme toi, n'attendent qu'une chose, passer vite fait et rentrer après le soin? Quelle est donc cette manie qui m'habite? Un peu blasée, je récupère mon livre et reprends mon chapitre là où je l'avais laissé. Silence parfaitement cohérent, au vu du contexte. Silence assourdissant.

Chut.

Par je ne sais quel hasard, la dame au turban rose et vert commence à évoquer son trouble. Elle a peur de devoir sprinter comme hier. Sa voisine compatit et me regarde. Je saisis l'instant, devrais-je dire l'opportunité. Je ne veux pas m'immiscer dans leur intime, juste accueillir et partager ce qui peut l'être, parce que c'est sans doute ça, la poésie, ces instants flottants où l'inconnu devant soi dépose son âme en toute confiance.

Et c'est justement l'un des marqueurs de la maladie, me semble-t-il. Plus de temps pour les apparats, pas de filtre, l'heure est au parler vrai, direct et on va à l'essentiel. En un éclair, cette salle si morne s'anime, chacune écoute l'autre et, sans verser dans le déballage non plus, j'ai le sentiment que chacune de ces personnes lève le voile et lâche ce dont elle a besoin. Sur ce qu'elles traversent, leur nouveau rôle à la maison, celui de "l'aidant" - des priorités qui changent, la dépendance à l'autre...

C'est un colloque express et la dame au turban vert et rose s'anime tellement que je crains que l'on se fasse taper sur les doigts par les soignants parce que l'on parle trop fort.

Naturellement, on l'écoute parce qu'elle a vraiment besoin de s'exprimer. Elle nous dit qu'elle a 68 ans - je lui en donnais facilement dix de plus - nous parle de l'ajustement de son mari, "un militaire qui n'a jamais rien eu à gérer à la maison en 43 ans et qui se retrouve à faire les courses", de la chance qu'elle savoure de s'appuyer sur sa famille, présente.

Je me tourne vers un autre homme, le seul "Tumeur-free" de l'assistance, quand j'y pense. Il est le conjoint de la quinquagénaire partie entretemps recevoir de doux rayons. Il nous l'a expliqué quelques minutes plus tôt, il accompagne chaque jour sa femme au centre, faute d'ambulance. A travers ces exemples concrets, je n'ose imaginer la charge mentale que vit un aidant, au quotidien. Il comprend ma question sans même que j'aie à la lui poser: "Vous savez, me dit-il, quand le cancer arrive dans votre vie, c'est une énorme claque. Mais après, je ne sais pas comment vous dire, les choses se font naturellement."

Il a cette sorte de haussement d'épaules assez grâcieux, ce regard doux.

J'entends la manip m'appeler. Je me lève, les salue et saisis à plein ce moment de vie, un peu surréaliste où les émotions n'ont rien de feintes, où la dignité peut rimer avec un état chagrin, où la poésie, oui, la poésie peut s'emparer de votre âme.

Même entre quatre murs ternes, même au milieu d'une déco kitsch.

samedi 10 décembre 2022

Etouffer en pleine conscience

 Mardi. Début du feu d'artifice. Le RDV est prévu pour 12h40. Dans le taxi qui m'amène jusqu'au centre, je fais la maligne et parle politique avec le chauffeur, mais en vrai, je la sens bien, la tension. Un cacheton? Un cacheton. Je vais finir ma radiothérapie complètement shootée. Avec une Abricotine nécrosée, oui (l'espoir fait vivre), mais accro aux relaxants.

Ca craint.

12h30. J'attends dans la salle dédiée, relisant vainement le chapitre que je viens de finir. La caboche n'imprime pas. Mes jambes flanchent. Je suis assise, d'accord et, au pire, en cas de malaise, je suis entourée de blouses blanches. Mais j'aime bien dramatiser.

12h32. On m'invite à rentrer. D'abord dans le sas pour ôter manteau et sac à main. Puis dans la salle de soins. Ouh, ce n'était pas une vue de l'esprit, l'endroit s'apparente vraiment à un bunker, avec un sigle rappelant le petit caractère nucléaire de la chose, un long couloir sombre et la pièce, immense au milieu de laquelle trône un drôle d'appareil. La machine est impressionnante.

12h33. Je me demande si je n'aurais pas dû avaler toute la boîte, au lieu de me contenter d'un misérable cacheton.

12h34. Si on me faisait un lavage d'estomac, peut-être pourrais-je esquiver les séances?

12h35. Abricotine se marre. Elle se dit qu'à ce rythme, elle va pouvoir s'étaler un peu plus dans mon crâne, la coquine, prendre ses aises et appuyer bien peinard sur mon nerf optique, pendant que je fais une petite crise d'angoisse et que je fuis le problème.

12h36. Hey, Abricotine, tu les sens, les rayons? T'inquiète, ils arrivent. Marre de voir double et d'être dans le brouillard, moi.

12h37. La manip sent mon angoisse et me propose de passer un son de méditation durant la séance.

12h38. J'ai envie de l'embrasser. Je peux pas, on a toutes les deux le masque, ça pue le covid à plein nez dehors et je la connais à peine.

12h39. Elle m'explique aussi que je vais rester seule dans la pièce mais que l'équipe est juste derrière la vitre, si besoin.

12h40. J'ai les yeux d'un cocker à qui on aurait donné un os. 

12h41. Prise de conscience. Autant de précautions pour soigner un truc "bénin"... On m'aurait menti?

12h42. Je suis allongée sur la table, deux personnes, une de chaque côté, placent le masque le plus délicatement possible. Concrètement, le dessus du masque en résine est posé sur votre visage, on clipse sur les côtés, avec un petit claquement bien désagréable et une sensation d'enfermement immédiate. Vous êtes attaché à la dite-table, et hop, vous ne pouvez plus bouger.

Je répète : vous ne pouvez plus bouger.

Au secours.

12h43. La manip monte le son de l'ordinateur, branché sur la chaîne Youtube de Cédric Michel, "Bulles de sérénité".

12h44. "Namaste", me dit mon sauveur. De sa voix douce et relaxante, il m'invite au voyage.

12h45. Je respire du mieux possible, je relâche le ventre, je me laisse emporter par la vague de bien-être.

12h46. Pff, c'était rien du tout, en fait, ces séances. Cette manie que j'ai de tout exagérer.

12h47. C'est horrible, arrêtez tout.

12h48. Je fais le petit chien. Enfin, j'essaie, avec le masque qui me comprime la bouche.

12h49. Allez, de toute façon, ai-je le choix?

12h50. Je suis ailleurs, clairement. Je bénis les cachetons.

12h58. "Voilà, c'est fini", chante la manip en me délivrant. Cette sensation de soulagement est juste inouïe.

Je repars de là un peu sonnée, mais sur le moment, je me dis que franchement, ça va. J'ai les marques du masque sur le front, comme si j'avais pris un méga coup de soleil ou un coup de pelle, mais elles s'estompent. Mon coeur continue de battre la chamade, un peu, mais l'effet se dissipe peu à peu.

Juste un mal nécessaire, rien de méchant.

Et comme je n'ai pas envie de me shooter, je décide dès le lendemain d'y aller sans filet. Ou presque. Je ne prendrai plus de cacheton. La méditation va clairement m'aider le mercredi, le jeudi... Arrive le vendredi. J'entends de nouveau Cédric Michel et pourtant, sa voix calme des premiers jours me semble totalement incongrue aujourd'hui. Je me sens fatiguée et le mental reprend ses droits, le bâtard. Il me rend cynique. Pour vous situer, ça fait un peu ça.

"Namaste. Nous allons méditer pour lâcher prise. Installez-vous confortablement, dans une position allongée. Vos paupières sont fermées... "

Jusque là, on est ok, Michel. En même temps, j'ai un masque sur la tronche qui me comprime tout, hein.

Petite musique, il reprend:

"Maintenant, je vous suggère de respirer par le nez..." C'te blague. Je peux pas, Michel.

J'étouffe.

Il s'en fout, le mec. Il reste zen, il me demande de méditer en pleine conscience, de ne pas intellectualiser, de visualiser un champ et de l'aborder avec la même curiosité que celle d'un enfant.

Euh, si je lui dis que j'ai envie de me faire pipi dessus, on peut faire le lien avec le comportement infantile?

"Curiosité et joie de découvrir quelque chose de nouveau, un état nouveau..." Tu parles de mon hystérie intérieure, c'est ça? "Je vous propose de sentir l'herbe sous vos pieds..." Je ne sens que le masque, auquel j'ai l'impression de me cogner, comme s'il me serrait chaque minute davantage...

"... Et la chaleur du soleil sur le visage..." Les rayons, peut-être? Quel humour, ce Michel. "C'est doux et agréable", persiste-t-il.

Michel m'invite à écouter les oiseaux. Je n'entends que le son strident de la machine. Mais pourquoi n'ai-je pas pris de cacheton, hein? Je VEUX de la weed, là, un space cake, des champignons hallucinogènes. Un rail, un shoot, je m'en fous de devenir junkie, je veux juste planer!

"Reconnaissez et acceptez simplement votre anxiété... " poursuit Michel, qui se fout clairement de ma pomme. Sauveur de mes deux, ouais.

J'ai l'impression d'être passée dans un espace-temps chelou. La séance, censée durer une quinzaine de minutes, s'avère plus longue qu'une journée sans chocolat.

J'oscille en permanence entre micro-moments de relâchement et sensation obsédante d'enfermement. Pourtant, quand la manip me libère en me demandant si tout va bien, je lui assène un grand sourire en lui exprimant toute ma gratitude de me laisser ainsi méditer.

Genre, merci pour la chance de vivre ces moments précieux. Sans vous, jamais je n'aurais eu la joie de découvrir mon petit Michel, à la voix suave et rassurante.

Mais où ai-je appris à être si hypocrite, moi?

Bref, vous l'aurez compris,  ces séances de radiothérapie, c'est pas l'expérience la plus géniale que j'ai vécue, et l'arrivée du week-end m'a soulagée - c'est relâche, youpi.

Mais en vrai, il y a toujours pire.

La guerre en Ukraine ou la chanson de Mariah Carey en boucle sur Instagram, par exemple.

dimanche 4 décembre 2022

Du feu dans ma caboche

Oui, c'est ma caboche, personnifiée par ma radiothérapeute. Le truc rayé, c'est Abricotine. Etonnant, non? Appelez-moi Homer Simpson :)

 


 Bon, J-2 avant le début du grand bal. Mardi, j'entame le protocole de soins, 28 séances de radiothérapie, chaque jour de la semaine, pour faire la peau d'Abricotine.

En gros, jusqu'à fin janvier, c'est aller-retour quotidien dans un centre de cancérologie. Pour un truc "bénin", je trouve ça un peu incongru, je ne vous le cache pas, mais ça va. Ca ira.

J'ai rangé pas mal de choses, bouclé quelques dossiers, mis en sommeil mon entreprise et je m'apprête à vivre ça comme si j'allais rentrer dans un bunker. J'ai l'impression d'être assez sereine mais mon corps me rappelle ma légère prétention. Ce matin, je me suis levée avec un dos douloureux, signe d'une somatisation non feinte. Soyons honnête: j'y vais mais j'ai peur.

Pourtant, j'ai eu un aperçu de ce qui m'attendait il y a deux semaines, lors de ce que l'on appelle le "scanner dosimétrique". A l'hôpital, on m'a façonné un joli masque thermoformé. En gros, on ramollit des plaques en résine que l'on vous pose, chaudes, sur votre visage. On appuie bien dessus pour mouler ce magnifique masque et ensuite, il n'y a plus qu'à attendre. 25 minutes avec ce truc sur la tronche qui se resserre au fur et à mesure, tel un étau, euh... Comment dire... J'avais prévu le coup et pris un petit cacheton pour supporter la chose, tout en m'appuyant sur la méditation.

Bon, tout a une limite. Même la méditation.

Au bout de 20 minutes, un sentiment d'enfermement et de panique m'a envahie. J'ai donc cherché une grande respiration pour l'évacuer. Ah, ah, ah, c'te blague. Va respirer avec un truc qui te serre le menton. Bon, j'ai serré les dents - je pouvais encore - et finalement, j'en suis ressortie, avec le ravissement de découvrir ce joli masque qui me permet de rejoindre la famille de Freddy Kruger.

Je triche, ce n'est pas mon masque, mais celui d'une amie. Mais vous voyez le genre. Parfait à recycler pour Halloween, par exemple.


Un petit cacheton plus tard, j'étais sous le scanner et c'est donc avec un sentiment non dissimulé de peur que j'y retourne mardi, pour qu'une machine vienne tourner autour de ma caboche et y distille ses rayons.

Je relis ce post à ce stade de l'écriture et je trouve que tout ça manque un peu d'éclat et d'humour. Je vous promets que je ferai l'effort d'en mettre, à ma mesure, au fil des séances mais là, rien ne vient. Hey, on peut pas toujours envoyer du rêve, hein :)


jeudi 1 décembre 2022

Tout passe... (post impudique)

 Chaque 1er décembre est toujours un peu particulier à mes yeux. C'était le jour de naissance de ma grand-mère avec qui, pourtant, la relation n'a pas toujours été simple. Elle aurait 107 ans aujourd'hui, elle qui est partie le lendemain du premier déconfinement.

Je me souviens de cette date alors que je n'en ai aucun souvenir quand il s'agit de mes autres grands-parents, tous partis aujourd'hui. Je crois que pour Edith, ce jour d'anniversaire était tellement important qu'il était inenvisageable de ne pas lui souhaiter. Du coup, mon esprit l'avait marqué au fer rouge.

Alors, ce matin, j'ai eu une pensée pour elle. Quelques heures plus tard, je me suis sentie presque soulagée qu'elle ne soit plus de ce monde. Le chagrin l'aurait tuée, je crois bien, d'apprendre que son fils cadet était parti, à son tour. Oui, mon oncle, dont j'évoquais il y a peu l'hospitalisation, nous a quittés hier soir, réveillant des souvenirs d'enfance à la pelle.

Je n'étais pas proche de lui, non, ce serait mentir. Pourtant, la tristesse m'a envahie, à l'annonce de sa disparition. Déjà parce que cela affecte forcément mon père et mon autre oncle. Que j'ai pensé à la peine de ses enfants - mes cousins -, de sa femme, de ses petits-enfants. Mais aussi parce que la mémoire sait parfaitement faire remonter à la surface des images que l'on pensait enfouies pour toujours.

Mon oncle chez ma grand-mère, assis à table à l'heure de l'apéro, qui semblait ne rien prendre au sérieux alors que la vie n'avait pas dû être si tendre avec lui. Son air rieur, à se foutre de tout, ses mains immenses qui m'impressionnaient tellement, ses coups de gueule et sa façon de dire "la mère" - parfois agacé, souvent attendri par ses caprices - pour évoquer ma grand-mère, .

Chaque disparition de la sorte nous propulse directement vers notre enfance et vers l'image que l'on en garde. Je me souviens du salon de mes grands-parents où l'on se retrouvait, entre cousins. Pour nous, les enfants, c'était parfois un peu long de les attendre, ces adultes qui dissertaient et refaisaient le monde en feuilletant le journal ou se resservant un Pastis. Mais on aimait bien aussi aller jouer dans la chambre d'à côté, sans chercher à comprendre de quoi ils parlaient.

Est-ce que j'imaginais que mon oncle cesserait de rire, de parler fort, de râler, de s'emporter et de vivre, tout simplement? Evidemment, on le sait tous que ce moment va arriver, mais la petite fille que j'étais voyait un homme somme toute indestructible, si fort d'apparence. Les épreuves de la vie l'avaient fragilisé et j'avais retrouvé un oncle plus calme, sensible, aux funérailles de ma grand-mère, sa mère chérie. Je m'étais dit alors que le temps pouvait s'avérer cruel, mais qu'il savait aussi apporter un brin de sagesse à chaque être.

Aujourd'hui, j'ai du mal à imaginer que je ne croiserai plus mon oncle. Idée universelle du manque qui nous apparaît pourtant si singulière quand le deuil nous frappe...

Je ne sais pas ce qu'ils se disent, aujourd'hui, tous les deux, ma grand-mère et lui. Est-ce qu'il lui lance, en levant le coude: "Oh la mère, t'occupe pas!" en refaisant le monde? Est-ce qu'ils nous regardent, ou sont-ils déjà allés rejoindre mon grand-père qui les a attendus longtemps? Personne ne sait. Chaque deuil nous renvoie simultanément à deux âges de notre vie, dans ce présent résigné et triste et ce passé nostalgique, comme pour nous rappeler que, justement, tout passe.

Gérard, embrasse Edith pour moi. Et, surtout, repose en paix.

dimanche 27 novembre 2022

Se dépouiller


 Ciel bas, gris. Le ronron de la chaudière ne cesse de se déclencher - il doit faire froid, dehors. Le chat saute sur le plaid, et s'installe tout contre moi. Nouveaux ronrons. La playlist est en route- du piano, des cordes, de la grâce... On est bien, ma mélancolie et moi. 

Le chat s'est relevé et fait maintenant bande à part sur son fauteuil. Oui, chez les vieilles filles, le chat a SON fauteuil, SA gamelle, SON pouf... Vous voyez l'idée. Pas que chez les vieilles filles, bien sûr, mais sincèrement, ce dimanche matin en est tellement la caricature... Pas de tristesse, non, toujours cette mélancolie que j'associe à un vague à l'âme plus profond, où vous laissez les émotions les plus sincères s'emparer de votre moi, vous bercer, vous envelopper, sans recherche d'objectifs, de choses à faire, à finir, à boucler. Juste écouter son moi.

...

Vous savez quoi? Cette intro, je l'ai écrite il y a un an. Le 19 décembre 2021, si je m'en réfère à la plateforme de ce blog. Ce dimanche-là, j'avais été interrompue dans mon élan et je n'ai jamais poursuivi la trame de ce billet.

Pourtant, un an plus tard, je n'en changerai pas un mot. La seule différence, c'est que j'ai maintenant tout loisir de ne pas chercher d'objectifs, de ne pas me soucier de choses à faire, à finir, à boucler. Je peux juste écouter mon moi.

Non seulement je peux, mais je dois! C'est l'injonction d'Abricotine. La maladie vous oblige à une introspection totale et, au risque d'en choquer certains, je considère la mienne comme une... opportunité.

Une opportunité ? Dis, elle est bonne, ta coco, la mouette?

Oui, ma tumeur cérébrale est une opportunité. Depuis qu'elle m'a contrainte à mettre en pause l'activité de mon entreprise, elle m'a paradoxalement ouvert les yeux - qui voient pourtant double, merci la coquine. Depuis cette décision, la semaine passée, je me sens enfin alignée et je dors comme un bébé, moi qui avais fini par copiner avec madame l'insomnie.

La maladie - parce que c'en est une, je l'ai enfin admis - me contraint à faire ma mue et j'entrevois soudain quelques subtilités de l'existence que mon agitation permanente d'avant m'a toujours empêché de toucher du doigt.

Notre vie s'appuie sur des repères temporels communs. La naissance, l'enfance, l'adolescence, le passage à la vie adulte, la vie adulte, la vieillesse et cette notion folle du temps qui passe, sans que l'on puisse rien n'y faire. Notre vie est aussi marquée par des temps forts, une naissance, pourquoi pas un mariage, un divorce, cet éternel recommencement entre les espoirs émergents et les désillusions perdues. Les étapes s'enchaînent et plus rien n'est jamais pareil ensuite.

Depuis 2020, on peut y ajouter le confinement, évidemment.

Et, depuis cette année, dans mon cas, la maladie.

Bien sûr, ce n'est pas la première fois que je tombe malade et mon adolescence a été marquée par une autre saleté, l'anorexie, qui aurait pu me faire basculer dans un au-delà hypothétique. Mais la force de vie que j'ai toujours ressentie m'en a prémunie, à l'époque.

Non, là, je vous parle d'une maladie - dont je vais guérir, très probablement - mais qui ne laisse pas d'autre choix que de se libérer de sa carapace. Je sais déjà que rien ne sera plus comme avant, qu'il y aura un avant et un après. Et vous savez quoi? Ce n'est pas grave.

C'est une chance, je vous dis!

Hier soir, les propos de Guy Corneau dans son livre "Revivre" ont ainsi particulièrement résonné: "Je voudrais dire aux personnes qui sont malades que le principal bienfait de la maladie consiste précisément à se dépouiller de son personnage principal. Je voudrais tant les les aider à entrer dans la grâce de ces moments où nous ne pouvons plus prétendre à quoi que ce soit."

La grâce de ces moments... Libérée de cette pression permanente de faire, de me battre pour des objectifs parfois un peu absurdes, soulagée de ne plus subir les attentes des autres, leurs exigences incongrues, leur agressivité parfois, je la sens, cette grâce. Juste sentir les battements de son coeur le matin, au réveil, le tissu qui se froisse sous mes doigts, savourer le calme soudain de cette chambre ou de ce salon, respirer. Je sais, cela ne fait pas une vie. Mais la vie doit-elle toujours ressembler à ce tourbillon où l'on se débat et tourne comme un hamster dans sa cage?

En écrivant cela, je m'interroge sur mes aspirations profondes et au sens de mon existence sur cette terre, finalement. Je crois sincèrement que ma mission est de nourrir les autres. Le sens en est large. Je sais que je peux encore le faire, autrement. L'univers me laisse ce temps pour faire ma mue. J'en ressens une gratitude infinie.

Vous allez vous dire, mais, elle a fumé quoi, la Mouette, vraiment? On lui colle une tumeur et elle remercie l'univers?

Bien sûr, quand je me lève le matin, je ne sens pas juste les battements de mon coeur, le tissu qui se froisse sous mes doigts, le calme soudain ou ma respiration apaisée. Sans vouloir jouer les drama queen, quand j'ouvre les yeux, je perçois le voile, je vois trouble et double et je me sens dans le brouillard, comme dans un état d'ébriété permanent.

Bien sûr, j'ai un peu peur, j'ignore si Abricotine continue de grossir mais je sens bien que les nausées et les céphalées se sont intensifiées depuis quelques jours. C'est bien pour ça que j'ai accepté ces rayons qui vont brûler (un peu) mon crâne.

Bien sûr, je connais leur nécessité, comme je connais celle de cette pause, comme un temps suspendu pour offrir à mon esprit de la hauteur, comprendre mon état de mortelle et l'envisager comme une chance.

Chez un reptile, la mue dure entre 7 et 14 jours. Je sais qu'il m'en faudra bien plus pour l'achever. Mais je suis prête et me libérer progressivement de cette enveloppe m'apaise tellement!

Un jour, peut-être, je verrai cette exuvie comme le symbole de ma vie d'avant. Je la regarderai avec de l'affection, avec sans doute un peu de cette mélancolie qui m'enveloppe tant. J'ai conscience que l'on ne change jamais complètement et je ne vais pas me transformer en un moine bouddhiste humble, détaché de toute velléité.

Mais je vois maintenant Abricotine comme une alliée, qui va m'aider à aller chercher cet autre moi, dans ce vide que j'ai tellement appréhendé.

mardi 22 novembre 2022

Déconstruire


 Ce dimanche-là, c'était comme un été indien complètement improbable. Songez plutôt, en novembre, là où on a habituellement sorti écharpes et manteaux, le ciel était immaculé et la météo plus que clémente. Pas un brin de vent non plus. Imaginez donc ma surprise devant cet arbre courbé, qui s'est accommodé de sa condition, à force de bourrasques, et a pris cette forme insolite.

L'arbre plie, mais ne rompt pas.

Cette image m'a sauté aux yeux. J'y ai vu une belle métaphore de ma modeste existence.

Après deux mois, malgré mon arrêt maladie, à tenter de sauver les meubles, à répondre par mail ou téléphone comme si de rien n'était aux clients, à m'en cacher quand même - mon air de borgne peut effrayer, je le concède - il a bien fallu me rendre à l'évidence. Un dernier accroc m'a convaincue de jeter l'éponge. J'ai dû mettre en pause mon entreprise pour me concentrer sur ma santé, rapport que le corps, on n'en a qu'un et qu'Abricotine est dans la place.

Une telle décision n'est jamais simple. Ceux qui me suivent depuis le début savent quelle énergie j'ai dû déployer pour faire naître, grandir et voir se développer mon bébé. C'était même le fondement de ce blog, en 2009!

Pourtant, je l'ai prise comme une évidence, ce week-end.

Le lundi, j'ai appelé mes partenaires, puis les clients directement impactés par cette décision. Puis, j'ai informé les autres, modifié les messages sur ma boîte mail et vocale... 'Plus de commandes, plus de prestation, plus de cours..." Tout ce que j'avais mis en place a disparu en une seule journée. L'entreprise va devenir comme un fantôme... Au fil des heures, je sentais que j'étais en train de déconstruire ce projet qui m'a tant animée. En quelques coups de fil, en quelques lignes et messages, j'ai rangé mon bébé dans un placard, bien au chaud.

Ont défilé dans ma caboche toutes ces images, tous ces souvenirs, ces montagnes russes, mes joies lors des premières signatures, mes quelques désillusions parfois, toutes ces premières fois que j'ai vécues comme autant de challenges. La vie parfaitement classique d'un entrepreneur, somme toute, qui se lance en n'ayant heureusement peu conscience de ce qu'il va vivre - sans quoi, personne n'irait ainsi se jeter dans la gueule du loup.

Je n'ai aucun regret. Je ne pousserai pas l'audace jusqu'à remercier Abricotine, car la cocotte n'a clairement rien à faire dans mon cerveau, cette coquine et, qu'elle soit prévenue, ça va bientôt lui chauffer les fesses. Mais si besoin il était, je prends plus que jamais la mesure de la fugacité de notre existence et j'ai bien l'intention d'aller en savourer toute la moelle.

Face à l'adversité, j'ai plié mais soyons clairs: pas question de lâcher l'affaire. Je suis vivante. Et si Abricotine veut se la jouer warrior, je saurais me souvenir de cet arbre de Pen Bé, symbole de résilience et de sagesse.

dimanche 30 octobre 2022

Karma

Je suis pas très compet', généralement. Joueuse de basket depuis mes 7 ans, je me souviens, gamine, être allée à une détection afin d'intégrer un pôle jeune régional. J'en suis revenue écoeurée. Quelques années plus tard, alors que j'étais lycéenne, j'ai vu une fille se réjouir de la blessure au genou d'une de nos coéquipières - la place était libre. Détruire l'autre pour se mettre en valeur, très peu pour moi.

On est d'accord que c'est une conception très primaire de l'esprit de compétition, mais la petite fille de 10 ans ou même l'ado de 15 ans n'a gardé en tête que cet aspect binaire.

Bref, l'esprit de compet, très peu pour moi, vous l'avez compris. Et pourtant, en ce moment, je suis à fond avec mon amie Flo pour le titre du pire karma. Elle a démarré très fort, avec un bon paquet de gros trucs lourds à gérer, on est d'accord. High level. Je l'ai crue un peu hors compet', d'ailleurs. Mais samedi dernier, quand on s'est vu, elle a reconnu que j'étais en train de remonter la pente.

Genre, façon sprinteuse.

Pensez donc. Un fils aux urgences, un chef qui lâche l'affaire alors que tout reposait sur lui pour sauver mon entreprise - que je croyais -, un oncle malade et une grosse envie de me pendre : si elle a hissé le niveau très haut, hey, je me suis dit que j'avais quand même moyen de la rattraper si je continuais sur cette voie galérienne. Prétentieuse? Ou Caliméro? Loin de moi l'idée de passer pour une victime, mais comment dire, ça faisait beaucoup, là, non?

Serait-ce le karma? Ce petit mot que j'aime lâcher à certains énergumènes qui se pensent au-dessus des lois? Je ne suis pas méchante, non, je ne veux de mal à personne, non. Simplement, je me dis souvent que le karma s'en chargera. Mais c'est quoi, au fait, le karma? Alors, je prends le Robert.

Karma : Nom Masculin. Dogme central de l'hindouisme, du bouddhisme, selon lequel la destinée d'un être vivant et conscient est déterminée par la totalité de ses actions passées, de ses vies antérieures.

Avec Flo, on s'est dit qu'on a dû être des sacrées connasses pour que le sort s'acharne ainsi. 

Et pourtant, je le sais, la roue tourne. Souvent. Je me suis demandée jusqu'où je pouvais m'enfoncer mais à chaque fois, la chance finit par revenir. Bon, présentement, avec Abricotine dans ma caboche, on n'est pas sur un super tirage au Loto, on est d'accord, mais c'est une question de patience. Aux crises succèdent toujours des moments de grâce.

J'ai aussi constaté qu'à chaque fois que cela allait trop bien dans ma vie, le petit retour de bâton se faisait sentir. Flo, elle a une théorie là-dessus: elle pense que nous avons l'une et l'autre la capacité de nous émerveiller de petits bonheurs de la vie. De transformer des petits moments que d'aucuns jugeraient banals (je n'ose plus employer le terme de "bénin", rapport à Abricotine) en instants suspendus.

Du coup, le karma, pour pas qu'on s'enflamme, nous balance du lourd pour rééquilibrer le tout. S'agirait pas que nous nous sentions plus heureuses que les autres en deux coups de cuillère à pot, juste parce que l'on entrevoit de la poésie à chaque coin de rue.

Je trouve cette théorie parfaitement plausible.

Cela étant, je l'avoue: je serais curieuse de connaître nos méfaits antérieurs parce que le boomerang, ce saligaud, est quand même drôlement costaud dans cette vie-là :)

dimanche 23 octobre 2022

Dialogue avec l'univers (et autres facéties)

 Hey oh, y'a quelqu'un?

...

Hey? Tu m'entends, toi, là-haut?

... 

J'ai dit un truc qui fallait pas?

...

J'ai FAIT un truc qui fallait pas?

...

Silence radio. Le truc s'amuse à me balancer des obstacles à tire-larigot, m'envoie des messages plus ou moins codés, me fait bien sentir sa surpuissance mais alors, quand il s'agit de discuter, y'a plus personne.

Hey, l'univers, toi aussi tu te défiles?

...

Rappel des faits (pour ceux qui n'auraient pas suivi :) )

Après une première carrière assez palpitante dans le journalisme, je change de cap professionnel. Je découvre les joies de la création d'entreprise, j'essuie quelques plâtres. Je veux ouvrir un restaurant. On m'explique, logiquement, que "je suis pas du métier". Je dois faire machine-arrière. J'essuie quelques plâtres, mais comme je suis plus têtue qu'une mule, j'y retourne. J'obtiens mes diplômes en cuisine et pâtisserie. J'essuie quelques plâtres (pour le détail de ces joyeuses montagnes russes, je ne saurai que vous conseiller d'aller farfouiller dans les archives de ce modeste blog, dans l'hypothèse farfelue où vous auriez du temps à perdre).

En 2016, je lance mon bébé, ma petite entreprise. J'essuie quelques plâtres mais je tiens bon. L'auto-entreprise devient SARL, j'embauche, je vois le bébé grandir, grandir. Quatre tendinites, mes deux bras sont un peu à l'agonie, je serre les dents, la boîte continue d'évoluer. Arrive le Covid. On n'est plus trop sur des petits plâtres, là. Mon expert-comptable me conseille de déposer le bilan, mais je suis têtue, une fois encore. J'essuie quelques plâtres mais on résiste. Bébé a survécu à la pandémie.

La crise s'éloigne, les gens veulent tous manger, boire, vivre, partager des moments ensemble. J'ai toujours très mal aux bras, mais j'ai un peu de renfort, je serre de nouveau les dents et je respire davantage. Je vois les chiffres décoller, je refuse des commandes, je me pince parfois pour y croire et me frotte les yeux pour rester éveillée, parfois assommée par la charge de travail. 

Par la charge mentale, aussi. J'essuie quelques plâtres, oui, face aux clients plus exigeants et agressifs que jamais. Complètement désinhibés, certains se lâchent sans vergogne et je serre les dents, oui, encore.

Et puis, au retour des vacances, cet été, je sens que je ne suis pas dans mon assiette. D'un coup, prise de paralysie faciale et de diplopie, je ne suis plus en mesure d'essuyer les plâtres.

Je vois double? On m'annonce, dans la plus fine délicatesse, Abricotine dans la place. Question immédiate : comment je gère mon entreprise, maintenant que je suis en arrêt longue durée? Dans ma chance inouïe - oui, je crois naïvement être dotée d'une bonne étoile, c'te blague - je dégote LA perle. Le chef cuisinier qui coche toutes les cases, qui va pouvoir me remplacer.

Je me surprends à penser qu'Abricotine, c'est un mal pour un bien, qu'elle me permet de prendre du recul et de retrouver un semblant d'équilibre, après tout. Rien qu'à écrire le résumé de presque sept ans d'activité, je sens combien je suis souvent passée en force, qu'il a fallu batailler. Oui, essuyer quelques plâtres, encore et encore. Soudain, ce chef arrive. Il semble impliqué, vraiment, on va bien bosser, ensemble, et moi, je vais pouvoir me reposer sur lui et prendre soin de moi.

Alors, l'univers m'aurait-il envoyé une bouée de sauvetage?

Sincèrement, j'ai eu ce sentiment. Enfin, j'allais pouvoir piloter à distance mon entreprise en laissant faire d'autres personnes que moi.

Limite si je ne plaçais pas Abricotine au statut de meilleure alliée, la coquine.

Mais c'était compter sans l'univers, cet enfoiré.

Hier matin, mon fils m'appelle. Il semble secoué, ca va pas, me dit-il. Il vient de tomber en trottinette électrique, il a mal partout. Il va aux urgences, à 700km de chez moi. Je sens mon estomac se nouer, très fort.

J'appelle mes parents pour leur dire que je comprends enfin ce qu'ils pouvaient ressentir quand je les appelais, à l'autre bout de la France ou du monde, pour leur annoncer une chute, un passage aux urgences ou un vol de carte bleue à New York. Je partage maintenant le même sentiment d'impuissance et d'inquiétude mêlées. A l'autre bout du fil, ils m'annoncent une très mauvaise nouvelle relative à l'un de mes oncles. Mon estomac se noue plus fort encore.

Là-dessus, le chef - si, si vous savez, mon sauveur (j'aurais dû me souvenir du terrible triangle Sauveur-Bourreau-Victime, aussi...) - m'appelle. Il veut passer me voir pour discuter - ce que je lui avais demandé la veille, pour faire un point, sentant les premiers doutes pointer.

Le chef part. Trop de travail à ses yeux. Pas jouable. Fin de la partie.

...

Le château de cartes s'écroule. Toute l'énergie passée à élaborer le plan parfait, boum. Terminé, fin de chantier.

...

Hey oh, y'a quelqu'un?

...

Hey? Tu m'entends, toi, là-haut?

... 

J'ai dit un truc qui fallait pas?

...

J'ai FAIT un truc qui fallait pas?

...

A moins qu'il s'agisse de mon karma? 

Je vous en reparle.

jeudi 13 octobre 2022

Abricotine 1- La Mouette 0


 C'est marqué: le bonheur est à ma portée. Enfin, presque. Il est 22h48, je suis au lit et je tente de tout remettre droit dans ma tête. Revivre le fil de ces dernières 48 heures. OK. On y est.

Hier, rendez-vous au CHU pour une batterie d'examens ophtalmiques. Je vous passe l'attente interminable, la gamine qui ne veut pas passer les tests, qui hurle et et qui fait patienter tout le service, cette autre dame qui conseille à sa maman de supprimer les "spasmes" sur son téléphone, "parce que c'est de la pub" ou encore le quinquagénaire qui pète un câble d'avoir trop patienté et qui s'en prend à une infirmière avec une violence inimaginable. Ce monde est un zoo, au cas où j'avais encore quelques doutes sur la question.

Bref,  au bout de quatre heures, il paraîtrait que je vois double. Ah bon?  Je me disais aussi, c'était bizarre, ces paires de tout. On me propose de répondre à un questionnaire pour "patients strabiques adultes." Je vous vends du rêve, je le sens.

L'interne, de son côté, semble s'étonner que je sois en arrêt maladie. Elle me demande:

"Mais enfin, avec un cache sur l'oeil, vous avez essayé de cuisiner?"

Euh, avec un cache sur l'oeil, ça te plairait de tester combien mes couteaux sont bien affûtés? Comment dire? Ai-je la sensation d'être un peu comprise? Ai-je la réponse à mes questions?

Peut-on attendre de personnes surmenées un retour chaleureux?

Vais-je gagner au Loto?

Vous avez bien compris. Pas la peine de venir avec une quelconque illusion dans ce genre de lieu, au risque de la gaspiller. Ici, on n'est pas là pour enfiler des perles ou vous expliquer que ça va aller. Clairement, mieux vaut mettre un cierge que d'espérer quoi que ce soit. Je soupire, je me lève et lorsque je sors enfin de ces couloirs tristes, je me concentre sur la chaleur des rayons du soleil, et sur le VRAI rendez-vous à venir, avec le neurochirurgien. Au moins, j'aurai des réponses.

Ah, ah, c'te blague.

10h, jeudi matin. Je me sens étrangement nerveuse. Vous savez, cette sensation bizarre où vous imaginez le couperet au-dessus de votre tête, mais vraiment juste au-dessus, prêt à tomber... J'essaie de m'extirper de cette zone délicate et stérile, en triant ma boîte mail et répondant à tous les devis. Bien lovée dans mon plaid, je m'extraie de ma petite réalité pour sauver mon entreprise.

13h. Mission accomplie, j'ai renvoyé toutes les propositions, répondu à quelques coups de fil, comme si de rien n'était. J'ai mal au ventre. Allez, bientôt l'heure, celle, j'espère du soulagement, où le monsieur en blouse blanche va me dire que bim, bam, boum, l'invitée surprise va être dégommée.

16h et des poussières. Bim, bam, boum, mon sang ne fait qu'un tour à la vue de ce médecin physiquement intelligent qui pousse le fauteuil de son patient. "M'sieur, m'sieur, moi aussi, j'ai besoin de soin". Je suis pathétique, j'en conviens parfaitement, mais que voulez-vous, avec mon amie venue m'accompagner, on a besoin de distraction. Les murs verts de la salle d'attente contrastent avec la blouse orange de ce monsieur en fauteuil roulant ou encore de la tenue rose de cette femme qui se balade avec sa petite poche et son cathéter. Les affiches évoquent la maladie de Parkinson ou de Charcot et j'ai soudain l'impression d'avoir basculé dans un monde parallèle, celui où la mort s'apparente à une délivrance.

Autant vous dire qu'un soupçon de physiquement intelligent, ça ramène à la vie. Le neurochirurgien m'appelle - il ne fait pas partie de cette catégorie, mais bon, je ne lui en veux pas - on rentre dans son cabinet. Il me demande ce que je fais là - justement, je me demande aussi. Je lui explique, il écoute vite fait, me coupe la parole parce que faudrait voir à pas trop blablater non plus, me montre l'irm, m'assène le verdict. Avec un tel méningiome, c'est radiothérapie... Blablabla... 30 séances... Blablabla... Un an avant de voir les effets... La tumeur ne disparaîtra pas, il faudra surveiller... Contrôler aussi l'hypophyse... Blablabla...

Dans ma tête, c'est blackout total. Je bredouille, avec cette sensation d'être une enfant de 4 ans à qui on expliquerait pourquoi elle n'aura plus droit de jouer pendant un bon moment. Mon amie, espérant réveiller mes neurones ensuquées, enchaîne et pose des questions. "Quels sont les effets secondaires?" "Quelle est la taille de la tumeur? " Ben, vous voyez bien, c'est à taille réelle". "Ah oui, un abricot sec, alors!"

OK, je regarderai donc officiellement différemment les abricots secs, désormais. Celui qui loge dans mon crâne a décidé de prendre racine, et les annonces successives du chirurgien qui ne voit clairement pas l'intérêt de toutes ces questions, finissent de m'enfoncer six pieds sous terre. Je pensais naïvement qu'Abricotine, appelons-la ainsi, allait se faire griller par les rayons et que d'ici deux ou trois mois, tout ça serait rentré dans l'ordre.

Le monsieur en blouse blanche m'indique juste que j'en ai pour un bout de temps, que je ne vais pas retrouver ma vie d'avant... mais qu'il ne peut rien dire de plus précis. A vrai dire, il s'en tape, il va même pas pouvoir m'opérer - c'est impossible dans cette zone.

Si je veux être honnête, je n'attendais pas de ce médecin qu'il m'enveloppe d'une supposée humanité et qu'il fasse mine d'être un peu concerné. Mais s'il avait pu, je ne sais pas, me regarder une seule fois dans les yeux ou me laisser quelques minutes pour digérer la chose, peut-être aurais-je pu me reconnecter au réel, ramasser les bouts de neurone éparpillés partout et retrouver un semblant de dignité.

Non, lui, il s'est levé avant même d'attendre de savoir si on avait encore des questions, parce que c'est pas tout ça, mais faudrait voir à dégager le plancher.

Avec mon amie, nous sommes reparties, un peu choquées, je crois, de si peu d'empathie. Il y en a une qui devait rigoler, là-haut.

Abricotine 1- La Mouette 0.

Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.

dimanche 9 octobre 2022

Laisser le rêve distiller l'esprit

 Sous la chaleur douce de la couette, j'ouvre les yeux avec un sentiment de victoire. Cette nuit, j'ai triomphé sur l'insomnie. La cocotte a sonné vers 2h30 du matin, comme d'habitude, et je l'ai atomisée, à coups de poings fermés et d'auto-persuasion. La fatigue de ces derniers jours s'est avérée une belle alliée, je dois dire.

J'ouvre les yeux, je devine le soleil à travers le store, je regarde l'heure, sur le réveil, c'est indécent. 10h du matin.

J'ouvre les yeux, je tourne lentement la tête vers la gauche. Je vois double. Mince, toujours là, le truc.

Les grasses matinées, le petit théâtre de l'après-midi, le thé ou l'apéro avec les copines, le ciné le soir, les câlins de mes chats, les BD et livres que je dévore de façon boulimique... C'est comme des grandes vacances, en ce moment. A vrai dire, je me sens un peu dans le rôle de l'imposteur. Je suis arrêtée, en pause, mais ça va. Comme me l'a répété mon médecin, ce que j'ai est "bénin", "courant". Je vais guérir. Oui, j'ai mal au crâne souvent, oui, ça tourne pas mal, oui, je vois double, mais je me sens tellement plus reposée, plus créative, plus ouverte!

Aurais-je pris un ticket gagnant pour la loterie?

Les regards autour de moi n'en sont visiblement pas convaincus. Je sens parfois ce mélange de pitié et d'impuissance, lorsque l'on me demande pourquoi je me balade avec un pansement sur l'oeil, telle une pirate. Comme si le monde m'était tombé sur la tête et que j'étais la seule à ne pas m'en rendre compte. Ca va, je vous dis. C'est bénin.

Bénin, bénin, bénin... Mais pas rien, si je veux être parfaitement honnête.

Quand t'as un truc qui squatte dans ton crâne, cette boîte qui commande tout ton corps, tu te doutes bien que derrière la grosse promo que je viens de vous faire de mes vacances, il y a ce petit côté obscur. Les doutes, que tu balaies d'une main, mais qui reviennent avec la même cruauté que les insomnies, les questions, le spectre de la perte, cette sensation désagréable de l'avant/après. Comment ce sera, après? Aurai-je toujours la même énergie? Retrouverai-je mon autonomie (j'adôôôôôre être le boulet qu'on transporte de droite à gauche, interdiction de conduire oblige) Mon entreprise va-t-elle survivre?

Je balaie tous ces questionnements d'un revers. Ce que tu as es bénin.

Bénin, bénin, bénin.

C'est vrai que l'on relativise. Ce n'est pas cancéreux, je ne suis pas bloquée dans une chaise roulante, j'ai toute ma tête, je ris, j'ai de l'appétit, je repère encore les physiquement intelligents dans la foule, je savoure ces bribes de liberté retrouvée. Oui, c'est tout le paradoxe, je suis coincée chez moi, peu ou prou, mais je me sens plus libre, libérée de nombre d'obligations, de contraintes.

La petite voix dans ma tête me rappelle que ce n'est pas ça, la vie. Qu'il faudra retourner au charbon, un jour, quand ce truc bénin se dissipera dans ma mémoire, et même avant, quand les rayons auront fait leur oeuvre et brûlé l'invitée surprise.

Mais pourquoi la vie devrait n'être qu'une bataille? Je veux goûter les bons côtés de cette pause forcée et en tirer les enseignements. Après, je l'espère, je mettrai en oeuvre mon plan d'il y a longtemps. J'irai construire mon grand projet, là-bas, vers la Bretagne. Tout est en friche, évidemment, mais j'ai envie de dormir à poings fermés pour laisser mon rêve distiller et grandir dans mon esprit.

Donc, les insomnies, les doutes et la boule dans la tête, vous êtes gentils, mais faudrait voir à pas trop s'éterniser, d'accord? 

mercredi 28 septembre 2022

La bulle et le vertige

Ceux qui me connaissent savent combien je suis bordélique. Mais attention, c'est un bordel organisé. Si l'on excepte les clés, que je perds effectivement tout le temps, je retrouve toujours mes petits. 

Pourtant, même une bordélique comme moi aime ranger, trier, organiser, parfois. Quand je partais en déplacement, lorsque j'étais journaliste, ou même en vacances, j'aimais bien le faire l'esprit serein, en rangeant chaque chose à sa place.

Eh bien, en ce moment, c'est pareil. Chaque chose à sa place avant le grand départ vers... ce que j'entrevois comme ma bulle. Avant d'entamer un parcours de soin aussi sympathique qu'un dimanche soir à Roubaix sous la pluie (je parle en connaissance de cause), je pose tout, je répertorie, règle les affaires courantes, sans vraiment me concentrer sur ma pomme. Je veux sauver mon entreprise, mon bébé, et je fais tout pour éviter de voir couler à pic le fruit de mes efforts depuis plus de six ans, juste pour une sombre histoire de tumeur mal placée.

Pourtant, je ne suis pas dupe. Il est un moment où, une fois tout ça réglé, il me faudra bien regarder la réalité en face. Je ne me sens pas vraiment malade, mais il paraît que je le suis.

Quand je me lève le matin, certes, c'est flou tout autour. Certes, je ne peux plus conduire et je vis avec l'un ou l'autre oeil couvert d'un pansement - appelez-moi pirate. Certes, je vois double et ça tourne pas mal : je sens bien que, au niveau équilibre et démarche, je pourrais rivaliser avec quelques imbibés à 3 grammes d'alcool dans le sang, si j'ouvrais les deux yeux en même temps.

Mais je peux danser en pilou dans mon salon, me concocter un petit smoothie maison, aller au restau, prendre une douche à 15h, écouter ce qui me chante, bouquiner tranquillou, regarder un film entier sans m'endormir - exploit pour moi, depuis trop longtemps.

Je peux prendre le temps, tout simplement, faire toutes ces choses si simples dont je me sentais privée, ensevelie par la charge mentale de ces dernières années.

Pas si mal, non?

Pourtant, je sens poindre l'angoisse, le soir. Une sorte de vertige, sans doute parce que je ne sais pas encore à quelle sauce je vais être mangée. Laissée dans la nature, j'attends qu'un neurochirurgien daigne me recevoir. Je sais juste que je vais recevoir des rayons, mais quand, alors là...

Difficile, alors, de trouver le sommeil, cette chose qui m'a tant manquée et dont je pensais me délecter. Mes nuits sont agitées, tout s'entremêle. Cette nuit, je me dédoublais: j'étais, semble-t-il, le traiteur du mariage auquel j'étais invitée. Et alors que je buvais en songe du Champagne, je faisais voler en éclat une assiette en porcelaine.

J'en ai eu aussitôt la conviction, en me réveillant en sueur. Cette assiette qui se brisait en mille morceaux, c'est le symbole de cette voie que je suivais et qui vient d'exploser en plein vol. Elle n'a pas détruit toutes mes illusions, mais je sens que mon corps s'en trouve un rien ébréché. Charge à ma bulle de le protéger suffisamment pour revenir plus fort, quand tout sera derrière moi.

Cette manie que j'ai d'en mettre partout, aussi :)

dimanche 25 septembre 2022

Le vertige d'un voile qui se pose

 Le ciel est bas, gris. Quelques jours plus tôt, sur une plage bretonne, je savourais encore les derniers rayons du soleil sur ma peau tiède. Une parenthèse dans cette rentrée un peu folle, le jour, aussi, où j'ai senti que ça flanchait.

J'attends. Je cherche l'éclaircie. J'espère vite sortir, je me sens comme un lion en cage, je ne cesse de répéter que ma place n'est pas ici, même si la petite voix là-haut me le suggère sans cesse depuis quelques jours. Je ne suis pas ici par hasard.

Pourquoi il fait si moche, aujourd'hui? C'était tellement lumineux, il y a peu, sur cette même plage. La réverbération du soleil sur l'eau m'avait même aveuglée, jusqu'à ce que je vois double.

Ce dimanche, je nageais un peu au large dans l'eau fraîche du Golfe. J'ai frotté mes yeux une fois, deux fois, dix fois. J'ai respiré un coup, J'ai mis la tête sous l'eau, comme si ça allait tout effacer, comme si j'allais retrouver aussitôt une vision claire.

C'est long, vraiment. J'entends le bruit des chariots, les pas parfois un peu lourds et surtout las des brancardiers, les bribes de conversation des aides-soignantes. Je ferme les yeux, je repense à ce sentiment contradictoire de bien-être ce dimanche soir, les pieds dans le sable à déguster des huîtres, et d'inquiétude, parce que j'ai eu beau frotter les yeux et respirer, la vue est restée trouble et double.

La porte s'ouvre. Des blouses blanches. Il y a le professeur, je distingue tout de suite son espièglerie et son expérience. Il a de grosses lunettes noires et le regard assuré. Je vois aussi l'interne, jeune femme déterminée et studieuse, qui m'a déjà longuement consultée. Je reconnais l'externe, qui s'était excusée deux jours plus tôt, de se transformer en inspectrice, au vu de son interrogatoire poussé, qui me scrute avec un mélange de douceur et d'inquiétude. Je me tourne vers la gauche, j'ai l'impression de voir une douzaine d'externes supplémentaires - l'effet de ma vue double. Ils sont en fait six, je pense.

Ils se postent devant mon lit. Je plaisante sur le fait qu'ils arrivent en force, mais en vrai, je n'en mène pas large. Ca s'apparente à un cas d'école... Je dois expliquer, pour la millième fois, je pense, ce qui m'a amenée sur ce lit d'hôpital en service neurovasculaire. Une sorte de paralysie faciale quinze jours plus tôt, une vue qui se trouble, un voile qui se pose, soudainement, en pleine journée de travail. La sensation de tournis permanent, comme une gueule de bois qui n'en finirait pas. La vision double, sur cette plage, qui persiste et ne me quitte plus. Un premier passage aux urgences, un deuxième, un scanner passé, un samedi soir si froid, un nouveau passage aux urgences et l'arrivée dans ce service où, malheureusement, les patients mutiques ou invalides sont bien plus nombreux qu'un repas digne au CHU.

Le professeur me fixe, questionne l'interne, annonce presque triomphant: "oui, bah, c'est la 5 et la 6!". L'interne, acquiesce, le ponte a deviné sans même avoir vu l'IRM. Il se tourne vers moi et m'annonce: "vous avez un méningiome."

...

Devant mon regard ahuri, il précise: "ne vous inquiétez pas, c'est une tumeur bénigne située à l'extérieur du cerveau."

Tumeur... Cerveau... Comme lorsque je me frottais les yeux pour dissiper le malaise, je voudrais me pincer pour me réveiller. Le professeur le sent, il me saisit le bras doucement, me demande si ça va.

Impeccable.

...

"Oui, je balbutie, je crois que j'aurais espéré que ce soit juste du surmenage, du stress..."

"Vous savez, le stress génère tellement de maladies qu'on ne maîtrise pas! Au moins, ça, c'est carré, la médecine connaît et sait faire, on va vous soigner!'

Partagée une nouvelle fois entre un sentiment de soulagement et d'inquiétude, j'ai soufflé. J'ai regardé la fameuse tumeur sur les clichés, cette masse blanche qui a fait basculer mon quotidien depuis peu.

Je crois que j'ai haussé les épaules. C'est pas la première fois de ma vie où une bataille se présente. Ce truc dans ma tête, on va le dégommer.

Je n'avais pas besoin de cet épisode pour prendre conscience de l'importance de vivre le temps présent. Mais puisqu'il en est ainsi, eh bien, je vais vivre plus que jamais mes intuitions, inspirations et envies. Pour déchirer ce voile qui s'est posé et qui a mis en pause une vie parfois survoltée.

dimanche 23 janvier 2022

Confession d'un mouton

 Aaaaaaaaaaaaaah!!!!!!!!

Rrrrrrrrrrrrrrrrrr....

Oooooooooooooooooooh!

Non, je n'ai pas Tourette. J'essaie juste de décrire ce qui se passe dans ma tête, là, à 12h39. Une bonne demi-heure que je patine sur cet état vain, que je vais laisser passer tranquillement, ne vous inquiétez pas pour ma santé mentale.

C'est juste que là, aujourd'hui, j'avais rendez-vous pour la 3e dose... Oui. Je ne suis pas fière.

Le débat, ça fait des mois qu'il agite mon cerveau. Je voulais pas me faire vacciner, je voulais pas non plus cesser mon activité pro, j'ai cédé, une fois, deux fois. "Pas le choix", ai-je pensé comme un bon mouton.

 J'avais dit "pas de 3e dose" et tu parles, comme un bon mouton, j'ai pris RDV il y a un ou deux mois, sans savoir à l'époque que le pass vaccinal passerait le lendemain de ma piqûre, t'obligeant à avoir tes trois doses juste pour vivre normalement, en gros.

Ce matin, quand j'ai pris le volant pour aller VOLONTAIREMENT (Hum, on en parle, de la prétendue volonté, philosophiquement parlant?) me faire injecter du poison dans mon sang de mouton, j'ai eu un flash. Et si je faisais demi-tour? Et si je réagissais? Et si j'arrêtais de suivre les obligations, oups, pardon, les prescriptions gouvernementales? On le sait, pourtant, que le vaccin ne peut rien contre le Omicron. Je vais me faire piquer alors que j'ai pas envie et surtout que ça ne sert à rien?

WTF, comme ils disent, les Américains.

Le petit cirque a donc repris dans ma tête. Rappelle-toi pourquoi tu y vas. Le boulot, avec obligation de dégainer ton blanc-seing lors de certaines livraisons. Ta prochaine virée à Paris en février, en train, avec le sésame pour accéder aux expos dont tu rêves depuis trop longtemps. L'envie qu'on te foute la paix...

Mais aussi l'impression de rester dans le système, bien docilement, accepter la volonté étatique, obéir à un "homme" qui souhaite "avoir envie d'emmerder les non-vaccinés". L'impression d'être un bon mouton, encore une fois.

Je vous jure, intérieurement, ça bouillait. J'étais sur le parking et j'attendais, les mains sur le volant, qu'une illumination m'aide à sortir de ce grand traquenard.

Et tel un mouton, j'y suis allée. Le pas sûr, alors que tout me disait d'y renoncer. Et là, petit coup du destin: impossible de retrouver ma carte vitale. Oubliée. Le vieil acte manqué.

"Sans votre carte vitale, vous ne pourrez pas être vaccinée".

Alleluia.

Et là, rebelote, le discours du petit mouton qui raisonne mon envie de prendre mes jambes à mon cou et de voir dans cet oubli le petit miracle de la vie.

"Bon, si vous connaissez votre numéro de carte de sécurité sociale, vous devriez quand même pouvoir vous faire vacciner. Allez-y."

Même topo à l'accueil suivant, puis au suivant encore.

Finalement, l'infirmière m'a demandé "bras gauche ou droit?", j'ai remonté ma manche et j'ai laissé faire. Lâchement. Faiblement. 



J'ai attendu quelques minutes, on m'a délivré ce papier, là. 3/3, score parfait. Même joueur joue encore... pour la 4e dose, qui finira bien par arriver. Même si le deuxième document donné indique clairement : "son cycle infernal vaccinal est terminé".

C'est cela, oui.

En pensant à ce gouvernement si hypocrite, j'ai eu envie de vomir. Ils ont eu ce qu'ils voulaient, encore un tas de petits moutons vaccinés aujourd'hui. Sans doute nous considèrent-ils comme des "bons citoyens". Mais je n'ai pas envie qu'on fasse la distinction entre les "bons" et les "mauvais". Je ne veux pas de leur "bon point", ce petit bout de papier que la maîtresse nous décernait lorsqu'on l'avait réussi plusieurs exercices. Je me souviens de la joie et la fierté que je ressentais à l'époque, dans ma classe, quand elle approchait de mon pupitre et qu'elle me donnait ce bon point (je suis née il y a longtemps, je vous le rappelle :) ).

Là, les émotions sont remplacées par des choses moins nobles, du dégoût, de la haine, de l'agacement. De la rage, aussi, contre toutes ces mesures qui ont été mises en places et contre lesquelles peu de personnes réagissent vraiment. Hormis les quelques 10% concernés par cette "déchéance de citoyenneté", combien se sentent un minimum révoltés par ce qui se passe? Tant qu'on a notre vie, que l'on peut bosser, prendre notre train ou notre avion, aller au ciné ou au restau, on se fait bipper et hop, ça va. Oui, c'est pas fou, comme situation, mais on s'adapte tellement que l'on finit par trouver cela presque normal.

"On" est un con. "On" est un mouton. Et je m'inclus dedans.


lundi 3 janvier 2022

Hystérie collective

Le tube de la saison, y'a pas à dire.

Elle est partout, ici et là. C'est notre nouvelle compagne et elle n'épargne personne.

Elle, c'est l'hystérie collective. Au moins aussi contagieuse que le omicron, peut-être plus dangereuse, même. Attention, hein, je ne suis pas médecin, je ne veux faire aucune comparaison ni me prononcer sur la gravité d'un variant. C'est juste qu'en termes d'ambiance, bon, c'est pas la fête du slip actuellement. Et ce n'est pas juste de la faute du masque qui cacherait des sourires, non.

On est tous devenus tarés. Hystériques. Frappadingues. Mais comme tout le monde l'est, à un degré plus ou moins avancé, ça nous paraît peut-être moins fou. Question de relativité, j'imagine.

Prenez ce matin, par exemple. La SNCF ayant annulé le samedi soir le train que devait prendre mon loulou le lendemain, dimanche, à 6h30, elle devait se douter que le risque de pagaille était haut, le lundi - ben oui, y'avait pas d'autres trains dispos le dimanche, c'te blague. Nous, naïvement, on se pointe sans songer que Loulou n'était pas la seule victime collatérale de cette annulation (due au manque de personnel, touché par le COVID). Et donc pas la seule personne énervée de ce léger contretemps.

On aurait dû anticiper la cohue et la cohorte de pass sanitaires exigés pour accéder au quai. Se préparer comme si on partait faire les magasins le premier jour des soldes (dans un monde où on aurait encore eu le temps, l'argent et l'énergie pour le faire, mais ceci est un autre sujet). En mode warrior, les coudes en avant, les quadriceps affûtés, les rotules au taquet, prêts à se frayer un chemin dans la foule en mode digne, mais combattant.

Pourtant, on s'est fait surprendre. Tout le monde nous est un peu passé dessus devant, nous laissant une sensation d'être piétinés, balayés, en tout cas bien secoués. Vous connaissez mon stoïcisme. Je me suis dit :" Fais un pas de côté, pas de panique, tout le monde aura son train."

Mais c'est là que l'hystérie collective s'infiltre, de façon très ambivalente.

D'un côté, si je me fie à leur attitude "collés-serrés", je me dis que les gens, là, n'ont peur de rien. Alors que je donne du corps à mon hystérie, en imaginant des gouttelettes forcément covidées partout, les voyageurs la jouent Kassav, tranquillement, sans s'émouvoir davantage de devoir dégainer un code-barre pour voyager.

De l'autre, lorsque Loulou et moi décidons de monter dans un ascenseur pour accéder aux quais, une dame nous barre le chemin d'un revers de la main menaçant, nous prenant clairement pour des pestiférés. Elle a peur, elle devient hystérique, la bouche sèche, les yeux exorbités jusqu'à ce que l'on recule.

La peur est partout et nulle part. On craint l'autre, on n'hésite pas à hausser le ton à la moindre contestation, le repli sur soi est plus prégnant que jamais et à côté de ça, chacun vaque, le nez sur son portable dans le hall de gare, le masque raz-le-nez, sans un regard pour personne. Mais allez éternuer et là, ouh, l'hystérie repointe le bout de son nez.

Tu veux te faire remarquer quelque part? Pas besoin de sortir la kala et la ceinture de kamizake, un éternuement et hop, tu auras l'attention maximale.

Clairement, ça sert à rien, mais si tu es un peu con-con ou que tu as une chaîne YouTube, ça peut faire le buzz (je suis affligée par la vacuité de certains contenus, sur Instagram notamment, mais on en parlera une autre fois).

Attention, je ne jette la pierre à personne (quoique. Y'a quand même du lourd). Je suis moi-même touchée par ce mal (des mauvaises langues diraient que dans mon cas, l'hystérie est une compagne de longue date) (mais ceci est un autre sujet) (décidément, il y en aurait, des dossiers, à traiter) (voilà que je recommence avec cette manie de la parenthèse). 

Bref, mon envie de rester dans ce nid à microbes qu'est la gare devait être trop forte, que voulez-vous. Mon côté "amour du risque et de l'expérimentation absolue", sans doute. Car oui, passer deux heures dans un lieu public peut se transformer en aventure de l'extrême, désormais. C'est juste moyennement drôle, mais on a l'adrénaline.

Le déclic, ça a été ce centre de dépistage installé dans le hall. Ayant appris que j'étais cas contact quelques heures plus tôt, j'ai donc décidé de faire un test, plutôt que d'attendre le rdv fixé trois jours plus tard. Au bout d'une heure d'attente, j'ai bien senti monter en moi une sorte de vilain poison (l'impatience est une copine de longue date). Mais je suis restée zen, promis.

L'effort est devenu plus rude lorsqu'une jeune femme nous est passée devant car elle avait RDV.  Elle était donc prioritaire, ce que je ne conteste absolument pas. Non, le truc qui a fait office de détonateur, c'est son attitude nonchalante. En avançant vers nous, que dis-je, en nous frôlant, elle s'est mise à renifler avant d'éternuer, sans émotion aucune - OK, quand t'es malade, t'es pas forcément à ton max, mais enfin, on était sur la tension à 6, là.

Et là, madame hystérie s'est emparée de nous, ma voisine de file d'attente et moi. On l'a regardée, on s'est regardé, outrées, et, sérieusement, on n'aurait pas dépareillé dans un jeu-vidéo. Mais si, vous savez, l'un de ces jeux où tu peux éliminer tes adversaires d'un coup-de-savate-qui-se-transforme-en-bombe.

Mais le pire était à venir, avec une petite fille de 8-9 ans, le masque sous le nez, qui devait avoir très chaud pour que sa scrogneugneu#@ (vous voyez l'esprit Tourette, hein) de mère la ventile avec une feuille de papier, histoire de bien disperser ces fameuses gouttelettes.

Je vous jure, j'avais envie de l'exploser. Ma voisine bouillait aussi. Et quand une dame a tenté de resquiller en disant qu'elle avait la flemme de faire la queue (c'est vrai que nous, on aime bien), elle a bien compris à mon regard que là, non, ça n'allait pas être possible.

Une vraie folle. Pas la dame. Moi.

Et là, j'ai respiré (doucement, dans mon masque, je vous rassure). L'hystérie, elle n'aime pas ça, que l'on respire, que l'on se pose, que l'on réfléchisse. Elle a besoin d'immédiateté, d'agressivité latente, d'agacement, de lassitude, de peur, d'incertitude. Tous ces éléments que nos gouvernants - et nombre de médias - entretiennent goulûment et distillent à nos esprits malades et de plus en plus vulnérables. Dans quel but ? L'hystérique que je suis pourrait envisager un complot, mais je crois que c'est malvenu, actuellement et que, en fait, j'ai l'esprit tellement embrouillé que je ne sais plus où j'habite.

La seule chose dont je sois sûre, c'est que si on cohabite actuellement avec cette hystérie collective, je n'ai aucune envie de m'y habituer.