lundi 29 septembre 2014

Où j'ai voulu décrocher la lune

Mes pieds étaient gelés, par la fraîcheur du sable. Le vent s'était un peu levé et mes deux gilets enfilés l'un sur l'autre ne pouvaient me réchauffer. Je grelottais.
 
Et pourtant.
 
Pourtant, je me suis rarement sentie bien qu'à cet instant. Le froid, la fatigue, les doutes, rien ne pouvait ternir ce sentiment soudain et surprenant de plénitude.
 
 
Sinon, vous croyez que je peux envisager une reconversion dans les cartes postales?
 
Samedi. Il était 20 heures et des poussières, peut-être. Je fixais l'horizon et j'ai saisi ma chance, j'ai mesuré le luxe de prendre ce temps sur cette plage pornicaise, en songeant que ma journée, commencée si tôt, avait pris une sacrée amplitude.
 
...
 
Seize, dix-sept heures plus tôt, j'étais au volant, attendant d'ouvrir le compteur des voitures croisées. Bilan : une. J'ai croisé un autre zozo matinal de tout le trajet, en allant bosser si tôt.
 
Drôle de sensation que celle de mener une vie parallèle, quand la ville dort.
 
A 4 heures du matin, chacun était déjà affairé au labo. Nous avons dressé, dressé, dressé, des multitudes d'entremets tous plus beaux, et puis, nous avons rangé, anticipé, porté, couché, dressé, encore.
 
L'exigence est de mise et, si l'on dépasse d'un millimètre le point exact où il fallait coucher la chantilly, on se sent juste tellement à côté de la plaque qu'il faut vite se ressaisir pour passer au suivant.
 
Il paraît que j'avais des petits yeux. Une semaine de passée, déjà, et des marques de fatigue? En fait, je ne me bats pas tant contre la fatigue (enfin, c'est vite dit, j'ai l'impression que ma couette est devenue l'une de mes visions-fétiche, ces derniers jours) que contre le froid. En passant devant chez... Damart, ce midi, j'ai sérieusement songé à rentrer pour la première fois dans la boutique pour essayer leur truc qui tient chaud.
 
Et puis j'ai pensé que j'aggravais mon cas. Je veux dire, Damart, ce serait pas un peu pour les vieux?
 
Donc, je me suis ravisée. Mais, quand même, ils ont quand même une sacrée cible à viser, parmi ceux qui se gèlent dans les chambres froides.
 
Ben oui, parce qu'un labo comme celui de Vincent Guerlais recèle de ces pièces, tantôt accueillantes (je vous explique pas le shoot dans celui dédié au chocolat...), tantôt... eh eh eh, glaçantes (elle était facile, mais tellement réaliste). Et quand on doit y passer dix minutes, le temps de ranger des plaques de macarons, par exemple, on a beau avoir endossé une polaire, les doigts sont brûlés, et l'engourdissement tarde à s'éloigner.
 
Cette prise avec le réel me donne à voir, vraiment, ce qu'est ce métier. Sa dureté, son décalage avec une vie sociale "raisonnable". Son exigence, mais sa beauté, aussi. J'avoue une légère frustration, parce qu'il s'agit d'une véritable machine et que les stagiaires ne sont pas habilités à réaliser des recettes de A à Z. On pèse - 15,414 kg de crème fraîche, 12, 856 kg de chocolat blanc, 868 g de beurre de cacao... - on dépose les seaux et une autre personne exécute pendant qu'une nouvelle tâche nous appelle. J'aime l'intensité du rythme, moins le peu d'approfondissement.
 
Cela n'enlève rien au plaisir que je ressens de découvrir cet univers.
 
C'est pour cela aussi, je crois, que j'ai tant savouré ce moment, entré directement dans le top 5 de ma boîte à images, parce que j'avais juste à ouvrir les yeux, contempler la beauté de cette nature, suivre naïvement le coucher du soleil et la lente métamorphose des nuages - ce soir-là, le ciel était rempli de dinosaures, allez avoir pourquoi - et être là, sentir mes tensions s'apaiser.
 
Oui, j'aime bien rappeler que la terre est ronde. Et puis, faire des photos droites, non, vraiment, avec un esprit tordu comme le mien, c'est juste inconcevable.

Vous les voyez, ou pas, les grands dinosaures?


J'ai greloté et pourtant, j'aurais voulu ne jamais partir.

Elle n'était pas si loin, la Lune...
 
 
La lune était d'un orange comme jamais je ne l'avais vu. En me relevant, j'ai juste souri. Comme si mes sens étaient à ce point aux aguets que je voyais littéralement un nouvel horizon se profiler, là, à portée de main.
 
 
 
 
Comme si je pouvais décrocher la lune, juste en levant mon bras vers elle.
 

mercredi 24 septembre 2014

Du sang sur la dalle

14h30. Retour maison.

Une tache rouge au sol. Grande, large, imposante. Oui, devant ma maison.

Depuis deux jours, Loulou a été propulsé "grand garçon". Vu l'heure à laquelle je quitte mon home sweet home tous les matins, il se lève plus tard que moi, s'habille, déjeune et part prendre son bus, comme le grand garçon qu'il est, donc. Il a bientôt 11 ans, j'imagine que ce bond dans l'autonomie n'est pas une hérésie.

N'empêche, y'a une tache de sang devant chez moi. Il s'est passé un truc.

Je me précipite sur la porte, dans le couloir, le salon... Loulou trône paisiblement sur le canapé.

Pas de mort, pas de kidnapping, pas de drame.

C'est déjà ça.

"Eh, maman, t'as vu, j'ai fait une blague pour effrayer Marvin quand il va arriver!"

Loulou a mangé un clown, visiblement.

Marvin est donc cet enfant venu passer l'après-midi avec Loulou, sans même remarquer la fameuse tache de sang (du ketchup, en fait).

Pendant ce temps, j'ai failli faire un arrêt cardiaque (enfin, si j'étais cardiaque, je veux dire).

Et, histoire de me finir, Loulou s'est peinturluré les mollets en bleu-blanc-rouge, ce soir, pendant que je préparais le dîner, genre pour encourager nos Tricolores.

Lesquels, je l'ignore, mais il était content de son coup. Moi, beaucoup moins, une histoire de patience un peu bousculée, peut-être.

On me dirait que Loulou a besoin d'attirer mon attention que je ne serais pas étonnée, tiens.

Je comprends pas, je suis tellement disponible en ce moment, pourtant...

mardi 23 septembre 2014

La souris et les fourmis

"Tu es en stage découverte?"
 
Je vous parlais de cette nouvelle jeunesse que j'avais envie de célébrer mais, sincèrement, je ne pensais pas avoir fait un tel bond dans l'espace-temps.
 
Le stage découverte, c'est pour les 3e, non?
 
En même temps, je ne me suis jamais couchée aussi tôt depuis mes années collège... Choix stratégique pour une marmotte telle que je peux l'être car, comme prévu, ce matin, à l'heure du réveil - 5h pétantes - j'ai envisagé de faire la morte.
 
Et puis, en remettant en place deux neurones au moins (mais en vrai, Sarko, il le fait vraiment, je veux dire, il va nous faire la retape, toussa toussa?) (ça se trouve, il a retrouvé ses neurones en faisant son yogging, qui sait) (tu m'étonnes que j'ai pas envie de me lever, lorsque la première image de la journée se fixe sur le nabot) (bref), en remettant en place deux neurones au moins, j'ai saisi l'intérêt de se lever fissa.
 
Eh eh eh, premier jour chez un grand de la pâtisserie...
 
Autant vous le dire, j'ai été impressionnée. C'est une véritable machine, mais avec du vrai humain dedans. Comprenez que j'y ai vu des cuves que je ne pourrais pas porter toute seule, si l'envie me prenait d'appeler mon ami le balai, que j'ai balancé plus de 6kg de chocolat blanc et 2 kg de beurre de cacao dans une seule et même préparation, que j'ai dû assembler au bas mot 500 macarons, coque après coque, sur les 7000 de la fournée...
 
Et qu'en même temps, ce sont de vraies personnes qui œuvrent. Combien sont-ils? Vingt? Trente? On sent tout le savoir-faire de ces chocolatiers, pâtissiers pour qui l'exercice n'est pas une lubie depuis qu'ils sont tombés sur Top Chef, mais bien un métier, une passion, une envie de bien faire.
 
Avec mes deux mains gauches, j'ai été servie d'entrée de jeu puisqu'il était question de poser délicatement une framboise fraîche sur un dôme aux contours fragiles, avant d'entourer le tout d'une non moins fragile spirale en chocolat... Le baptême du feu aura été immédiat.
 
Le Mulinello, ou comment dérouler une spirale comme si sa vie en dépendait...
 
 
Pourtant, pas de stress ni de peur de mal faire, je me sens pleinement dans mon élément, concentrée et appliquée. Pas d'autre alternative, cela étant, tant il est question de minutie et de rigueur.
 
La journée a passé à une telle vitesse que je n'ai fait qu'observer de loin les multiples postes de travail, sans pouvoir m'attarder sur la coupe du chocolat ou sur les dressages de certaines petites tueries qui, une fois décomposées, semblent tout de suite un peu plus réalisables (enfin, on ne s'emballe pas, je mesure la complexité de chaque création). Pas de frustration, je fais ma petite souris au milieu des fourmis et j'aurai encore l'occasion d'assouvir ma curiosité.
 
Pour l'instant, je vais faire ma collégienne de base et voir si Morphée veut bien m'accueillir à l'heure où je démarre normalement ma soirée. Histoire de ne pas me prendre une échelle remplie de pastillage ou de tartelettes dès mon arrivée au labo demain...

lundi 22 septembre 2014

Allons voir l'agitateur de papilles...

Je sens que je vais me coucher tôt ce soir. L'effet du punch que je bois en intraveineuse depuis mon anniversaire, pour noyer le chagrin d'être si vieille en ce miroir vider la cuve que j'avais prévue alors que mes amis ne sont pas des alcooliques?
 
Non. En fait, j'ai un truc à vous dire, et ça fait un moment que j'attends ce jour pour vous l'annoncer.
 
Tin tin...
 
D'ailleurs, depuis près de deux mois, la lettre trône sur mon frigo (je vais peut-être envisager un léger ménage, quand j'y pense, on dirait... ben, rien, justement, mon frigo ne ressemble plus à rien, sinon à un patchwork d'œuvres de Loulou et à des tas de petites notes de partout).
 
A la base, c'était un frigo, avec du miam miam à l'intérieur.
Et on s'étonne que ce soit le bordel dans ma tête, après ça...
 
 
Mais, si, regardez bien...
 
Comment ça, c'est flou? Oui, ok.
Bon, l'important, c'est qu'ils aient le plaisir de m'accueillir dans leur laboratoire, non?
 
Demain matin, je démarre un stage de trois semaines chez Vincent Guerlais. Pour les non-initiés et ceux qui n'ont pas la chance d'habiter la région nantaise, Vincent Guerlais, c'est un chocolatier-pâtissier qui tue sa mère excelle au point de viser le titre de MOF et pour moi, c'est juste un rêve de pouvoir travailler dans son laboratoire.
 
Non, pas pour manger à l'œil des kilos de chocolat, croquer un p'tit blond ou m'empiffrer de crémeux au cheesecake. J'ai des principes, et si je peux éviter de prendre 15 tonnes en quelques jours, eh bien, j'hésiterais pas. Pas envie de repartir en roulant, hein.
 
C'est simple, tout est beau, bon, classe. Pour les curieux, allez régaler vos yeux, c'est sublime.
 
Voilà, je vais me coucher tôt, disais-je, parce qu'au niveau des horaires, ça pique un peu. 6h du mat' en semaine, 4h le samedi...
 
Heureusement que je suis encore jeune.
 
Ah oui, parce que j'ai autre chose à vous annoncer. En fait, on ne se transforme pas en affreuse sorcière le jour de ses 40 ans. C'est mieux que ça, les âmes merveilleuses que j'ai autour de moi ont su largement me donner le sourire et me donner à penser que, décidément, la vie ne fait que commencer, tant qu'on garde les yeux grand ouverts.
 
Euh, je fais la maligne, mais on verra dans quel état seront mes paupières, dans trois semaines, tiens.

vendredi 19 septembre 2014

Seventy four

OK, soyons concentrés.
 
 
Combien j'ai de doigts?
 
Combien de cheveux blancs?
 
Combien d'enfants?
 
Même la bougie a déjà pris cher.
 
Combien de mari?
 
Combien de raisons de pleurer ?
 
Combien de prétextes pour sourire ?
 
Combien de rêves ?
 
 
Alors, 10, 3, 1, 0, 36, 48, numéro complémentaire 10 000.
 
 
Mon loto a un drôle de tête mais il est l'histoire de ma vie.
 
Ma vie, elle, n'est pas vraiment linéaire et mon balai, qui a décidé de s'incruster parce que, visiblement, il est bien au chaud chez moi, ne va pas me démentir, lui qui me rappelle constamment cet état d'instabilité.
 
Je suis une pub vivante pour les appels à témoins. Ancienne anorexique devenue boulimique, journaliste femme dans un milieu d'hommes, mère célibataire, apprentie cuistot à l'âge où les vrais, ceux qui ont passé leur CAP à l'adolescence, ont déjà 25 ans de métier derrière eux, je cumule et si je n'ai guère d'appétence pour le racolage télévisuel, je reconnais que j'aurais pu être une bonne cliente pour Confessions intimes ou autre déballage sur des chaînes d'un haut niveau intellectuel.
 
Je suis pourtant tellement normale. Comme nombre d'entre nous, j'ai peur du temps qui passe, et si je devais réécrire ce petit laïus, je n'en changerais pas une ligne.
 
C'est juste qu'au lieu de chercher une voie rassurante (relativisons, nous sommes quand même entourés de grands méchants qui coupent des têtes et gouvernés par des têtes qui devaient l'être) (sans doute plus méchantes mais aussi coupées, je veux dire) (non, parce que là, quand même, faut pas pousser, quand on commence à ressentir des bouffées de chaleur de honte dès que Prési & cie sortent de leur boîte, c'est moyennement bon, non?) (et non, mes bouffées n'ont rien à voir avec la ménopause, je vois les mauvaises langues réagir un peu vite), BREF, au lieu de me rassurer en retournant sur le droit chemin, j'explore, je divague, je m'égare, je teste, j'imagine, je rêve, j'envisage (et j'abuse des parenthèses, faut-il le souligner).
 
Je me prends pas mal les pieds dans le tapis, aussi, mais ça fait partie du kit "je-veux-bien-grandir-mais-garder-un-petit-bout-de-mes-4-ans".
 
C'est drôle, en ce jour un peu spécial pour moi, je pensais être capable de dresser un bilan. J'imaginais déjà évoquer une phobie administrative pour ne plus avoir à confesser mon grand âge. Je me voyais, telle Greta Garbo, me retirer avec dignité avant que les sévices du temps ne fassent vraiment leur œuvre.
 
Mais, rien à faire, je continue de courir (bon, ok, le balai aime bien me jouer quelques tours), de pédaler le nez au vent, d'avoir 8 ans devant une glace en revenant de la plage, de me rouler dans le sable chaud sous le regard effaré de ceux qui, pourtant, me connaissent un peu. Je ne renie toujours pas mon rire, même si ma crédibilité ne lui dit pas merci, parce que c'est comme un reste d'enfance et d'insouciance.
 
Oui, je continue de regarder les quadras à cravate comme des gens pas tout à fait comme moi, les mamans d'élèves comme des femmes tellement plus investies dans la vie locale, et quand je me vois dans la glace, je sens toujours ce décalage avec l'idée très conformiste que je me fais des adultes.
 
Ce matin, au lieu du bilan mi-figue mi-raisin que je pensais établir, je mesure surtout tout le chemin qui reste à parcourir, et ça me donne un étonnant sentiment de... jeunesse.
 
Non, je ne cherche pas à me rassurer (quoique), je saisis pleinement les chances qui me sont données de vivre à plein cette décennie qui démarre.
 
Bref, j'ai 40 ans.
 
 

lundi 15 septembre 2014

Le balai qui incitait à la prière

Jus corsé, sauce dugléré, pommes Pont Neuf, chartreuse printanière, râble au lapereau farci ou sirop au réglisse, j'avais tout bien révisé.
 
Je savais que le challenge était relevé, cette semaine. Le menu était costaud, les techniques culinaires multiples mais je comptais bien sur mon moral ascendant pour affronter tout ça.
 
Hier après-midi, pourtant, j'ai bien compris que l'affaire allait se corser.
 
Mon balai.
 
 
Il a osé.
 
Je marchais dans la rue quand soudain, paf. Bloquée.
 
La fille coupée en deux, en version moins cinématographique, que Chabrol se rassure. Plus à saigner des yeux qu'à ressembler à Ludivine Sagnier (ok, je sors).
 
...
 
Sérieusement, j'ai vécu un vrai moment de solitude.
 
Impossible de marcher. Impossible de rester debout. Impossible de m'asseoir.
 
Euh, je fais comment? Je veux dire, sans chaise roulante ni déambulateur?
 
Je me suis accroupie et ai improvisé une prière à Allah. Amis musulmans, n'y voyez aucune offense. J'ai juste essayé de feinter mon balai en adoptant cette position.
 
Bon, en pleine rue, je suis d'accord, c'est moyennement discret.
 
C'est un bon exercice, remarquez, pour mesurer l'empathie des gens. Il y a ces gens intrigués mais qui, de toute façon, ne parlent pas français (ça complique). Il y a ces autres, tout aussi étonnés, qui donnent un grand coup de coude à leur voisin pour montrer "la chose" ("Tu crois qu'elle est folle?"). Et puis, il y a tous ces gens qui comprennent que, peut-être, si je m'accroupis sur le bitume quitte à ravager mes genoux et mettre en avant mon décolleté, c'est que j'ai une bonne raison de le faire.
 
Non, je ne fais pas la manche, non, je ne cherche pas un mec, non, je n'expérimente pas la trace des petits cailloux sur mon épiderme. J'ai juste mal.
 
C'est comme ça que, sous la pression de personnes hautement sympathiques et apitoyées,  j'ai fini shootée au nurofen, avalant deux fois la dose, comme ça, le balai, il ferait moins le malin.
 
C'est comme ça aussi qu'un vieux monsieur s'est senti obligé, "pour me soulager" de me tripoter un peu trop au niveau de la taille.
 
Euh, ça va aller, là, je préfère avoir mal, finalement. Et marcher à deux à l'heure.
 
Bref, après une semaine de chef, j'étais contente de retourner aux fourneaux pour assurer et me rassurer. Un lumbago plus tard, je vais juste attendre deux, trois jours pour revenir aux affaires.
 
La bonne nouvelle là-dedans - même si cela n'a qu'un rapport un rien tiré par les cheveux avec ce que je viens de vous raconter (hormis le fait d'être allée voir mon médecin, soit) - c'est qu'il paraît, au vu d'analyses que j'avais faites par ailleurs, que je fabrique un excédent de bon cholestérol et que je suis donc bien protégée.
 
Le gras qui me fait du bien.
 
Décidément, on aura tout vu.

mardi 9 septembre 2014

Appelez-moi chef!

Appelez-moi Chef... Ou "Petite chef", comme l'a si bien trouvé l'un de mes camarades apprentis marmitons. Oui, parce que le vrai chef, celui qui fait les gros yeux, il a eu la bonne idée de me mettre "Chef", cette semaine, et c'était sacrément bien trouvé, tiens.
 
C'était en effet la meilleure façon pour moi de me refaire la cerise, de reprendre goût et espoir à cette formation - sachant que la passion de la cuisine et de la pâtisserie, elle, ne m'avait jamais quittée.
 
Avec mes trois petites responsabilités, je me suis sentie toute regonflée. Prendre mon air digne pour vérifier les températures des frigos, se transformer en passe-partout en tant que seule détentrice des clés, dire à machin d'aller vérifier la plonge, à truc de laver les plans de travail, à machinchose de s'occuper de la légumerie et surtout, ô moment de grâce, jouer à l'aboyeur en demandant deux faux-filets à point, en direct et plus vite que ça, ou faire la moue devant cette assiette de moules peu garnie à mon goût... Ah la la, c'est jouissif.
 
Un moment, j'ai même joué les tyrans en demandant à l'un de mes esclaves des stagiaires de nettoyer le frigo, vu qu'il avait renversé mon cul de poule rempli d'un appareil destiné à MA tarte (je cuisine pour le perso, ouais, faut bien quand même faire un minimum).
 
D'ailleurs, petite parenthèse, je me suis demandé si, à tout hasard, je n'avais pas été maraboutée. Pourquoi la seule préparation qui part en vrille est celle que j'ai concoctée, hein? Quelqu'un m'explique?
 
En même temps, un cul de poule, c'est rond, donc susceptible d'un rien d'instabilité.
 
Soit.
 
Mais je reste attentive, quelqu'un s'amuserait avec une poupée à mon effigie que je ne serais pas étonnée.
 
Comment ça, je deviens parano? Rappelez-vous que je suis chef, les gens, forcément, mon pouvoir fascine, attire et suscite les jalousies...
 
Bon, rassurez-vous. Pas d'inquiétude pour mes chevilles, le curseur de la confiance en soi n'est pas à ce point remonté et l'ensemble reste fragile. Mais le fait de m'être imposé quelques règles (par exemple, euh, bah travailler le soir chez moi, mais vraiment, je veux dire) m'apporte un peu de zénitude, comme dirait la Ségo.
 
Au lieu de papillonner, je lis et remplis des tas de devoirs et je vais devenir incollable (il faut l'espérer, en tout cas) sur le jargon culinaire et l'intérêt de porter des tissus moches en cuisine.
 
Vous voyez, je suis sûre que vous m'enviez... Aïe, non, pas de piqûre, s'te plaît, monsieur le marabout, sincèrement, j'ai pas besoin de ça pour aggraver mon cas. D'ailleurs, en me voyant faire lamentablement tomber un bout de tarte aux fraises-pistache au sol (elle était destinée à ma bouche. C'est mon inconscient, je crois, qui a provoqué la chute, histoire que je limite les dégâts et que je ne sois pas à me demander qui m'a collé ces culottes de cheval sur mon corps de rêve) (mais là, je suis en train de vous perdre avec des détails à trois balles) (bref), l'un des stagiaires m'a regardée en souriant, avant de lâcher la phrase magique:
 
"C'est vrai que t'as un petit côté Pierre Richard, toi!"
 
Hum... Les boucles blondes et la chaussure noire en moins, peut-être?
 
 

samedi 6 septembre 2014

Le doigt dans l'oeil

"Eh ben, si je prenais une photo de ça, ils seraient drôlement déçus, vos lecteurs!"
 
Il s'esclaffe.
 
"Il", c'est le chef de cuisine au centre de formation.
 
"Ça", c'est la tarte aux fraises et crème chiboust que j'ai préparée ce midi pour le "perso". Livrée avec pâte friable et crème dégoulinante. Yummy...
 
Depuis ce vendredi et jusqu'à la fin de la semaine prochaine, j'ai été désignée "chef" de notre cuisine de stagiaires, parce que je fais un peu partie des murs, au centre, par rapport aux jeunots qui viennent d'entrer en formation. J'en étais très heureuse. Les tâches sont multiples, on délègue, aussi, et on fait le miam miam pour nos petits camarades cuisiniers et serveurs.
 
Et c'est la déception.
 
Pour le chef et pour moi.
 
J'ai l'impression d'avoir perdu tout le fluide. Plus rien ne marche, je foire tout. Jeudi, je l'ai joué trop cool, alors que j'étais aux desserts. Et hier, alors que je me suis pourtant concentrée, rien n'est allé comme il faut. Impossible d'apprivoiser ma pâte ni de dresser les fraises sans qu'elles s'effondrent, tandis que mon rôti était tout juste cuit.
 
Soyons honnête : j'ai quitté le lieu en ravalant mes larmes et en m'interrogeant très sérieusement sur mes compétences et mes chances d'y parvenir.
 
Me suis-je vraiment mis le doigt dans l'œil? On peut être passionné sans être doué et, à un moment donné, ça se voit vraiment.
 
Je me flagelle? Non, non, j'écoute juste les commentaires du chef et, si j'ai le malheur de reprendre confiance, je songe à sa moue...
 
Une seule solution, je crois: potasser. Bosser. Ne pas lâcher l'affaire. Car j'ai toujours envie de tracer ma voie en cuisine et pâtisserie... Même si je ne peux m'empêcher d'imaginer, parfois, une volte-face qui me remettrait sur les rails de l'écriture, ou ce qu'il en reste dans le journalisme actuel.
 
C'est un bon coup de pied aux fesses que j'ai reçu. Je doute simplement quant à ma capacité à remonter la pente, malgré l'alerte. Suis-je capable de sortir des plats beaux, bons et réalisés avec les techniques supposées maîtrisées? De respecter le timing? De ne pas m'emmêler les pinceaux et de respecter les consignes?
 
Le pire, c'est que je ne cesse d'encourager les nouveaux, je leur dis combien on ne leur demande pas l'impossible, qu'ils sont juste là pour faire, apprendre et prendre plaisir.
 
Moi, j'ai fait, appris et j'ai pris du plaisir. Mais là, j'ai raté un épisode, je crois, et je crains déjà d'être le bonnet d'âne de cette promo, sorte d'électron libre qui comprendrait, enfin, qu'on peut rêver un destin, mais que ça ne suffit pas pour le vivre.
 
Je vais me cacher dans une grotte et je reviens. Haut les cœurs :)

lundi 1 septembre 2014

Le grand (faux) méchant chef, les Bisounours et mon SOS

" - Bah, vous redoublez, vous?"
 
La boutade du chef, alors qu'il venait de m'apercevoir parmi tous ces nouveaux stagiaires, a provoqué le premier vrai grand sourire de la journée. Oh, j'avais retrouvé de l'allant depuis mes états d'âme compulsifs, que j'ai paradoxalement pansés... à coup de blues et autres airs de jazz enchanteurs (merci les rendez-vous de l'Erdre, moment fort de notre cité nantaise, mais je m'égare).
 
Jean-Jacques Milteau et le groupe 24 pesos, ou comment
un petit harmonica peut venir à bout des plus gros coups de blues.
 
C'est juste qu'au petit matin silencieux, malgré les rais lumineux qui perçaient les stores, je me sentais un rien barbouillée, à l'idée de la rentrée.
 
Il n'y avait pas de quoi, pourtant. Certes, j'ai craint que le monsieur de Popol E. nous gâche un peu la fête avec ses acronymes (AISF, AES, RFPE, AM???? Ah, mais SOS, oui!) mais au final, je me suis régalé de cette journée.
 
Il fallait voir la tête de notre chef, qui jouait au grand méchant loup devant un parterre médusé et forcément intimidé. Et vas-y que je te colle un peu de pression pour rappeler qu'ici, c'est pas l'école des Bisounours toqués, avant de laisser un grand silence.
 
Mais un vrai grand silence, je veux dire.
 
Et vas-y que je m'esclaffe. Il jubilait, le chef.
 
Ensuite, il y a eu le tour de table. J'ai avoué mon âge, comme si l'heure était grave et le chef, toujours plein d'empathie (ou est-ce de la pitié?) m'a assuré que non, vraiment, je ne les faisais pas. Et une stagiaire de renchérir:
 
"Ah ben non, vraiment, tu les fais pas, c'est dingue!"
 
Oui, chérie, mais je comprends ton air catastrophé, je suis bel et bien sur la pente descendante (allez, je peux rire, un peu? Je vous promets que ça va).
 
Ensuite, on a fait un jeu très rigolo, où, réunis par groupe, on s'est pris pour des nababs russes en développant un business plan sur notre futur domaine touristique. J'ai même prévenu la boss qu'il était hors de question qu'elle nous exploite comme je le pressentais déjà, alors du coup, je crois qu'elle va calmer le jeu.
 
Euh, comment ça, je me suis prise au jeu?
 
Bon, pour le reste, pas de surprise, juste des profils une nouvelle fois totalement hétéroclite (j'ai déjeuné avec une femme japonaise arrivée il y a 4 ans en France et un Kosovar, qui a notamment vécu à Chicago, Stockholm, en Allemagne... la routine). La maison, je la connais et j'ai retrouvé avec un réel plaisir la cuisine, que nous n'investirons réellement que jeudi, pour le premier service de cette nouvelle année.
 
J'ai juste réalisé ce matin, en regardant mon planning, que j'étais déjà à la moitié de ma formation, avec nombre de semaines en stage. D'ailleurs, j'ai du lourd à ce propos, mais je vous en garde un peu pour plus tard, eh eh eh...
 
Aujourd'hui, après quatre mois, j'ai simplement assisté à la réunion de présentation que je n'avais jamais eue.
 
Et on s'étonnera que je me sente toujours en décalage, après ça...