mercredi 30 août 2023

Dormir debout pour rêver en grand

Les ténèbres en approche...

 Elle surgit, un jour, ou une nuit plutôt, venue de nulle part. Au début, on n'y fait pas trop attention. L'invitée surprise va repartir très vite, c'est évident. On chasse son idée même, d'un revers de la main. Ca ira mieux demain.

Et puis, elle s'infiltre sournoisement, d'abord dans votre esprit, nuit après nuit, exaltée par les questionnements intérieurs, les bouleversements, les petits riens de la vie quotidienne qui reviennent, les gros boomerangs de la vie passée, les incroyables éclaircies de la vie nouvelle.

Les nuits passent, elle devient progressivement cette ennemie que l'on redoute, qui n'avait pas forcément prévu de revenir aussi souvent mais qui, sollicitée par l'appréhension qu'elle génère, décide de squatter et se transforme littéralement en torture.

L'insomnie, puisqu'il s'agit d'elle, est une garce qui distille son poison chaque nuit un peu plus, détruisant sur son passage sommeil, sérénité, forme physique.

Au début, je l'ai plutôt bien accueillie. Après des mois de nuits sans fin, enfin apaisées, grapiller quelques minutes - voire heures - à la nuit, me donnait cette sensation d'aller voler des moments juste pour moi, dans l'ensorcelant silence nocturne. Méditer, écouter un podcast, dévorer tous ces livres négligemment rangés, ça et là, dans la chambre, c'était autant de façon de nourrir mon intérieur. Et puis, je pouvais toujours me rendormir le matin.

Deux mois plus tard, je fais moins la maligne. Je dois forcément dormir, oui, mais je ne compte plus les nuits les yeux ouverts, tentant de chasser les idées pour faire le vide et récupérer ce sommeil que j'ai de nouveau en déficit. J'ai essayé beaucoup d'astuces, oui, mais rien à faire. Ma caboche est bel et bien sous l'emprise de mon inconscient et s'agite.

Je veux être, et pas faire, oui, mais la vie, c'est aussi de jongler entre cette utopie et la réalité d'un monde réclamant son minimum d'actions.

Etonnamment, je me suis rarement sentie aussi heureuse et alignée. Est-ce cette exaltation retrouvée, la sensation de goûter pleinement la saveur des choses, qui me rend plus enjouée, plus boulimique encore d'expériences ? Je sens un empressement revenu. Ma tête m'enjoint à foncer. Mon corps aimerait juste rappeler un essentiel: il est unique et sa batterie part parfois en vrille. Surtout si on le prive d'un essentiel. Le sommeil.

Il est 5h38 du matin, voilà deux heures que je suis bel et bien réveillée et j'aimerais juste, maintenant, plonger dans ces limbes réparatrices dans lesquelles je me suis tant réfugiée cet hiver. Au lieu de cela, je songe à tous mes projets, à ce bel enchaînement que je suis en train de vivre, aux shoots de bonheur que j'ai connus cet été, à cet élan incroyable qui m'emmène vers de beaux lendemains. 

Le paradoxe de l'insomnie, c'est qu'elle vous réveille mais ne vous donne pas forcément l'énergie pour mettre en œuvre, là, dans l'immédiat, ce que vous projetez de faire. Personnellement, elle me laisse souvent exsangue, tel un zombie, à la fois agitée et épuisée, et provoque chez moi une capacité assez phénoménale, le jour venu, à faire des malaises ou à tomber toute seule en se prenant les pieds dans... le pantalon (Je vous jure. Les hématomes aux deux genoux en attestent). L'expression "tomber de sommeil" n'est absolument pas une vue de l'esprit, croyez-moi.

La culpabilité vient ensuite, de pas utiliser ce moment un peu hors du temps pour, justement accomplir ce qui sera difficile à faire dans la journée. Je ne suis qu'humaine, alors, j'accueille ce message, je considère cette ébullition intérieure comme une force revenue et je songe que, peut-être, au fond, je n'ai plus tout à fait envie de dormir à poings fermés, consciente de tout ce j'ai envie de savourer.

Je vais acheter des genouillères, je crois, parce que je n'ai pas fini de dormir debout.

mercredi 2 août 2023

La transformation


 Les jours filent, le temps s'étire, les heures s'égrènent parfois lentement, parfois intensément et je savoure à plein ces derniers instants de liberté, à quelques semaines de ma reprise dans le vrai monde, celui où l'on travaille. Je ressens pleinement ce sentiment de plénitude, celui de clore un chapitre pour en ouvrir un autre, beau et dépouillé des erreurs du passé - je suis optimiste, que voulez-vous.

Pourtant, survient une récurrence, ce rêve étrange et pénétrant qui peuple fréquemment mes songes et emporte mes nuits. Il suscite chez moi un réveil un peu perturbé, hagard, teinté de cette sensation étrange. Je me retrouve ainsi régulièrement à partir en voyage, en avion ou en train et à chaque fois, alors que je suis dans un pays étranger - souvent aux Etats-Unis, pays que j'ai bien connu - je ne parviens pas à atteindre l'aéroport ou la gare, coincée par mes bagages, que je n'arrive pas à boucler, ou par le bus qui ne vient pas. Ou alors, je suis dans un bus et on me pique mes valises. Tous ceux avec qui je voyage partent et moi, je reste à quai. Etrange sensation, pénétrante, oui, qui m'interpelle. Que signifie cette drôle de chimère si troublante ?

Si j'en crois les moteurs de recherche, « les bagages en désordre» et «disséminés» sont l'expression d'un éparpillement intérieur, imposant de rechercher à nouveau ce dont vous avez besoin."

Et l'avion raté? "Le songe traduit plutôt "un changement d'état, une transformation, une modification intérieure à côté de laquelle on est passé". Le rêveur manque une transformation interne tout en sachant, pourtant, qu'il devrait y prêter attention."

Je manquerais une transformation? Etonnant, tant j'ai parfaitement conscience de la métamorphose que j'ai ressentie depuis des mois; ce changement de matrice dont j'ai largement évoqué les contours ici. Je ne suis en revanche en rien surprise de rêver de ces bouleversements, moi qui tourne une page, sans savoir vraiment, de façon ferme, quel chemin je vais maintenant emprunter. Je vends mon entreprise, sans aucun regret, tant j'ai besoin d'oxygène, tout simplement. Et ensuite? 

Je saute dans le vide et je quitte ma (relative) zone de confort? Je fais quoi de mon besoin de réassurance?  C'est à la fois inquiétant, évidemment, car que faire des envies qui vous taraudent? Les taire pour rester sur le chemin social?  Mais c'est si tentant, je l'avoue, et la vie m'a appris à laisser là mes valises encombrées par le passé pour alléger le parcours à venir. Sans doute mon songe m'indique-t-il cette voie, pour que je puisse voguer vers des horizons inédits.

Au fond, je sais ce que je veux mais l'exprimer tout de go me semble présomptueux et un rien anticipé. Ma nouvelle philosophie, chi va piano va sano, me conforte dans ce sens. Alors, je prends mon inspiration, littéralement, et je regarde à gauche, à droite, mais toujours devant. Je clos le chapitre d'une vie décalée, j'en ouvre un nouveau, portée par l'espoir et la conviction mêlés que ça ira, quoiqu'il arrive. 

Oui, je veux battre la mesure de ma nouvelle vie, poursuivre cette mue, en m'infiltrant et explorant chaque jour plus intensément les interstices d'une existence simple et forte à la fois. L'été et les escapades, même brèves, à quelques encablures de chez soi, offrent à l'imagination le spectacle parfait pour alimenter cette utopie qui me transporte. Je vais continuer de tracer la route, toujours exaltée par la force de l'océan, la magnificence des falaises bretonnes, la magie des marées qui effacent tout sur leur passage, la fausse tranquillité de la Loire, le ciel et ses silhouettes étranges et fascinantes que dessinent les cumulo-nimbus. Je savoure ces instants parfois presque surannés, j'entends aussi les bruits de la foule, comme autant d'éclats lointains qui brisent le silence, ces bruissements dont j'ai parfois envie de m'éloigner, mais qui attisent aussi la curiosité du petit animal social que je suis restée, malgré la solitude de ces derniers mois; malgré les errances, la complaisance, aussi pour ce monde intérieur que j'ai laissé grandir en moi.

Oui, le temps file, les jours s'égrènent et l'énergie revient dans mon corps telles des racines qui pousseraient à une vitesse démesurée pour distiller ses pointes d'envie et de vives pulsations. Je sens combien la petite pile que j'étais n'est finalement pas si loin, elle rejaillit et je regrette presque de ne plus être cette fille un peu amorphe à l'esprit zen, sur qui plus grand-chose n'avait prise, tout l'hiver durant.

J'ai toujours pensé qu'on ne changeait pas fondamentalement, mais que l'on pouvait évoluer. Une fois encore, je prends une belle leçon d'humilité. Je ne me transformerai définitivement jamais en Bouddha. Même la méditation me laisse actuellement de marbre, comme si mon esprit n'arrivait plus à se concentrer et laisser filer les idées. Mais finalement, est-ce si grave?

Vivre en étant soi-même, ça, c'est un défi qui m'exalte. Vivre en laissant les autres être eux-mêmes, le challenge s'avère aussi de taille et répond pourtant à cette envie de liberté que je chéris tant.

Allez, je veux croire que la prochaine fois, moi aussi j'embarquerai dans l'avion.