jeudi 19 mai 2016

La guerre civile (cette légère impression)

Depuis quelques semaines, au moins deux mois, en fait, j'avoue, je fuis le centre de Nantes. Avec les manifestations contre la loi travail, la ville a essuyé beaucoup, beaucoup de casse et voir ces panneaux agglomérés en lieu et place de toutes les vitrines des banques, ces traces de peinture au sol ou ces restes de projectiles me laisse à la fois triste et impuissante.
 
Aujourd'hui, je n'avais pas le choix. Je devais me rendre en plein centre, à la faveur d'un concours (celui de la tarte au citron meringuée), auquel je m'étais inscrite voilà des semaines. Pas envie d'y renoncer, et puis, j'avais confectionné la tarte hier, je trouvais ça dommage.
 
Pourtant, j'avais conscience des quelques éléments à braver.
 
Avec la pénurie d'essence annoncée (la raffinerie la plus proche, Donges, est bloquée) et les files d'attente plus longues qu'un jour sans chocolat pour choper un peu d'or noir, j'ai laissé ma voiture et je me suis rabattue sur le bus. Comme il n'arrivait pas, j'ai songé un instant à retourner chez moi, pour y prendre mon vélo. J'ai eu comme un doute, rapport à la tarte à transporter. Et puis le bus est arrivé. Je ne savais pas encore à quel point le trajet retour serait beaucoup plus compliqué.
 
Après avoir déposé ma tarte, j'ai sillonné les rues nantaises, étrangement calmes. Après un déjeuner fort sympathique avec des amis, retour à la réalité, et au bitume, légèrement modifié... Et pour cause, des centaines de CRS dans les rues, attendant, matraque prête à dégainer. Oui, des CRS partout, en fait, bloquant tous les axes stratégiques pour tenter d'empêcher les casseurs de défigurer plus encore NOTRE ville. Une atmosphère fébrile, des mamans qui font demi-tour avec leurs têtes blondes en apercevant l'armée d'uniformes bleu marine. Des regards lourds, pesants. Des commerçant sortis de leur boutique désertée, inquiets, parlant avec leurs voisins.

Et puis, l'attente.
 
Plus une voiture, que des piétons, tentant de se frayer un chemin entre la ligne de fourgons. Et des sirènes de police, de pompier, à n'en plus finir. Et le bruit assourdissant de l'hélico, tournant sans cesse au dessus de la ville assiégée. Car oui, à un moment, ça a pété, si j'en juge par la fumée sentie à des centaines de mètres du combat.

Tout était évidemment bloqué. Alors, j'ai marché, marché, avec mes sacs pesant un âne mort. Le tram était bloqué, j'ai pris un bus, et puis un autre, et puis un autre... En arrivant enfin chez moi, une heure et demie après avoir quitté cette zone qu'on aurait presque pu qualifier de guerre, j'étais juste lasse. Mais surtout très, très inquiète.
 
La colère fait plus que gronder, aujourd'hui, et cette sensation de guerre civile me chatouille de plus en plus.
 
On va où?

samedi 14 mai 2016

Le skech (Kafka is not dead)

A l'heure où je vous écris, je sors tout juste la tête de l'eau. Cette tête, justement, que je n'osais plus vraiment croiser dans le miroir. En cause, ces drôles de trucs qui ont poussé sous mes yeux, qu'on appelle des cernes. C'est vilain. Le matin, quand je me lève, c'est avec d'infinies précautions. Je laisse le temps à mon cerveau rabougri pour tout resynchroniser, tête et jambes, yeux et bras. Parfois, ça prend un peu de temps et Loulou a même pitié, quand il me voit débarquer à 7h du mat' dans le salon.
 
Il chante "René la Taupe", vous voyez bien.
 
Mais bon, c'est pour la bonne cause.
 
Parce qu'il fallait bien faire bouillir la marmite avant de me lancer définitivement dans ma nouvelle vie, j'ai passé quelques jours sur des retranscriptions, quelques nuits aussi, retrouvant mes bonnes vieilles habitudes, ajoutant juste ça et là quelques commandes de pâtisserie pour égayer mon quotidien.
 
Sinon, c'est pas drôle.
 
Forcément, tout ce qui concerne la gestion, la compta et les menus tracas classiques est passé un peu à la trappe, le temps que je finisse. Enfin, je gardais quand même un œil sur tout ça, mais avec une confiance infinie en la vie et aux administrations, tellement scrupuleuses, tellement pro, tellement...
 
Parmi elles, mon amie Pôle Emploi. Oh, je sais, à l'instar de François Hollande, c'est facile, très facile de faire du bashing avec Madame. Mais quand même, elle le cherche, parfois.
 
Pour vous situer l'affaire, j'ai appris alors que je lançais ma boîte que mes expériences pro, à droite, à gauche, m'avaient permis de recharger mes droits. Pas grand-chose, hein, mais de quoi démarrer en payant son loyer sans avoir à taper dans les caisses de ma jeune entreprise, ce qui, j'avoue, ne se refuse pas.
 
Un peu échaudée par les épisodes kafkaïens vécus par le passé, j'ai anticipé, largement, en me renseignant au maximum pour blinder le truc. Et quand il a fallu déclarer le chiffre d'affaires et communiquer tous les justificatifs, retranscription et pâtisserie ou pas, j'ai tout donné. Et même redonné, puisque visiblement, des courriers se croisaient et Paul me demandait ce que Pierre ou Jacques m'avait déjà demandé.
 
Bref. Rien que du classique.
 
Je démarre le mois et vois le 6 que rien n'a bougé. Zéro sur le compte. Bon. Ce doit être normal. C'est pas comme si j'avais des charges à payer, vous me direz...
 
Le 9, toujours rien. Le 10 non plus. Le 11, les yeux encore collés - j'ai fini ma mission à 3h du mat' - je prends mon téléphone et me résous, entre deux altercations droite-gauche du conseil régional, à appeler mon ami Popol. Qui après m'avoir expliqué qu'il attendait ma feuille de salaire (euh... je ne suis plus salariée, les gens) m'a rassurée. Si si, ça va être débloqué... Il a prévenu l'agence, elle a 48 heures pour exécuter sa demande.
 
Mouais. Vu tous les courriers ne prenant pas en compte mes propres infos, j'ai un léger doute. J'hésite, parce que ma mission à rendre pour hier, elle me regarde avec l'air du 11 janvier, se sentant délaissée. Allez, je file à mon agence. Et là, le sketch.
 
LE sketch.
 
A chaque fois, j'ai l'impression de vivre un condensé de l'activité d'une agence en quelques minutes (enfin, de grosses minutes, hein). Mais là, il y a eu une sorte de best-of, un truc désopilant où les Bronzés, les Monty Python et les Nuls cumulés ne m'auraient pas plus fait rire.
 
Un peu jaune, certes.
 
Cela a commencé dès mon entrée, où je croise, ô heureuse coïncidence LA conseillère que je voulais voir, celle à qui j'avais renvoyé tous mes papiers et qui connaissait mon dossier. Je lui signale que, euh, quand même, on est le 11 mai et que le petit bouton sur lequel elle devait appuyer pour déclencher mon paiement, elle l'a visiblement zappé.
 
"Ah mais non, mais vous savez, on est en sous-effectif."
 
Ah bah oui, forcément. Allez expliquer ça à mon bailleur et mon banquier, l'un qui attend son loyer, l'autre qui me colle les agios qui vont bien.
 
Donc, je fais la queue. Au guichet, je reconnais une autre conseillère, pas vraiment au taquet, qui, alors que vient mon tour, regarde la file (12 personnes derrière moi), regarde sa montre, se tourne vers sa collègue. Laquelle lui dit, "ouais, mais attends, je peux pas rester toute seule, là".
 
Sur ce, la conseillère-pas-au-taquet se redresse et part à la quête d'un gentil collègue qui prendrait sa place, en faisant le tour de tous les bureaux. Eh, c'est sa pause, hein, on va pas non plus revenir sur les droits du travail.
 
Pas de bol, personne ne peut la remplacer. Elle reprend sa place, soupire un grand coup, lève les yeux et me fait signe. J'avance. Je sens que sa lassitude va me peser, j'anticipe, je lui résume en deux mots la situation en lui indiquant que je veux être reçue.
 
Soupir.
 
"Bon, ben d'accord." (Merci, ô prêtresse, de m'accorder pareille offrande) "Y'a 4 personnes devant vous".
 
OK. Vu le timing de chaque rendez-vous, je suis coincée pour un moment. J'ai ma mission qui m'attend, à rendre pour hier. Visiblement, mes yeux disent tout ça, parce qu'elle ajoute:
 
"Ah bah oui, mais si vous êtes pressée, faut venir plus tôt le matin, fainéasse."
 
Elle n'a pas prononcé "fainéasse" mais son ton a suffi. Je lui fais gentiment remarquer qu'elle ignore tout de mon rythme actuel mais elle, ce qu'elle voit, c'est qu'un chômeur, il doit pas venir à l'agence à 10h, oh.
 
Je vais donc m'asseoir et sympathise rapidement avec un entrepreneur qui, lui, attend le déclenchement de son paiement depuis deux mois. Il est venu ce matin, et tant pis pour son chantier en cours. Il me raconte un peu et je me dis que je m'en sors pas si mal, avec mon seul mois de retard. Là-dessus, comme deux petits vieux sur un banc en Sicile, on s'avachit un peu et on regarde ce qui se passe dans la rue. En l'occurrence, dans la file devant nous, en accordéon, tantôt grossissante, tantôt diminuante selon le flux de vilains chômeurs.
 
Ma petite dame-pas-au-taquet soupire toujours.
 
Une femme est devant nous et on voit soudain un homme rentrer dans l'agence et s'approcher de la dite-femme. Visiblement, il la connaît, si bien qu'il lui fait une grosse blague en faisant mine de lui mordre le mollet (qu'il a saisi!) et en imitant l'aboiement d'un chien.
 
Ni une ni deux, ma petite dame-pas-au-taquet s'affole, hein, hein, quoi, qu'Est-ce qui se passe, elle sort de son guichet...
 
"Mais il est où le chien?" demande-t-elle, complètement interloquée.
 
Mon nouvel ami lui répond stoïquement:
 
"Il est parti."
 
Elle soupire, mais cette fois de soulagement. Ouf, déjà qu'elle a pas mal de poussettes, de bébés, de chômeurs fainéants et de cas sociaux à gérer dans la file, alors, un chien, je vous dis pas...
 
Là, j'avoue, je n'ai pas pu me contrôler et je suis partie dans un fou-rire... Communicatif, puisque mon nouvel ami s'est esclaffé à son tour, réalisant le one-man-show qu'on pourrait lancer.
 
Ensuite, ça a été le défilé classique, la dame qui vient pour son fils déposer un document sans savoir, la malheureuse, qu'elle va devoir elle-même tout scanner, puis ce monsieur visiblement paumé qui pense que, parce qu'il est inscrit à Pôle Emploi, on va le convoquer et il aimerait bien voir quelqu'un (ah ah), cette autre femme avec sa poussette tentant de calmer les pleurs de son bébé visiblement affamé. Et puis, cet autre naïf, arrivé à 10h45 à l'agence et demandant un rendez-vous.
 
"Ah ben non, monsieur", lui a répondu la dame en lui montrant l'horloge, "c'est trop tard, ça va plus être possible."
 
L'agence ferme à 12h30. Forcément.
 
Le ballet a continué et puis mon nouvel ami a enfin été appelé. Il est ressorti dix minutes plus tard, en me disant, un peu rigolard quand même:
 
"Ça y est, elle a appuyé sur le bouton!"
 
Habituée à mon heure réglementaire d'attente, j'ai commencé à soupirer à mon tour lorsque j'ai vu les minutes s'égrener. Et c'est finalement 1 heure 30 après mon arrivée que je suis rentrée dans le bureau de la dame qui devait tout arranger.
 
Lorsque je lui ai demandé les raisons d'un tel retard sur mon dossier -  que j'avais actualisé dans les temps - elle a commencé par me dire:
 
"Eh, attendez, je reçois du monde depuis 9h ce matin"
 
Le rapport? On est d'accord, y'en a pas.
 
Ensuite, elle m'a sorti le premier argument-choc:
 
"C'était le pont, la semaine dernière".
 
Ah bah oui, le truc dont tu oublies l'existence quand tu es indépendant, en fait, mais que les gens de Pôle Emploi ont la chance d'appliquer. Eux.
 
Ensuite, l'ultime argument, le best de Popol, en somme:
 
"Y'a eu un bug informatique."
 
Voilà. Voilà la petite tranche de rire du mercredi matin, qui m'aura quand même coûté cher en termes de temps et surtout, sincèrement, réellement inquiété sur le fossé entre la vision qu'a Pôle Emploi du monde du travail et la réalité, celle où, malheureusement, on n'a pas le temps de faire une pause, de se lamenter deux heures sur une panne informatique ou de répondre que, vraiment, on est désolé, mais on n'a pas de solution.
 
Dans la vraie vie, en tout cas dans la mienne, le seul choix est d'avancer. Et à ceux qui seraient un rien excédés par ce Pôle Emploi bashing et qui pourraient penser que, après tout, je profite bien du système, je leur réponds de ne pas s'inquiéter. J'ai bien l'intention de me passer très vite de leur aide, même si, pour avoir travaillé et contribué au système, j'y ai bêtement droit.
 
Ainsi va la vie.