lundi 21 juillet 2025

Revenu des ténèbres

 J'ai senti mon ventre se nouer, alors que je prenais la route pour l'hôpital, ce soir. Pourquoi s'infliger cela? S'abîmer toujours plus? Souffrir et s'enfoncer dans le chagrin? Combien de temps le calvaire allait-il durer, pour lui, avant tout, pour nous également?

Les deux derniers jours n'avaient guère été rassurants. Samedi, son regard, shooté, s'éveillait ça et là et je gardais un mince espoir, celui que la médecine ait jeté un peu vite l'éponge et que mon père se relève. Dimanche, en revanche, il était parti dans les limbes, dans une logorrhée incompréhensible et des râles de douleur qui obscurcissaient régulièrement son visage fermé. Les lèvres desséchées, les bras bleuis des chocs qu'il s'était infligés lors de ses crises de fureur, les yeux clos, littéralement ailleurs, il était attaché de partout, coincé dans ce lit et enfermé dans son corps.

Ici et déjà parti.

Je vous passe les torrents de larme et l'angoisse, la colère et la tristesse mêlées, le tourbillon des émotions, jour et nuit, l'impression que son monde s'écroule, que plus rien ne sera jamais pareil.

Alors, oui, ce soir, j'avais la boule au ventre. Allez, une inspiration et j'ai ouvert la porte.

...

Et j'ai vu le sourire de ma soeur. Ses pouces levés pour que je comprenne, avant même de le voir, qu'il était revenu des ténèbres. Puis le visage ouvert de ma maman.

Oui, les miracles existent. Encore confus, évidemment, notamment dans sa parole, mon père vient de tromper les prévisions médicales et revient vers nous. 

Je le sais pertinemment, rien n'est gagné et son état reste préoccupant. Mais nous avons pu rire ensemble, partager ce moment lunaire et même envisager l'après, quand il sera sorti. Lui qui était promis aux soins palliatifs nous parle d'une soirée au restaurant et assure même que ça va aller. Même son habituel pessimisme s'est fait la malle!

On le sait, à la fin, tout le monde meurt. En attendant, on va continuer de surfer sur les montagnes russes, celles de la folie, de l'angoisse, de l'amour et de l'espoir qui s'entremêlent dans un joyeux bazar que l'on appelle la Vie.

samedi 19 juillet 2025

Papa, où es-tu?

 "Là, il n'est plus avec nous".

Elle me regarde, de ses yeux emplis de douceur et d'empathie, et va nous chercher nos affaires. Elle nous demande de partir, gentiment. J'entends mon père crier, éructer, délirer, il est là, mais n'est pas là. Elle a raison, cette jeune femme médecin. Il n'est plus avec nous.

Hier soir, en rentrant dans sa chambre d'hôpital, où il est depuis quelques jours, ma mère et moi l'avons découvert derrière un siège, prostré, comme un animal traqué. Il cherchait à enlever une sangle et s'obstinait, en marmonnant avec le reste de langage à sa portée. Il a levé les yeux vers nous. Regard de fou.

Où est mon papa?

Où est celui qui me balançait dans l'océan en riant, qui avalait les bonbons avec malice, qui posait fièrement en haut du Tourmalet ou de l'Alpe d'Huez? Où est mon papa gâteau?

Où est celui qui, il y a encore deux jours et malgré une nouvelle grosse crise d'épilepsie, dévorait un ourson en guimauve avec gourmandise et me reprochait de ne pas lui avoir apporté de gâteau à l'hôpital?

Il n'est plus vraiment avec nous, non.

Il est vivant, oui, dans le sens où il respire. Son âme est enfermée dans un cerveau qui a débloqué et qui l'a propulsé dans un monde sombre et effrayant.

Il a peur et il fait peur.

L'image de ces yeux fous ne m'a pas quittée depuis hier. Surtout, je suis terrifiée par ce qu'il vit, lui, actuellement, seul dans son monde, contentionné, perdu, sans doute en colère. J'y ai pensé toute la nuit, impuissante.

Ce matin, j'ai appris que ça avait été pire que tout, ensuite. Comme me l'a dit le médecin, il est vraiment devenu dangereux, pour lui et pour les autres, d'où la décision de lui casser son délire, à coups de médicaments. Quitte à le plonger dans le coma. Et, sans doute, en soins palliatifs.

...

Où est mon papa?