jeudi 15 septembre 2011

Jusqu'ici, tout va bien (l'histoire du mur qui arrive)

Mes journées se suivent et ne se ressemblent absolument pas, en ce moment. Oh, je sais, ce n'est pas un scoop mais le désordre prend une ampleur que je tente d'atténuer sous des couches de discipline et d'organisation. Et après, on s'étonne que je sois au bord du malaise.

Et après, donc, j'ai des moments de solitude. Et c'est comme ça qu'une (charmante) mamie de 83 ans me tape sur l'épaule en me souhaitant de bien me remettre, après un malaise vagal à la pharmacie. Où ça, le monde à l'envers?;)

Bref, mes journées-chaos sont pleines de surprises. Prenez avant-hier, par exemple. Mardi, donc, était écrit sur mon agenda : fin mission CGHS (j'aime bien les abréviations, les noms de code, tout ça, ça donne un petit côté Mata Hari à mon quotidien. Oui, oui, je sais, il y a des trucs que je devrais éviter d'écrire, si je veux garder la moindre once de crédibilité, mais je ne résiste pas). Ce qui, concrètement, signifiait que j'allais passer ma journée sur mon canapé à... retranscrire du politicard. Sans pause, sans yogging, toussa.

Sauf que j'avais fini la veille au soir, en fait. Et quand j'ai fini une mission, généralement, avant de repartir sur mes lettres de motivation, je trie mes papiers et... je vais chez Pôle Emploi, qui venait de m'envoyer une missive au contenu un rien nébuleux pour mon esprit visiblement attaqué.

La dame a, peu ou prou, éclairé ma lanterne, m'a expliqué que je ne pourrai JAMAIS revenir sur ma décision de choisir les droits pour lesquels j'avais optés et que j'étais donc sous le coup d'une suspension éternelle de toute alloc si jamais j'avais le malheur d'avoir un conjoint. Ouh la la, mon sang n'a fait qu'un tour. Et puis, je me suis souvenue que j'habitais toute seule avec mon fils, donc ça allait. Ouf.

Tant qu'à faire le pied de grue devant l'accueil, j'ai demandé à être reçue par un conseiller, dans l'optique hautement optimiste, j'en conviens, d'obtenir une formation afin de mieux maîtriser le oueb (pas que je sois inadaptée aux offres d'emploi actuelles, dans le journalisme, mais y'a de ça). Allez, hop, c'était parti pour une bonne heure d'attente, assez enrichissante.

Parce que, que fait une mouette lorsqu'elle a une heure de battement, une fois le Ouest-France lu et replié? Une fois les annonces placardées au mur balayées de son regard un rien désespéré ("Devenez saisonnier, faites les pommes!" Ou bien "Partez dans le trou du cul du monde pour devenir hôtesse au rayon charcuterie d'un hypermarché, CDD de trois semaines ; 78% du SMIC et possibilité de logement." J'aime beaucoup)

Eh bien, la mouette ouvre ses oreilles et boit du petit lait (enfin, un peu jaune quand même).

C'est comme un échantillon de la France (bon, celle d'en bas, j'imagine) qui se présente à l'accueil, devant ces deux employées, une très pro et un rien cassante (celle que j'ai eue), que nous appelerons n°1, l'autre un peu hésitante mais avenante, n°2 (je suis d'une logique, moi, je me bluffe toute seule).

Il y a ce jeune homme, le front bas (je n'ai pas dit bas du front, attention. Ne pas juger sur l'apparence. Même si l'évidence m'y incite. C'est mal, je suis mauvaise), qui vient s'inscrire, T-shirt moulé sur son torse large, short baggy du plus bel effet. En fait, on dirait un homme à l'extérieur, mais un gamin inside, comme le traduisent son allure gauche et son élocution. "A manchild", comme ils disent, les Ricains. Son père, visage buriné et bonnet de laine sur le crâne chauve (je suppose, tout du moins) vient à sa rescousse, ou essaie, tout du moins. N°2 l'envoie voir un conseiller. Enfin, les envoie, puisque le manchild ne quitte pas son pôpa d'une semelle.

Il y a cette dame âgée qui rentre dans l'agence, regarde tout autour d'elle comme si elle découvrait un territoire inconnu, s'avance de façon hésitante, finit par croiser le regard de n°2. "Voilà, c'est pour mon fils, il n'a pas touché son salaire de juillet", explique-t-elle. "Vous avez son n° d'allocataire?", lui demande n°2. La dame sort un pauvre bout de papier, scrute, et répond par la négative. "Parce que, normalement, on ne communique les informations qu'aux personnes concernées" précise n°2 (signifiant donc que, n° d'allocataire ou pas, de toute façon, la petite dame, elle devrait repartir bredouille.) Mais la dame sort une carte de son jeu: "je vais vous dire, Madame, mon fils a trouvé du travail et il est en Thaïlande actuellement."

Me voilà transportée à Phuket, je suis sur un transat, face à la plage, mon homme me masse les omoplates et je réalise combien... Aaaah, si je dormais la nuit, aussi!

Donc, n°2, visiblement à mes côtés à Phuket si j'en crois son air rêveur à l'instant, demande la date de naissance du veinard en question. Et là, scène surréaliste, la dame se prend la tête avec sa main toute ridée, ferme les yeux (je le vois à travers les rides), réfléchit longuement sous l'air interloqué de n°2... avant de retrouver la dite-date.

"Vous avez beaucoup d'enfants?" s'étonne n°2. "Non, non" répond la dame, "c'est ma mémoire qui flanche."

Ma patience pourrait flancher aussi mais voilà un homme qui arrive au guichet n°1. Un homme noir, dois-je préciser. Si, si, c'est important. N°1 le laisse parler et lui répond avec un rien de dédain, comme ça. Mais le monsieur, qui ne se laisse pas faire, demande des précisions. N°1 lui fait comprendre de circuler, c'est pas tout ça, elle a du boulot, elle. Suit une jeune femme toute pimpante, jolie robe bleue et talons hauts, et, croyez-le ou non, n°1 sort son sourire commercial et se penche davantage sur son guichet, visiblement plus attentive. Elle prend clairement son temps, converse, fait son job, oui.

Leçon du jour: pour être bien reçu chez Pôle Emploi, de ton plus bel habit tu te pareras.

Et si tu es noir, ben c'est tant pis pour toi.

Pendant ce temps, n°2 poursuit son abattage et reçoit un monsieur qui vient se renseigner sur le statut d'auto-entrepreneur. "Faites, monsieur, faites", lui indique-t-elle en lui donnant une liasse de documents. J'avais déjà noté, lors de mes dernières visites, cet empressement à diriger les gens, ces pauvres âmes perdues, vers cette solution qui reste, à mes yeux, bâtarde. Au moins, ils sortent des chiffres, ils font leur truc dans leur coin, ils n'enquiquinent personne, EUX.

Pas comme ce vieux monsieur aux dents tellement avancées (enfin, celles qui lui restent) qu'on ne distingue plus vraiment ses lèvres. Il râle, parce que, vous comprenez, il a été convoqué à un entretien, à l'autre bout de la ville, tout s'est bien passé, et puis, paf, ils ont choisi un autre candidat. Et il râle, il râle... "Vous exagérez, Monsieur", lui répond une conseillère chargée de montrer comment appuyer sur les touches du clavier et expliquer le fonctionnement du site de Pole Emploi. L'édenté, lui, il n'arrive pas à comprendre. Perso, c'est son français que j'ai du mal à décrypter. Maître Capello s'en retournerait dans sa tombe. Ecoutez-le deux secondes et vous saisirez à quel point il est parfois dur de s'insérer dans le marché du travail...

Et puis, est venu mon tour, je suis rentrée dans le bureau d'une conseillère très gentille. Vraiment. Elle m'a écoutée, j'ai senti les larmes me monter aux yeux comme à chaque fois que je mets le doigt sur ma précarité, m'a conseillée de "croire en moi", ce qui a eu l'effet immédiat de me faire sortir les mouchoirs... et a refusé toute formation dans le journalisme ou la com, "secteurs complètement bouchés." Il faut élargir mes recherches, et sans doute mon plan de carrière, a-t-elle tranché "Nan, parce que vous êtes jeune. Pourquoi ne pas faire une formation diplômante?"

En ces temps de crise, où la main d'oeuvre est plus que jamais nombreuse, disponible et donc très exploitable, j'imagine que les employeurs n'ont qu'à se baisser pour choisir des candidats expérimentés et que des personnes formées sur le tard comme moi ne constituent vraiment pas leur priorité. Mais enfin, j'écoute, je m'inscris à un organisme extérieur qui va m'aider à "redéfinir mon projet professionnel" et je sens déjà les experts en pipeau venir me seriner de conseils forcément tous plus avisés les uns que les autres.

En attendant, c'est moi qui deviens une experte en lettres de motivation. Je suis très forte dans l'art d'expliquer combien faire le larbin pour 9 euros de l'heure me passionnerait. Limite, je n'attendais que ça pour me réaliser pleinement.

Le pire, c'est que ce n'est pas complètement faux. A l'heure actuelle, j'ai vraiment envie de faire quelque chose, et jouer au larbin ne constitue-t-il pas une nouvelle expérience?

2 commentaires:

  1. Oué, bin on nage dans la même soupière, ma chère.

    Beurk.

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  2. Ta conseillère a parfaitement raison, tu dois avoir confiance en toi. Ensuite une formation diplômante n'est jamais une mauvaise chose - ça te permettrait au moins pendant un temps d'avoir des horaires stables tout en touchant ton minimum chômage. Et ton organisme extérieur, en général, ce sont des sessions en groupe et, pour y être passé, franchement, c'est pas mal, ça permet de rencontrer des gens qui peuvent se révéler très sympas.

    Et, la Mouette, ne va pas te sous-vendre ! Tu vaux mieux que ça, même si ce n'est pas dans le domaine de la com ou du journalisme, tu vaux bien mieux que ça. Alors, même si je sais que c'est dur, pas de défaitisme, s'il te plaît.

    Bises.
    Thierry

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