lundi 10 novembre 2014

En bas de l'échelle

Voilà très longtemps que je n'avais pas pris le temps de venir ici. Voilà très longtemps que je n'avais pas pris le temps, tout court.

Pour une fois, je ne me couche pas avec les poules, car demain, c'est repos, alors j'en profite pour retrouver une activité normale. Enfin, à peu près.
 
On va pas s'emballer non plus, j'ai pas sorti la boule à facettes. Je vais juste passer la barre des 22 heures, ce soir, quelle folie.

J'aurais eu tant de choses à vous raconter, je crois, et pourtant, je n'ai pas trouvé la force de coucher toutes ces anecdotes, petites boulettes, vrais doutes et encouragements épars. Trop lasse.

Le stage se passe bien. Je travaille, j'en prends plein les yeux, j'apprends, surtout. Pour cette dernière semaine, je suis au "froid", là où on prépare toutes les entrées, amuse-bouche et autres joyeusetés. Après une semaine au "chaud", j'avais enchaîné à la pâtisserie, labo qui se charge aussi du salé dès lors que l'on parle de bouchées à la reine, feuilletés multiples et autres... croque-monsieur. Ce sont d'ailleurs ces derniers qui sonnaient le début de ma journée. Prendre le pain de mie, le beurrer de béchamel, le garnir de jambon, recouvrir, beurrer de béchamel, parsemer d'emmenthal... Enfantin, oui.

Rajoutez-y l'envie de bien faire, vite, sous le regard de quelques âmes sans doute un rien amusées (et agacées, hum) et votre spatule déborde, les gestes deviennent hésitants, la main pas assez généreuse sur le fromage, puis trop, puis...

Ou comment avoir l'impression d'avoir deux mains gauches. Sans doute aurais-je dû penser plus souvent à la réflexion de Charles Barkley, grand basketteur que j'ai tant aimé, avec sa gueule de nounours et ses réflexions pas piquées des vers:

"La pression, c'est ce qu'on met dans les pneus."

Oui. Ma jante à moi, elle est juste un peu trop visible.

Voilà. Je me suis fait 52 kg de pommes au pèle-pommes, un matin, afin de garnir 280 tartes individuelles (j'ai dû, en réalité, en faire 80 et le chef, 200, hum...), j'ai goûté des épinards, de la ratatouille et des salades à base d'avocats-crevettes-sauce cocktail à 7 heures du mat', bu des cafés sans ne plus avoir aucune notion de l'heure, au moment de la pause matinale, dressé des réductions par centaines, apprivoisé la douille de façon ferme, si si, raclé le sol, observé avec émerveillement le montage de bûches élégantes...

J'ai souvent tenté de chasser de mon esprit les idées parasites, pour me concentrer, à l'image de toutes ces personnes en cuisine, si précises, si rapides, si expérimentées.

De quoi m'en remettre une couche sur le fait que je suis en bas de l'échelle.

De quoi réfléchir à l'idée de grimper les marches, peut-être, sans doute, d'une manière détournée, dans ce milieu si particulier, où chaque faux pas se paie au centuple, où la moindre imprécision me plonge dans un gouffre de questions, alors que je voudrais juste vivre l'instant, savourer ces derniers moments passés dans ces labos.

J'ai 40 ans, l'impression d'en avoir 17 et d'être une apprentie mal dégrossie. Oui, j'ai le sentiment de faire mon Pierre Richard en cuisine et pourtant, loin devant, il y a forcément quelque chose qui se profile. Forcément.

Vous voyez que je ne passe pas mon temps à m'auto-flageller. Je sais que demain est un autre jour.

Scarlett, sors de ce corps.

...

Ou pas, d'ailleurs, quand j'y pense. Après tout, avec son foutu caractère, l'héroïne de Margaret Mitchell, elle a pas lâché l'affaire. Et même si je n'ai pas mon Clark Gable à disposition (on fait avec les moyens du bord, y'en avait plus en rayon, quand on parle de pénurie, je vous jure, ce ne sont pas de vains mots) (mais je m'égare, je n'avais pas prévu d'aborder cet aspect sentimental) (Bref).

Même si je n'ai pas mon Clark Gable à disposition, disais-je, je sens en moi une rage d'y arriver, parce que, quand même, je ne veux pas avoir fait tout ça pour rien.

Je ne peux pas avoir fait tout ça pour rien.

Je vais ranger ma caboche et je reviens, ok?

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