jeudi 4 décembre 2014

Du sang, des larmes, ou ma vie en cuisine, part 1

Scène de crime n°1...
 
 
Les gars, les filles, je reviens de loin.
 
... n°2...
 
Mais de très loin, je veux dire.
 
... N°3. Attention, ces images sont déconseillées à un jeune public
(prévient-elle une fois les photos publiées)
 
Il y a eu du sang en cuisine.
 
Ne prenez pas mes mots au pied de la lettre, quand je parle de sang, je métaphorise (Ségo, sors de ce corps). Là, ma cuisine digne de celle d'un serial-killer qui n'aurait pas appliqué le code de Dexter, c'est juste le résultat d'un coulis de griottes réalisé un soir, un peu tard, et qui a eu le mérite de provoquer quelques éclats de rire à la maison. Allez savoir pourquoi, Clark a trouvé le pestacle assez drôle (faites-moi penser à vous parler de Clark, pas celui de Lois, non, celui, plus noble, de Scarlett).
 
Je vois pas ce qu'il y avait de marrant, franchement.
 
Non, je n'ai pas eu une poussée acnéique subite, ni la scarlatine ou la rougeole. On peut parler de "coulis gicleur" pour expliquer un portrait aussi macabre - le flou n'a rien à voir, Clark ne maîtrise pas le zoom de mon portable, semble-t-il, à moins qu'il ait eu la délicatesse de flouter la réalité, trop choquante.
 
Non, ce soir-là, aucune escalope de la main n'a été réservée pour un usage ultérieur. C'est bien au centre de formation que j'ai commis un meurtre. Ou au moins une tentative, pour éliminer le mal en moi.
 
Le doute.
 
La semaine passée a très, très mal démarré en cuisine. Mais quand je dis très mal, je n'exagère pas. Sur les deux jours de service que j'ai vécus, j'ai eu envie à chaque fois de balancer ma spatule et de me barrer. Vraiment. Le cauchemar total.
 
Le premier jour, on s'est emmêlé les pinceaux, avec mon binôme. Le lendemain, sur les mêmes plats chauds, malgré une mise en place nickel, on a trouvé le moyen, avec un autre camarade, cette fois, de foirer nos sauces. Enfin, non. Une sur trois était réussie: elle a fini dans l'eau du bain-marie. Pratique, en plein service. C'est pas comme si cette sauce était à base d'une réduction d'échalotes, nécessitant donc un rien de temps, hein...
 
Pendant que mon acolyte plantait son beurre blanc, j'avais quant à moi fait virer ma Choron (sauce béarnaise avec une concassée de tomates). Allez savoir pourquoi, tous les clients avaient en outre choisi l'entrecôte, délaissant choucroute de la mer et gibelotte de lapin qui auraient pu -je dis bien "auraient pu", hein, ne nous emballons pas - nous sauver la mise.

Pas de sauce, pas d'envoi. Eh eh eh, elle est où, la sortie?

Au lieu de me poser deux secondes, de faire le petit chien, de respirer par le ventre, de penser à je ne sais quelle image positive (quelle idée, aussi), j'ai paniqué. Je me suis énervée sur une jeune stagiaire qui ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, j'ai lancé les plats comme j'ai pu, totalement insatisfaite du rendu et surtout, je me suis demandé ce que je faisais ici.
 
Je suis partie me réfugier à la plonge, dès la fin du service. Oui, la plonge peut avoir ses bons côtés, même si elle ronge les mains et vous laisse aussi mouillé qu'un curieux venu admirer les côtes bretonnes un jour de pleine tempête.
 
La réaction a été immédiate. Le chef m'a appelée et m'a prévenue:
 
"- Demain, vous êtes en situation."
 
Comprenez, en examen blanc.
 
Ça tombe bien, j'étais en pleine confiance.
 
J'ai essayé de faire le petit chien, de respirer par le ventre, de penser à je ne sais quelle image positive. Mais rien. J'ai juste senti l'angoisse.
 
L'angoisse de celle qui ne sait pas, qui ne sait plus, qui est perdue. Je suis rentrée, le visage baigné de larmes, sans pouvoir les contenir davantage.
 
Le lendemain matin, la boule au ventre, j'ai donc eu mon sujet. Macédoine de légumes, poulet sauté déglacé, pommes cocotte, légumes de mon choix et tarte aux pommes, rien que du très classique. Comment ça, ça ne vous fait pas triper? Ah bon?
 
Sans déconner?
 
Sachez que si l'on cuisine de façon contemporaine au centre, le référentiel du titre professionnel, lui, demeure centré sur les bases de la cuisine française, avec toutes les techniques que cela suppose, évidemment (c'est bien l'intérêt) mais, du coup, le jour de l'examen, on est jugé sur une entrée, un plat et un dessert aux airs des années 60.
 
Attention, je ne cherche pas d'excuse. J'explique.
 
Me voilà donc partie pour quatre heures, sans pouvoir évacuer le stress latent. Au début, ça va. Rapidement, je perds les pédales. J'essaie de me rassurer à l'envoi de mon dernier plat en me disant que tout est parti, dans les temps. Allez, respiration du petit chien, on y croit, je suis peut-être pas si mal...
 
"- Stéphaniiiiiiiiiiiiiiie!"
 
OK, respire par le ventre, Steph. C'est le chef qui te fait signe de rappliquer.
 
Je m'asseois. Il me regarde. Il est atterré.
 
Non, je ne me fais pas de film. C'est bien de la consternation.
 
Il me demande ce que je pense de ma production, je n'ai pas besoin de sortir le fouet, je l'ai intégré depuis un moment dans ma panoplie, de façon automatique. Pourtant, je suis malheureusement dans le vrai, cette fois, quand je me flagelle.
 
"- Pour moi", commence le chef, "vous êtes une énigme."
 
J'ai foiré mon examen blanc, il ne valide rien. Même pas la tarte aux pommes, le truc qui me semblait quand même le plus basique.
 
"Vous êtes une énigme", répète-t-il, levant les yeux au ciel. "L'énigme Stéphanie."
 
Je n'en mène pas large mais je sais qu'il a raison.
 
"Vous êtes perdue."
 
Bingo. Les larmes,  que je retiens depuis quelques minutes, glissent sur mes joues, rougies par l'effort.
 
"Vous allez me faire baisser mes stats!"
 
Il finit de m'assassiner avec cette dernière réflexion. Car oui, le chef peut se targuer de 100% de réussite au titre...
 
A suivre...
 
 
 
 
 
 

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