lundi 31 août 2015

Albert II, Bertha et le mythe de la mariée trop belle

J'ai l'impression d'avoir passé quinze jours dans un shaker. Ou une machine, à l'essorage 1400 tours. Vous voyez le genre.

Secouée? Naaan, à peine.

Vendredi soir, j'ai achevé ma PSMPmachin, la convention que Popol met en place pour que tu puisses travailler en acceptant de taper dans tes allocs, dans une entreprise qui pourrait t'embaucher.

En l'occurrence, c'était le cas puisqu'à l'issue du contrat, il y avait un CDI. Le truc devenu presque virtuel ces dernières années, mais si...

Je crois que je serais capable de dresser un autel pour saluer la pertinence de ce protocole. Je brûlerais même un petit cierge pour l'employée de Popol qui, au téléphone, m'a conseillé de refuser le CDI, au vu de ce que je lui racontais. Sans elle, dans deux mois, je finissais tel Jack Nicholson dans Shining, sourire carnassier et pet au casque, totalement hystérique et dangereuse.

Et pourtant...

Souvenez-vous, j'étais plus heureuse encore qu'un gosse devant le sapin de Noël, qu'un gagnant du Loto, qu'une nana au régime qui aurait vu sa balance afficher -2, qu'un fan de NBA rencontrant Tony Parker.

Je n'ai pas dormi, la nuit précédant mon arrivée. Complètement excitée.

Même le lendemain matin, quand le boss - appelons-le Albert II, vous comprendrez plus tard - m'a prévenue que je ne serais jamais vraiment seule en cuisine (une souris avait décidé d'y fonder sa petite famille), je me suis sentie tellement chanceuse d'être ici, chef de cuisine de cet établissement, pour proposer une nouvelle carte, des suggestions à l'ardoise, de la "cuisine plus pointue"!

Bon, y'a dû avoir un espace temporel, un truc. Le soir même, je savais que ça allait être compliqué.

Cuisiner plus pointu, oui, d'accord, mais euh... enfin, c'est normal qu'il n'y ait qu'une plaque à induction? Que son fil d'alimentation soit rafistolé?

 

Finalement, une deuxième plaque était cachée au fond de la cuisine...
   
Deux fours, dont un qui ne ferme pas? Une seule casserole, une unique poêle, pas de chinois? Et les trous dans le plafond, là?

C'est la voisine du dessus qui, en cherchant son chat sur les toits (véridique!!), a rippé... J'attends le jour où il vraiment pleuvoir.
Vous me direz, ça fait une sortie d'air, vu qu'il n'y a pas d'extraction...

Euh, c'est normal de faire cuire les œufs au micro-ondes? Coque, brouillés, œufs durs, si, si, tout passe dans la machine infernale! Le jour où la mélancolie vous gagne, je vous jure, ça vaut le coup d'essayer. Si vous ne sortez pas votre œuf à temps, vous le verrez exploser, c'est rigolo.

Les œufs au micro-ondes? Ici, tout est possible!
Je ne vous parle pas de Bertha, cette coquine de souris (qu'on a fini par surnommer ainsi pour éviter de faire fuir toute la clientèle à coup de "Ah, la souriiiiiiiissss!!!"), qui est venue nous narguer à plusieurs reprises, se délestant de ses besoins naturels dans les assiettes, se préparant au marathon sur les postes de travail, chipant le parmesan qu'on avait posé en guise de piège...

Voilà, j'ai compris que le rêve avait pris un sacré plomb dans l'aile. Mais bon, rien ne changeait, après tout, j'étais là pour cuisiner, j'allais m'adapter.

 Au troisième jour, déterminée, j'émince mes oignons, puis fais revenir mes courgettes dans la fameuse poêle, lorsqu'Albert II débarque. Un œil sur la poêle, l'autre sur les fours.

"Pourquoi les deux fours sont-ils allumés?"

 Je lui montre mes tomates en train de confire, mais si, vous savez, c'est à basse température, très longtemps (j'ai réalisé à cet instant que la cuisson des tomates confites est le cauchemar de tout radin), alors que mes cakes, dans le four à côté, doivent cuire à 180°.

 Il élude, me montre la poêle, remplie, je vous le rappelle, d'oignons émincés et de courgettes, et lâche:

 "Par contre, faudra probablement simplifier les préparations à l'avenir."

...

Comment vous dire...

 Ce n'était que le début.

 J'ai vraiment compris mon malheur à J+4, lorsque j'ai ouvert seule le restau, avec toute la mise en place nécessaire (allumer tout, vitrines, musique, tutti quanti; sortir la terrasse; faire chauffer les viennoiseries; bref, rendre le tout opérationnel), ma suggestion du jour à préparer, mais surtout, ah ah, c'te bonne blague, les clients à servir.

 Si, si, prendre les commandes, leur faire leur petit café, mais pas que: leur servir des petits déj complets, aussi, et pis des brunchs, et pis...

Consciente de n'avoir que deux bras, j'ai en revanche eu la sensation que mes alertes se démultipliaient, au niveau du cerveau. C'est quand je me suis retrouvée devant la machine à café, incapable de m'en servir, que j'ai paniqué. Et compris que, vraiment, c'était du n'importe quoi.

 Ah oui, je ne vous ai pas précisé: il y a une bonne cinquantaine de couverts dans la salle, sans compter la terrasse.

 Je suis revenue en cuisine, j'ai aperçu Bertha, mais de toute façon, mes bras en étaient déjà tombés, alors...

 Alors, j'ai préparé les petits déj, les œufs brouillés au micro-ondes, toussa... Bon, en bonne rebelle, j'ai quand même fait les œufs durs et à la coque à l'ancienne, dans de l'eau, quoi, avec une feuille de salade dans l'assiette pour faire tenir le tout au moment de dresser l’œuf coque...

Lorsqu'Albert II est arrivé, la bouche en cœur, je fulminais. Lui, ne voyant rien, me demandait alors si, à tout hasard, je ne pourrais pas travailler ce week-end. En plus des cinq jours passés cette semaine, évidemment. Mais, grand seigneur, il m'offrirait deux jours de congés, les lundi et mardi suivants.

Bonne poire, j'ai cédé au départ. Et puis finalement, le lendemain, je lui ai dit que ce ne serait pas possible. On n'a pas vraiment le droit de bosser 7 jours de suite, paraît-il, et la convention Popol ne me l'autorisait pas, de toute façon.

Il en a été contrit, mais s'est résigné. Après, cherchant sans doute à atténuer mes petites poussées de rébellion, Albert II a tenté le tout pour le tout. Dès le début de deuxième semaine, il allait acheter du matériel que les filles en place réclamaient depuis des mois, juste parce que je l'avais demandé...

Lors de cette deuxième semaine, la manager a réussi à sortir Bertha de la cuisine et moi, quelques plats. J'ai même pu, ô exploit, prendre le temps de faire des tartes citron. Pas suffisant, néanmoins, pour dissiper mes doutes.
 
Il va sans dire que j'avais ramené de la maison douilles et poches, parce que le monsieur, il n'a pas ça en cuisine, même si ça fait 14 ans qu'il gère des restaurants, oh... (respect)

 
J'ai compris très rapidement que ce type était la copie conforme d'Albert. Contrôle absolu des choses et des gens, discours différent selon les personnes, manipulation... Mais le personnage a, en plus d'Albert Ier, cette méchanceté latente qui rend tout espoir vain.

Je ne me sens pas de faire la cuisine ET la salle (ce qui n'avait jamais été prévu, au passage) ?
- "Mais tu n'es qu'à 40% de ta productivité".

Et puis "Tu n'es pas rapide ni efficace."

Et puis, encore "Tu sais, j'ai regardé de nouveau ton CV, en fait, tu n'as fait que des stages, tu n'as jamais tenu de restaurant."

"Tu as bien de la chance qu'un restau comme celui-ci te propose un tel poste! Alors que tu n'as pas d'expérience!"

Et puis: "ça fait 14 ans que je fais ça, je sais ce que c'est, tu verras, dans un mois, tu en rigoleras."

J'ai cru entendre la cerise sur le gâteau, lorsqu'il m'a sorti:

"Tu sais, ce que tu fais en quatre heures, je peux largement le faire! Je fais de la cuisine, à la maison."

 Ah bah, effectivement, c'était l'argument imparable. Il a deux restaurants où il papillonne à longueur de journée et, imaginez, il cuisine à la maison. Là, je m'incline.

 Pourtant, il a atteint de nouveaux sommets, quelques jours plus tard. Albert II, qui ne sait visiblement pas faire une meringue italienne (en tout cas, il voulait me mettre du sucre dans mes blancs, alors qu'il faut faire un sirop. Bref), et qui n'a pas une seule poche à douille dans sa cuisine, a osé la phrase qui tue :

"Tu sais, ta tarte au citron, elle est très jolie, mais moi, je peux faire la même!"

Bah alors, qu'est-ce que je fais là, hein? Quelqu'un m'explique?

A suivre...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire