vendredi 11 avril 2014

L'histoire du grain de sucre et du grain de sel

Les running ne fomentent pas un complot pour me rappeler ma condition de mouette saucissonnée. Elles ont juste des lacets, qu'on pense à défaire quand on a un cerveau.

J'ai enfilé mes running, vous disais-je. Même elles s'étaient donné le mot, visiblement.
 
Trop serrées.
 
Après, je les ai regardées. En enlevant les lacets pour les enfiler, ça pourrait aussi être pratique.
 
Voilà un petit moment (trois semaines, peut-être) que je n'avais pas endossé ma tenue de runneuse. En mettant mon casque sur ma frange plus vraiment Playmobil, j'ai ressenti une vague de bien-être et la sensation de liberté... Non, je déconne. D'habitude, ça me fait cet effet. C'est mon moment, je vais courir dans les bois et je me sens plus forte que Hulk et Wonder Woman réunis.
 
Mais là, je crois bien que quelqu'un m'a mis des poids, au niveau du bide. Et du plomb sur les paupières.
 
D'emblée, j'ai le souffle court. Allez, allez, tout ça est mental, je le sais bien, ouf-fouf-fouf (non, ce n'est pas le cri d'un bœuf essoufflé, c'est la respiration pour motiver les troupes. Parfois, pourtant, la mouette se met à crier comme un bœuf essoufflé, mais on n'y peut rien). Ouf-fouf-fouf, disais-je, tout va bien, je suis un diesel, je vais être de mieux en mieux à chaque foulée.
 
Je songe alors au docteur de la tête que mon Loulou a vu ce matin et à son regard désespéré et hautain, ne cherchant même pas à cacher que c'est vraiment n'importe quoi et que, non vraiment, je ne suis pas à la hauteur.
 
Ouf-fouf-fouf, ma foulée s'étire, je gagne en souplesse, on est bien, on est bien.
 
...
 
J'ai chaud, là, quand même.
 
Je songe aussi au profil bas de Loulou, en sortant du cabinet, qui vient de se prendre une soufflante.
 
J'ai retrouvé le rythme, ah yé. Si, si, je viens de chevaucher des herbes folles en poussant à au moins trois centimètres de hauteur.
 
Si ça, c'est pas un signe...
 
Je crois que le docteur de la tête a piqué Loulou au vif quand il lui a demandé s'il voulait vraiment aller à "l'école des nuls".
 
Pourquoi notre cerveau tourne-t-il toujours à cent à l'heure, quand on court, alors qu'on se sent asphyxié de partout?
 
Je me demande à quel moment j'ai failli. Je pense aussi qu'on ne contrôle pas tout non plus, et que, après tout, la tendance qu'a dégagée le docteur de la tête, elle vient forcément du père.
 
Ben oui. C'est toujours la faute de l'autre. Surtout de l'autre parent, en l'occurrence.
 
J'arrive à hauteur d'un plan d'eau, dont je fais parfois le tour trois, quatre, cinq fois, dans mon parcours de grande malade.
 
Je tourne à gauche, plutôt.
 
Après tout, je reprends, faut pas froisser mes muscles, toussa.
 
Enfin, ce qu'il en reste, je veux dire, ceux qui sont bien au chaud sous le gras.
 
Je regarde ma montre, comme pour m'encourager. Sûr que j'ai passé la barre des 20 minutes, là.
 
16 minutes et 23 secondes.
 
Je suis au bord de l'apoplexie et je n'ai couru que 16 minutes et 23 secondes. Soit un quart de mon objectif.
 
"Hop hop hop, déjà un quart de passé, c'est facile, on y va, forza la mouette", intervient alors la nunuche de service (ma pensée positive).
 
Pff, j'en peux déjà plus et je n'ai couru qu'un quart d'heure, je suis mal. Tout ça, c'est à cause de l'autre, là. Le docteur de la tête qui s'est montre kré kré méchant (la vérité, ça fait toujours mal).
 
Certes, peut-être qu'en me couchant un peu plus tôt, j'aurais aussi pu envisager d'avoir mon quota de sommeil et de ne pas être une larve après 16 minutes et 23 secondes.
 
...

Je croise des vaches. Je les regarde, elles me regardent, je les regarde. Elles semblent me dire: "laisse tomber, regarde ce que ça a donné pour nous."

Au moment où je m'apprête à leur répondre que, eh oh, ça va bien, j'ai pas la morphologie d'une vache non plus, je trébuche. Je suis tellement lourde que je ne lève plus assez les pieds.
 
Non mais, sérieux, qui m'a mis ces culottes de cheval sur le haut de la fesse? Je vous assure, chez moi, ce n'est pas une culotte de cheval, mais carrément deux, si si.
 
Peut-être pourrais-je envisager une rupture. Pas avec Bobo mon petit robot, non (quoique, le traître agit dans le sens du gras pour tous, et surtout pour mon séant). Avec l'homme.
 
Ben oui, si j'en crois "les gazelles", le film que j'ai vu la semaine passée, il paraît que tu perds deux tailles quand tu te sépares.
 
C'est simple, dans cette comédie doux-amer, les nanas, elles passent leur temps à picoler et à cloper. Du coup, elles n'ont plus le temps de se goinfrer.
 
Oui, mais moi, si je bois, il faut que je mange, sinon, je deviens aussi agitée du bocal que Brigitte Fontaine et Gainsbarre réunis (j'aime bien les combinaisons, aujourd'hui, sans doute pour tenter de réconcilier gras et running. Je sais, c'est peine perdue, mais laissez-moi rêver).
 
Et en plus, je fume pas. Faut que je commence, pour perdre mon gras?
 
Et là, je me dis, je suis à la ramasse, alors que je ne clope pas. Je devrais donc avoir un souffle du tonnerre et pourtant, alors que je rentre sur l'île Clémentine, prête à terrasser ma peau d'orange, je suis toute rouge, à deux doigts d'arrêter.
 
Ouf-fouf-fouf.
 
Y'a un truc, je vous dis.
 
Allez, j'arrête dans trois minutes. Enfin, non, je vais faire du fractionné. Ah oui, mais pour le fractionné, il faut piquer des sprints et repartir doucement. Repartir doucement, je peux, finger in the noise. Accélérer, comment dire... Si vous me trouvez une raboteuse dans les trois minutes qui viennent pour me débarrasser de ces couches superflues sur le côté...
 
Donc, la rupture... Mais quand même, elles n'ont pas l'air si heureux que ça, ces célibataires (plus ou moins endurcies), dans le film. Je veux dire, leur vie n'inclue pas les pétales de rose chaque matin au lever du soleil.
 
L'homme ne met pas non plus de pétales de rose au pied de notre lit chaque matin, on est d'accord, mais enfin, je l'aime, quand même. Il est bien pratique, en plus, il me sert de défouloir, hoche la tête en disant miammiam quand je lui cuisine des petits trucs, me donne de l'affection...
 
Oui, je vous vois venir, je pourrais prendre un chien, aussi, mais j'ai déjà trois chats, ça va aller, les conneries (un jour, je vous parlerai des courriers de ma voisine, y'a moyen de rigoler).
 
Je suis donc toujours sur l'île Clémentine et là, cette fois, j'en suis sûre, je suis au taquet, ça fait au moins trente minutes que je cours.
 
Un coup d'œil au chrono. 28 minutes et 17 secondes.
 
Ouf-fouf-fouf. Le running, c'est mental. On ne se laisse pas abattre par un élément - la montre - dont on découvre le caractère sournois aussi soudainement.
 
De toute façon, moi, je commence à me sentir bien à 32 minutes. Pourquoi 32? Je ne sais pas, moi, pourquoi vous aimez les fraises? Ben, 32 minutes, c'est pareil, ça ne s'explique pas.
 
J'arrive dans la gadoue, ça me rappelle ma vie. En même temps, il a pris des gants, le docteur de la tête. Je le revois:
 
"Je vais vous dire quelque chose, ne le prenez pas mal... En même temps, vous allez forcément mal le prendre."
 
Oui, ça met en condition.
 
Je franchis le pont, sors de l'île Clémentine et sens un regain. Le fameux cap des 32 minutes. Ah, ah, j'en étais sûre. Ça dure à peu près cinq secondes. Ouf-fouf-fouf...
 
Ce qui a été terrible, aussi, dans cette consultation, c'est qu'après les "révélations" du docteur de la tête, je me suis mise à regarder différemment Loulou. Mon enfant. J'ai enfanté une personne qui ne suis pas parfaitement les balises imposées.
 
J'ai mal. A la tête et aux jambes. Pourtant, je suis contente, je crois que le coton a remplacé le gras dans mes poteaux qui, paraît-il, me servent pour courir. J'ai envie de mourir tellement je suis à bout. A 45 minutes, je fais un truc que je déteste. Je m'arrête, avant l'heure.
 
Finalement, après 5 minutes de pause à ressasser mon gras, le docteur de la tête, mes failles, mes sentiments et cette envie irrépressible de vomir et de boire de l'eau (loin de moi l'idée de boire mon vomi, promis), j'ai remis le chrono et mon corps en route pour quinze minutes de course et de réflexion.
 
Dans les deux cas, j'ai morflé.
 
Mais je me suis dit que finalement, je n'ai peut-être pas besoin de rompre, avec l'homme, je veux dire. Je peux aussi freiner cet élan que j'ai pour le chocolat et courir, courir, courir... Pour le reste, je vais juste accompagner Loulou comme il se doit et envisager, aussi, que rien n'est figé et qu'on peut toujours avancer à pas de géant.
 
Suffit de s'entraîner. Suffit de s'entraider.
 
Suffit d'arrêter le sucre, aussi. Mais bon, Rome ne s'est pas fait en un jour, hum?
 

4 commentaires:

  1. Moi, je note un truc : quand un môme ne s'adapte pas au système, c'est toujours le môme qui déconne, pas le système....un peu facile, non ? y a des enseignements alternatifs, qui existent, et qui ne sont pas forcément des " écoles de nuls". Ton gamin, au vu de ses réflexions que tu nous rapporte parfois, j'arrive pas à le ranger dans la catégorie des " inaptes", moi. Et toi, tu devrais pas accepter qu'on l'y enferme. Cette école où il est me paraît plus une fabrique à formatage de robots qu'un lieu d'épanouissement personnel. Et je crois que cet enfant, qui n'est pas sot, n'est pas fait pour un lieu "conventionnel".
    C'est autre chose qu'il faut chercher pour lui, mais certainement PAS un établissement pour...disons-le, hein ? "débiles légers", comme sa maîtresse et son docteur de la tête voudraient l'y mettre !
    On voudrait saper ta confiance en lui, SA confiance en lui et celle qu'il a en toi, qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Les enfants " différents", ça dérange mais ça n'en fait pas toujours des " retardés".
    J'aime pas les conclusions de ces gens-là.
    Fait évaluer son QI ( et pas par le même " docteur de la tête" qu'il a déjà vu !), et sa personnalité. Les résultats diront d'eux-mêmes quelle direction il faut prendre....école pour "moins-comprenants", ou...école alternative à la fabrique à robots gouvernementale !

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  2. Ah, et puis : en une seule consultation, il a pu voir, lui, QUI était ton fils et quels étaient ses problèmes ? Soit c'est wonder-toubib, soit c'est un blaireau, ce type....

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  3. En fait, il l'avait déjà vu voilà trois ans, pour quelques séances... Il n'est pas question de le placer dans une école pour "débiles légers", l'instit et le docteur de la tête ont au contraire confirmé qu'il était très intelligent et éveillé... Il lui a parlé de l'école pour les nuls juste pour le vexer et le réveiller! Loulou a banni de ses options quotidiennes le programme "travailler", parce que ça l'ennuie. Je suis d'accord avec toi sur l'idée de saper MA confiance en lui, c'est vrai que c'est perturbant, tout ça. Une sorte de méfiance, qui naît, envers mon propre enfant, c'est terrible...

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  4. Par expérience, pour avoir travaillé avec des enfants comme loulou et - même si ce n'est pas le cas ici - rencontré des adultes Asperger, je te dirai que le déclic pour améliorer leur désintérêt de l'école, du travail, toussa, a été de se retrouver un jour dans un contexte où on a fait appel à leurs neurones de façon intense (un peu comme le rythme de ta course) jusqu'à ce que ça devienne suffisamment excitant pour eux pour qu'ils aient envie et besoin de remettre ça. Des ateliers comme la philo pour enfant qui commence à arriver en France sont supers pour ça. Le hic est que l'école n'étant pas le meilleur endroit pour déchaîner les passions, faut trouver soi-même l'activité qui fera tilt.
    Concernant l'école, je reprendrai l'image que l'un d'eux m'a donnée. Il m'a dit : je savais que j'avais des ailes, mais à quoi bon apprendre à voler quand on est en cage.
    Il a fallu qu'on lui démontre un jour que le ciel existait pour qu'il prenne son envol :)

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