lundi 29 septembre 2014

Où j'ai voulu décrocher la lune

Mes pieds étaient gelés, par la fraîcheur du sable. Le vent s'était un peu levé et mes deux gilets enfilés l'un sur l'autre ne pouvaient me réchauffer. Je grelottais.
 
Et pourtant.
 
Pourtant, je me suis rarement sentie bien qu'à cet instant. Le froid, la fatigue, les doutes, rien ne pouvait ternir ce sentiment soudain et surprenant de plénitude.
 
 
Sinon, vous croyez que je peux envisager une reconversion dans les cartes postales?
 
Samedi. Il était 20 heures et des poussières, peut-être. Je fixais l'horizon et j'ai saisi ma chance, j'ai mesuré le luxe de prendre ce temps sur cette plage pornicaise, en songeant que ma journée, commencée si tôt, avait pris une sacrée amplitude.
 
...
 
Seize, dix-sept heures plus tôt, j'étais au volant, attendant d'ouvrir le compteur des voitures croisées. Bilan : une. J'ai croisé un autre zozo matinal de tout le trajet, en allant bosser si tôt.
 
Drôle de sensation que celle de mener une vie parallèle, quand la ville dort.
 
A 4 heures du matin, chacun était déjà affairé au labo. Nous avons dressé, dressé, dressé, des multitudes d'entremets tous plus beaux, et puis, nous avons rangé, anticipé, porté, couché, dressé, encore.
 
L'exigence est de mise et, si l'on dépasse d'un millimètre le point exact où il fallait coucher la chantilly, on se sent juste tellement à côté de la plaque qu'il faut vite se ressaisir pour passer au suivant.
 
Il paraît que j'avais des petits yeux. Une semaine de passée, déjà, et des marques de fatigue? En fait, je ne me bats pas tant contre la fatigue (enfin, c'est vite dit, j'ai l'impression que ma couette est devenue l'une de mes visions-fétiche, ces derniers jours) que contre le froid. En passant devant chez... Damart, ce midi, j'ai sérieusement songé à rentrer pour la première fois dans la boutique pour essayer leur truc qui tient chaud.
 
Et puis j'ai pensé que j'aggravais mon cas. Je veux dire, Damart, ce serait pas un peu pour les vieux?
 
Donc, je me suis ravisée. Mais, quand même, ils ont quand même une sacrée cible à viser, parmi ceux qui se gèlent dans les chambres froides.
 
Ben oui, parce qu'un labo comme celui de Vincent Guerlais recèle de ces pièces, tantôt accueillantes (je vous explique pas le shoot dans celui dédié au chocolat...), tantôt... eh eh eh, glaçantes (elle était facile, mais tellement réaliste). Et quand on doit y passer dix minutes, le temps de ranger des plaques de macarons, par exemple, on a beau avoir endossé une polaire, les doigts sont brûlés, et l'engourdissement tarde à s'éloigner.
 
Cette prise avec le réel me donne à voir, vraiment, ce qu'est ce métier. Sa dureté, son décalage avec une vie sociale "raisonnable". Son exigence, mais sa beauté, aussi. J'avoue une légère frustration, parce qu'il s'agit d'une véritable machine et que les stagiaires ne sont pas habilités à réaliser des recettes de A à Z. On pèse - 15,414 kg de crème fraîche, 12, 856 kg de chocolat blanc, 868 g de beurre de cacao... - on dépose les seaux et une autre personne exécute pendant qu'une nouvelle tâche nous appelle. J'aime l'intensité du rythme, moins le peu d'approfondissement.
 
Cela n'enlève rien au plaisir que je ressens de découvrir cet univers.
 
C'est pour cela aussi, je crois, que j'ai tant savouré ce moment, entré directement dans le top 5 de ma boîte à images, parce que j'avais juste à ouvrir les yeux, contempler la beauté de cette nature, suivre naïvement le coucher du soleil et la lente métamorphose des nuages - ce soir-là, le ciel était rempli de dinosaures, allez avoir pourquoi - et être là, sentir mes tensions s'apaiser.
 
Oui, j'aime bien rappeler que la terre est ronde. Et puis, faire des photos droites, non, vraiment, avec un esprit tordu comme le mien, c'est juste inconcevable.

Vous les voyez, ou pas, les grands dinosaures?


J'ai greloté et pourtant, j'aurais voulu ne jamais partir.

Elle n'était pas si loin, la Lune...
 
 
La lune était d'un orange comme jamais je ne l'avais vu. En me relevant, j'ai juste souri. Comme si mes sens étaient à ce point aux aguets que je voyais littéralement un nouvel horizon se profiler, là, à portée de main.
 
 
 
 
Comme si je pouvais décrocher la lune, juste en levant mon bras vers elle.
 

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