dimanche 26 juillet 2015

Le rêve et la réalité

Sentiment incroyable que je ressens, lorsque j'enfourche mon vélo au petit matin. Cette impression d'être seule au monde. Enfin, presque.
 
Je quitte la maison endormie et la rue ne trahit pas non plus le moindre murmure. Seul mouvement de vie, ces ombres furtives que je croise et qui rejoignent les fossés au moment où mes roues s'approchent d'elles sur le bitume. Des chats, des lapins, peut-être des rats (mais j'aime autant faire comme si c'était autre chose).
 
Et puis il y a le cri des mouettes, oui, à 5 heures et des poussières, qui continue de me surprendre, à cinquante kilomètres de la côte. Je les regarde, elles volent au dessus de ma tête et j'imagine qu'elles m'accompagnent jusqu'à ce domaine où je travaille maintenant depuis près de deux semaines.
 
Vision poétique avant l'entrée dans le dur.
 
Après dix jours passés dans le labo, j'ai enfin une vision concrète de ce métier de pâtissier, ainsi exercé, dans sa conception la plus noble, j'imagine, mais aussi la plus laborieuse.
 
J'avais déjà eu une vision de l'envers du décor voilà quelques mois, mais dans le cadre d'un stage et au sein d'une grosse entreprise. Je n'étais qu'une observatrice - qui travaillait, oui, mais sans véritablement mettre la main à la pâte - là où je deviens désormais actrice de ce tourbillon.
 
Là, nous sommes sept - chocolatiers et boulanger compris - et nous ne ménageons pas notre peine, chacun, pour sortir chaque jour des entremets, tartes et autres tueries qui se doivent être parfaits.
 
Le genre de caisses qu'on envoie, le matin...
Où comment vivre un casse-tête pour aligner correctement les fraises sur une pâte sucrée.
 
 
Ici, pas d'approximation, la moindre imprécision est visible et immédiatement repérée. On chasse le temps perdu, les gestes lents, les mauvaises positions. On économise ses pas et on les multiplie en même temps, sans courir.
 
La journée commence tôt, oui, mais aucune ne ressemble vraiment à l'autre. A chaque jour ses surprises. Je vous passe mes premières questions - pour savoir où on range quoi, dans quel micro-espace de la réserve on trouve le stab ou le mono - mes premières boulettes, mes premières sensations d'être là comme un éléphant dans un magasin de porcelaine...
 
Ah si, quand même, je me dois de partager avec vous ce grand moment de solitude lorsque, un matin, je suis arrivée en robe pour constater, une fois dans les vestiaires, que j'avais laissé mon pantalon de travail sécher dans le salon... J'en ai été quitte pour un aller-retour express en vélo, à effrayer plus que jamais ces formes auxquelles je me suis attachée, affolées par le tracé de cette dégénérée essoufflée.
 
J'en ai été quitte, aussi, pour cette image de gaffeuse que j'aimerais tenter d'estomper.
 
Un jour, peut-être, un jour.
 
Le changement de rythme, les incertitudes, les nouvelles habitudes à prendre très vite, les couchers et les levers prématurés... J'avoue que je me suis sentie déstabilisée au terme de mes premiers jours. J'ai songé plus que jamais au gouffre entre le rêve à la réalité.
 
Le rêve ? Pâtisser toute la journée et créer des merveilles.
 
La réalité? Enchaîner les gaffes, accepter la pression, aller plus vite que la musique et se finir, suintant, à la raclette.
 
Ah, et éviter les chiens de garde du manoir, qui vous coursent à 4 heures du mat', le samedi, votre vélo et vous...
 
Il n'y a pas eu de révélation à proprement parler. Pour l'avoir un peu vécu, je savais à quoi m'attendre. N'empêche qu'il faut le vivre pour réaliser à quel point le métier est exigeant, prenant et rédhibitoire pour qui n'est pas réellement passionné.
 
...
 
Et puis, j'ai pris le pli, me suis accordé un peu d'indulgence. Surtout, j'ai accepté l'idée que cette étape d'adaptation était obligatoire, que je ne travaillerai pas toute ma (nouvelle) vie dans un labo mais que cette expérience était juste très précieuse pour envisager la suite.
 
J'apprends chaque jour. La confiance en moi me fait toujours défaut, évidemment, mais je ne suis plus effrayée par certains gestes qui me tétanisaient auparavant. Je fais, j'agis, j'écoute sans doute davantage mes collègues - j'ai de la chance, je suis très bien tombée. Ah oui, je continue de me brûler régulièrement (deux belles cloques aux doigts depuis que j'ai glacé des choux hier, j'adore), mais je mesure les (petits) progrès accomplis, comme des petits pas vers un avenir où, enfin, je ne me considèrerai plus comme une petite chose.
 
On est d'accord, y'a encore du boulot, mais enfin, ça me fait un joli programme à suivre...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire