dimanche 8 août 2010

L'attrait de l'ortie, du sureau et le racisme chez Zola

15h30. La vaisselle se lave toute seule dans la machine, toutes les tables sont débarrassées, le plan de travail est rangé et j'ai même eu le temps d'avaler ma petite salade. Maintenant que la tornade est passée, avec une quinzaine de personnes arrivées quasiment dans le même temps, je m'octroie le luxe suprême, celui de goûter à cette glace bio "menthe ortie" et à cette autre, "sureau".

En fait, il n'est nul question de gourmandise, non, non, non. Il s'agit d'un dévouement de l'extrême, d'une conscience professionnelle poussée au bout: des clients m'ont demandé à quoi ces parfums s'apparentaient (ben, à de la menthe et à du sureau?). Je ne pouvais rester plus longtemps dans l'ignorance.

Je mets délicatement la première cuillère dans ma bouche, laquelle s'en trouve immédiatement émerveillée. Ce menthe ortie s'avère une petite tuerie. Quoi, le régime? C'est rien que des plantes, là, c'est pas pareil! Au sureau, maintenant (pas folle, je sais que le temps m'est compté et qu'un client peut surgir à tout moment. Va savoir pourquoi, je ne veux pas qu'ils imaginent que moi aussi, je peux me sustenter). Oh, c'est bon, texture veloutée, un peu épaisse et étonnante, mais bon, ouh la la. Limite, l'extase n'est pas loin.

Surgit de nulle part un monsieur. La cinquantaine, sec, très sec, abîmé par la vie. Il sent l'alcool. Au départ, il me demande mon avis car il aimerait visiter le musée, attenant au restaurant, avec sa fille de dix ans. Ben, allez-y monsieur, et si vous voulez lui faire faire du vélo dans le parc à côté, vous pouvez aussi (non, c'est vrai quoi, ma glace est en train de fondre). Sauf que le monsieur cherchait juste un prétexte pour parler et évoquer sa fille, sa douleur, sa souffrance.

Mince. Je suis mal (mais pas tant que ma glace).

Alors, il me raconte. La séparation avec la maman, la petite fille maltraitée par le nouveau compagnon alors qu'elle n'a que trois ans, le placement en famille d'accueil - "j'aurais bien voulu la récupérer, vous comprenez, mais j'étais en prison", me précise-t-il. Ah, effectivement, ça complique un peu les choses - la mère qui ne voit pas sa gamine sept ans durant mais qui fait une autre fille avec le même compagnon maltraitant, la dite gosse rejoignant à son tour une famille d'accueil.

Bref, c'est Zola. L'espace de quelques secondes, j'en oublie ma glace et la douleur qui me scie le talon (une autre histoire, je vous expliquerai) et je suis dans l'empathie totale.

Quand même, y'en a qui cumulent.

Alors, lui, il se raccroche, il veut recoller avec les morceaux avec sa gamine, la seule qu'il ait eue. Il joue au bon papa, il veut l'amener au musée. Preuve à l'appui, il sort de sa veste élimée une feuille, qu'il a pris soin de protéger avec un plastique, et insiste pour que je lise la lettre. Les mots, écrits avec différents stabilos, sautent aux yeux, fluo oblige, mais aussi par leur teneur. "Papa, quand j'étais petite, tu étais très méchant avec moi, mais maintenant, tu es le papa de mes rêves" etc. etc. Le pauvre monsieur, je suis à deux doigts de lui offrir un café et de lui proposer de passer un petit instant sur la terrasse. Quand...

Il fait le faux-pas.

"Je m'inquiète pour ma fille, en ce moment, elle est dans une famille d'accueil bien, mais le quartier est vraiment pas terrible, plutôt mal famé." Devant mon air interrogateur (en Sarthe, nous ne sommes pas les plus en danger, en termes de sécurité, dirons-nous), il ajoute: "Ben oui, y'a plein de noirs, d'Algériens, de Marocains".

...

"Allez, bonne continuation, monsieur, hein, allez voir le musée si vous voulez plus de renseignements", l'ai-je coupé.

Il n'a rien dû comprendre, ne voyant même pas le problème, j'imagine. J'ai été un peu lâche, avec le recul. J'aurais dû lui spécifier que son racisme, aussi ordinaire et tragiquement banal soit-il, me dégoûtait et qu'avant de porter de tels jugements, peut-être devrait-il se poser d'autres questions.

Mais il sentait l'alcool, comme je vous l'ai dit, et tous ses propos n'étaient pas forcément assurés. J'ai craint de me prendre une mandale, tout simplement.

Et comment j'aurais mangé ma glace (fondue) avec une mâchoire cassée?

5 commentaires:

  1. Constat : bin, y a encore du boulot.
    Tous ces gens à la dérive.....

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  2. Ah, la misère sociale, c'est quelque chose ! Je comprends que tu aies eu un mouvement de recul, une mandale n'est jamais agréable. Travailler dans un restau au contact du public, ça permet de réaliser une sacrée galerie de portrait et les tiens sont magnifiques.
    Bises, la Mouette
    Thierry

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  3. PS : elles ont l'air effectivement très sympa, ces glaces ! Où peut-on se les procurer ?

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  4. Il s'agit d'un fournisseur local, qui travaille dans le Perche, au nord du département sarthois. Il bosse avec des produits locaux et j'ignore s'il "exporte". Mais dieu qu'elles sont délicieuses, ces glaces!

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