vendredi 6 mars 2015

Où je redescends sur terre

La fameuse ligne de confidentialité de Pôle Emploi. Derrière, des âmes qui souffrent.
 
Mercredi soir, j'avais prévu une liste de tâches plus longue que le Chili, à laquelle je comptais bien m'attaquer dès le lendemain. Il faut dire que j'ai une énergie débordante, en ce moment, allez savoir pourquoi (l'impression d'être revenue de l'enfer, peut-être? Ah oui, c'est ça).
 
Donc, j'en profite pour agir et ne plus procrastiner. Autant vous dire que j'ai fait un sort au pilou et son démoniaque appel.
 
Donc, vous imaginez bien que chaque minute m'est comptée.
 
Pourtant, le matin venu, léger changement de programme, à la faveur d'un coup de fil ô combien encourageant (je vous raconterai). Je dois aller chercher une "fiche de liaison" chez Pôle Emploi. Ni une, ni deux, je fais une légère entorse à mon programme de ministre et je file donc chez mon employeur préféré. Avec un apriori plutôt favorable, à vrai dire, tant je suis tombée sur un conseiller sympa et compétent, la dernière fois (si, les choses évoluent, parfois, dans le bon sens).
 
10h45. Je rentre. Ouh. Y'a du monde. Enfin, quatre personnes devant moi, c'est pas le Pérou non plus, hein, on ne va pas s'enflammer.
 
En plus, y'a un écran plat, ça fait de la lecture. C'est écrit que, pour faire bonne impression en entretien d'embauche, déjà, il faut pas arriver en retard. Et là, apparaît un dessin où on voit le domicile du chômeur d'un côté, le lieu stratégique où il serait trop heureux de retourner, de l'autre. L'idée, c'est de prévoir le temps entre les deux pour arriver à l'heure. Ouh, c'est du lourd, là.
 
Vingt minutes plus tard, quand arrive mon tour, je trouve que c'est quand même un peu long, quatre personnes devant soi, mais le plus dur est passé. J'ai juste un document à récupérer, une formalité.
 
Ah, ah. Ma naïveté m'étonnera toujours. Mon interlocutrice m'explique qu'on va me recevoir, il y a juste une personne devant moi. Il est 11 heures 10.
 
Sur l'écran, ils disent aussi que pour optimiser ses chances d'être embauché, c'est mieux de proscrire tongs, casquette, short... Ah ouais, quand même.
 
Je me tourne vers les présentoirs. Je décortique TOUS les dépliants. Ça manque de glamour, mais on n'est pas là pour ça, on est d'accord.
 
J'avais lu "attente", j'ai cru que c'était un guide rigolo pour mieux supporter tout ça.
 
 
Je ne devrais pas me plaindre. Au moins, je suis assise. Et un sacré spectacle se joue devant moi: la comédie humaine.
 
Il y a ce jeune homme qui n'a visiblement pas lu les consignes de l'écran plat sur-comment-être-convaincant-en-entretien-d'embauche (ou alors, il s'auto-sabote, n'éliminons aucune hypothèse), si j'en crois sa coupe, long d'un côté, rasé de l'autre, trop stylé, comme dirait Loulou.
 
Il y a ce monsieur d'une soixantaine d'années qui tente de se persuader que si, il peut être embauché, retrouver du travail, d'ailleurs, on lui propose un stage non rémunéré, si ça, c'est pas un signe, je sais pas ce que c'est. La dame de Popol ne voit pas, elle.
 
Il y a cette jeune femme qui s'étonne de ne rien avoir reçu, depuis qu'elle a eu un trop perçu, mais qui n'a pas songé à envoyer ses feuilles de salaire depuis des mois. C'est moche.
 
Il y a ce jeune homme qui envoie paître la conseillère volante - celle qui va s'enquérir des besoins de chacun dans la file, histoire de rediriger tout le monde et de, normalement, gagner du temps - parce que lui, il est là pour le muguet, etpiscesttout. Je ris sous cape en pensant au Guignol de Philippe Lucas.
 
Il y a cet homme qui est venu chercher un avis de situation, à qui la dame volante conseille d'aller directement sur Internet, là, derrière lui. Là, c'est le drame, l'homme, qui semble sortir tout droit des All Blacks (un cou pareil, c'est juste inimaginable), n'a pas compris le mot. Internet.
 
La dame volante ne se décourage pas. Elle peut l'aider, si si, il faut juste les codes d'identification. L'homme fait des yeux ronds qui, perso, me donnent envie de me terrer plus encore sous mon siège, mais elle, elle ne lâche pas l'affaire. "Vos codes, monsieur, vous avez besoin de vos codes pour obtenir votre attestation". Il s'avance vers elle, il n'est plus qu'à 50 cm d'elle, je commence à transpirer d'effroi, il la regarde, elle répète "vos codes, vos codes", je sens qu'il va la frapper et là... Il tourne les talons et, sans un mot, quitte l'agence.
 
Visiblement, personne ne semble s'en offusquer, sinon mon voisin, qui avait rendez-vous à 11h30 mais que personne ne semble décider à recevoir.
 
Il me regarde, amusé. "Bon, je vois que rien n'a changé, ici!"
 
Je lui dis que, pourtant, j'avais senti des prémices de... Il balaie l'idée de sa large main. "Je ne comprends pas pourquoi ils me convoquent, j'ai retrouvé du boulot depuis quatre mois!"
 
Là- dessus, une conseillère descend pour la troisième fois de son étage et réclame un demandeur fantôme. L'heure tourne, elle devrait recevoir mon voisin, me semble-t-il. D'ailleurs, sa collègue l'informe qu'il vaudrait mieux ne plus patiner sur l'absent mais passer aux gens qui attendent pour de vrai. Elle la regarde, hausse les épaules et remonte.
 
Une fan du step, sans doute.
 
Entre temps, un homme qui venait de rentrer, éparpille tous ses papiers par terre. Ça occupe, cela étant, de les ramasser.
 
Dans la file, ça n'avance pas beaucoup. Il faut dire que la jeune femme à l'accueil n'a visiblement pas tout compris de l'aspect "accueil" et redirection efficace. En fait, elle conseille une femme depuis vingt minutes, jusqu'à lui faire un plan manuscrit afin d'aller au salon de coiffure où elle pourrait aller postuler. Ben oui, la demandeuse n'a pas de GPS, faut dire.
 
Et puis, elle est exigeante, aussi. La jeune femme de Popol le lui dit que, quand même, même si elle ne fait pas de tresses africaines comme elle le souhaiterait, elle pourrait postuler dans des salons "traditionnels", en attendant. En face, pleine de dédain, la demandeuse ne cache pas son manque d'entrain et finit par quitter les lieux.
 
Je me tourne vers la file et croise le regard de l'homme qui avait éparpillé ses papiers.
 
Il fait tomber tous ses papiers.
 
Pas sûre que ce soit l'effet de mon charme saisissant, hum.
 
La jeune femme de Pôpol accueille maintenant l'homme au muguet. Il précise: "moi, hein, c'est que pour le muguet que je viens, hein!"
 
"Vous avez regardé les annonces sur le site?" ose-t-elle, l'inconsciente.
 
"Ben non, eh!" lui répond-il avec aplomb. Faudrait voir à pas pousser mémé dans les orties.
 
Il est 11h50, je commence à dépérir et je songe à la liste de ce qu'il me reste à faire, dans la journée. C'est pas comme si j'avais de l'énergie à utiliser.
 
...
 
Je ne me souvenais plus dans quel monde nous vivions. Sans vouloir défendre Pôle Emploi, il y a un paquet d'inadaptés sociaux qui traînent dans les parages et je ne parviens pas à les imaginer dans un poste, quel qu'il soit.
 
J'en étais à ces sombres pensées lorsque j'ai été appelée. Il était midi. Je suis sortie 30 minutes plus tard. Ben oui, je n'avais pas saisi que pour obtenir ce document, j'allais subir un petit entretien.
 
Une fois bien cuisinée, j'ai eu mon sésame.
 
Près de deux heures pour un papier. Waouh. On frôle la performance ultime.

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