jeudi 28 avril 2011

Quand les verrous sautent

Hasard de l'horaire, j'ai croisé en tout début d'après-midi un cortège de personnes, jeunes pour la plupart, tout de noir vêtues, marchant d'un pas régulier jusqu'à une église. L'Église de Saint-Félix, où les Nantais allaient se recueillir sur les tombes de la famille Dupont de Ligonnès. Il n'était évidemment pas question que je m'y joigne, mais j'ai senti comme une chape de plomb, soudainement, comme si la réalité dépassait les pires cauchemars. De mon côté, j'avais de bien plus légères intentions, faire un truc que je n'osais plus trop faire depuis un moment: un p'tit ciné en plein après-midi, à l'heure où les gens, ces bienheureux, bossent.

A ma décharge, j'avais écumé toutes mes tâches jusque tard la veille au soir et je tenais vraiment à voir ce film, "Tous les soleils", avec Stefano Accorsi, toujours charmant. J'y allais sans a priori et j'ignorais en voyant ces visages marqués sur le trottoir, près de Saint-Félix, que les larmes couleraient aussi sur mes joues quelques heures plus tard.

Évidemment, on est d'accord, la terrible détresse et le chagrin mêlé d'horreur et d'incompréhension de cette famille, de ces amis, de ces connaissances, de ces curieux, aussi, peut-être, n'a absolument rien à voir avec la tristesse que j'ai ressentie, de mon côté, au simple visionnage d'un film. Mais pourquoi devrais-je taire cette émotion qui a surgi, brusquement? Par dignité, par décence? Le fait est que ce film a résonné en moi, très fort, qu'il a bousculé deux trois verrous que j'avais pris la peine de bien poser, pour faire comme si. Comme si je ne me souciais de rien, comme si je me laissais vivre, comme si je cédais à l'attrait de mes rêves en oubliant la dure réalité. Il a bouleversé ces remparts, cette carapace et laissé apparaître cette mélancolie qui jamais, je crois, ne me quitte vraiment.

Le film traite de la solitude d'un homme, veuf depuis quinze ans, qui n'a jamais cherché à "refaire sa vie" (quelle expression horrible). Un homme qui s'est accommodé de cette drôle de compagne, qui n'est, au fond, sans doute ni heureux, ni malheureux, comme anesthésié. Vivre pour lui, il a un peu oublié, il y a sa fille, son frère anarchiste, ses cours à la fac et au chant... Sa vie est remplie, finalement, et il s'en contente aisément.

La solitude est une fidèle compagne, qui ne vous trahit que lorsque vous la mettez un peu de côté, le temps d'une furtive rencontre, d'un moment un peu hors du temps, d'un événement impromptu, toutes ces choses qui rendent la solitude, cette vie à tracer seul, soudain intolérable. Comme après un très long sommeil, on se réveille la bouche un peu pâteuse, l'esprit un peu engourdi avec l'envie de croquer dans la pomme, alors que la vie indépendante et plus ou moins organisée que nous menions nous convenait encore la veille. Comme une prise de conscience, un électrochoc. Laisser les morts et les résidus de souvenirs derrière nous... Construire, ériger de nouvelles voies.

Avancer.

J'aurais dû sortir le coeur léger de la séance. Après tout, le portrait du frère rital, auto-déclaré apatride depuis que Berlusconi a pris le pouvoir en Italie, l'attentat d'une postière sous influence, la flamme d'une chef d'établissement et surtout la lumière qui se dégage du film et de l'ultime scène prêtent au sourire. C'est pourtant là que j'ai fondu en larmes. Parce que j'ai compris qu'à mon échelle, j'avais trop rêvé ma vie ces derniers temps, envisagé trop de scénarios souriants avec l'idée que ma bonne volonté suffirait à soulever des montagnes. Des petits bouts de coeur qui s'émiettent un peu partout, un travail trop réduit et voilà que remontent en force ces foutues angoisses, cette peur du lendemain et l'idée, insupportable, que je n'ai pas toutes les cartes en main pour décider de mon destin. Perte de contrôle, oui, illustrée par cette salve de larmes inattendue.

Il fallait que ça sorte, j'imagine. D'ailleurs, une fois les larmes séchées, mes émotions étaient bien rangées dans leurs tiroirs, ce soir. Elles avaient juste besoin de prendre l'air, un peu, histoire de montrer qu'on ne peut pas les anesthésier de façon permanente à coup de méthode Coué. Ni imaginer qu'à la seule grâce de la volonté, la magie va repeindre le quotidien du sol au plafond, d''un seul coup de baguette.

L'huile de coude et l'envie d'en découdre me semblent plus adaptées, à bien y réfléchir.

2 commentaires:

  1. Excellente conclusion ; n'empêche que rêvasser sa vie sur les ailes des "et si..." est sans doute nécessaire au "et maintenant, je vais...". Quand aux larmes, oui, fallait que ça sorte ; et ça fait du bien, et ça nettoie le pathos. Après, au moins, on peut retrousser ses manches. D'ELdorado il n'y a a point. Mais nos vies rêvées ont toutes un peu de nos vies vécues, et vice-versa.

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  2. Parfois, ça fait du bien, oui, de pleurer un bon coup. Mais ne cesses pas de rêver, la Mouette, ce sont nos rêves qui nous font avancer.
    Bises.
    Thierry

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