samedi 24 juillet 2010

Monsieur grincheux et mon rêve de couette

Encore dans le gaz, je me suis levée sans aucun enthousiasme ce matin. Pourtant, tenir un restau pour la journée, faire la chef, j'en ai rêvé et mes précédentes expériences m'ont confortée dans cette idée. Mais là, à court d'énergie, j'avoue, je me projetais avec une impatience non dissimulée à ce soir, bien emmitouflée dans ma couette.

Finalement, une fois sur place, l'énergie est revenue. Le poulet à faire cuire, le saumon à faire mariner, les tables à dresser, le pain à couper... Tel un automate, j'ai accompli les premières tâches avant de me réveiller vraiment.

Il valait mieux. Parmi mes premiers clients se cachait le pire cauchemar de tout commerçant. Le râleur.

Le jamais content. Le gars qui rit quand il se pince.

Le chieur, oui, on peut résumer ainsi.

A sa mine, j'ai vu d'emblée que ça n'allait pas être facile, facile. Il était accompagné de sa trentenaire de fille et de son petit-fils (enfin, j'ai imaginé qu'il en était ainsi). Quand j'ai annoncé qu'il faudrait patienter pour le menu enfant, because il fallait faire cuire des pâtes, il n'a même pas cherché à masquer son soupir.

Pfffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff.

Oui, moi aussi, pffffffffffffffffffffffffffffffffffffff, d'abord. Monsieur, si tu avais eu ma semaine, tu savourerais juste le bonheur d'être assis en terrasse à te faire servir.

Mais le monsieur doit être un nanti, un nanti pressé, donc. Ensuite, sa fille s'en est un peu mêlée, elle voulait plus de vinaigrette. Pas de souci. Lui a haussé les sourcils. J'adore. Les pâtes mettaient des plombes à cuire, le gamin était une tête à claques, je rêvais plus encore de ma couette.

J'étais dans mes petits souliers, il a dû le sentir. J'étais une proie facile.

Au final, c'est vrai, ils ont mangé leur plat avant le gosse, parce que visiblement, monsieur jamais content avait piscine et que sa salade, il la voulait là maintenant. Il était pressé, oui, mais bon, quand même, il voulait prendre un café. Je le lui apporte.

Il revient avec. "Euh, c'est quoi ce café? Vous ne savez pas le faire?"

Hummmmm, j'adore. C'est pas moi qui le fais, je me contente d'appuyer sur une touche et la machine à café s'occupe du reste.

Pas de souci, monsieur, je vous en refais un autre. Il revient: "non mais, c'est pareil, hein, pff, c'est imbuvable! C'est pas possible, faut changer la dosette à chaque fois, hein!"

Là, je suis à deux doigts de lui coller le café sur sa face, pour vérifier qu'il sait faire autre chose qu'ouvrir la bouche pour râler (car hurler n'est pas râler, évidemment), mais comme je suis la sagesse incarnée, je reste courtoise, lui explique la panne de la machine à café et la solution provisoire que le restau a trouvée.

"Ah bah!" reprend-il. "Décidément, c'est pas la journée!"

"Comment ça, monsieur?"

"Mais enfin, rien n'a été!" (dit-il après avoir fini son assiette, quand même)

"Qu'est-ce qui vous fait dire ça, monsieur?"

"Franchement, entre les pâtes en retard, le café, l'attente, et puis j'ai pas l'impression d'avoir mangé correctement."

Alors là, je lui demande de laisser une seconde chance à l'établissement, je prends la responsabilité des couacs, tout ça, vas-y que je continue à tendre le bâton... Quand il me dit, sans hésiter:

"Ah mais non, j'suis déjà venu ici, c'est toujours comme ça!"

Euh, monsieur, pourquoi tu reviens, alors? Je me suis retenue, mais quelque part, ça m'a rassurée. C'était juste un con. Point.

L'ex, qui avait eu l'idée de venir déjeuner en même temps (!) a assisté à la scène et n'a pas dit autre chose. Sauf que, d'après lui, je n'aurais pas dû m'excuser au départ. Il a raison. A vouloir être arrangeante, je me suis pris les pieds dans le plat.

Comme dirait la boss, cette rencontre avec jamais-content a malheureusement marqué ma journée, par ailleurs très agréable. Bah, les sourires et l'air réjoui des autres ont compensé cette mauvaise humeur, mais cet épisode m'a confortée dans l'idée que les commerçants n'ont pas d'autres choix que d'avoir les nerfs solides, pour relativiser très vite ces passages et prendre ça d'où ça vient.

Cela dit, maintenant que j'ai testé le chieur, j'ai l'impression d'avoir étoffé ma panoplie. Un jour, qui sait, peut-être deviendrai imperméable à la connerie.

J'ai encore pas mal d'étapes à franchir mais enfin, rien qu'aujourd'hui, j'ai au moins gagné dix points.

3 commentaires:

  1. Seulement 10 ? Je crois qu'il y a un bonus pour ce genre de clients. Bonne nuit et bon courage pour demain, la Mouette.
    Bises.
    l'oiseau

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  2. Le Piaf m'a devancée, moi aussi je t'alloue plus de points, car pour ma part, je l'aurais assommé à coups de serviette de table !!
    Tu viens de gagner tes galons.

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