mercredi 22 septembre 2010

Le bruit des abeilles

"S'il vous plaît, je peux avoir un verre? Je sais bien que ce n'est pas commencé mais bon, vous comprenez..."

Eh bien non, je ne comprends pas. Ce soir, cent cinquante personnes étaient conviées à visiter un très beau musée manceau, attenant au restaurant de la boss. A l'issue de cette balade au coeur de l'archéologie sarthoise, entre autres, un buffet était servi.

A l'issue, j'ai dit.

Sauf que les gens, la visite, ils s'en cognaient. Ce qu'ils attendaient, c'était le "pot de l'amitié." Sans chercher à faire semblant, ils se sont donc installés un peu partout, mais surtout le plus près possible des deux buffets dressés. Assises sur les fauteuils en cuir, des femmes plutôt chic ont crié dans ma direction. Elles voulaient que je leur confirme la provenance des vins...

... En piaffant d'impatience devant ce spectacle alléchant: un verre, du grignotage, le tout à l'oeil, il n'en faut pas plus pour laisser des gens, a priori civilisés (bien propres sur eux, vous voyez bien le genre), exprimer leur plus vile nature. Et dès le signal de départ, inutile de vous préciser la ruée vers les tables.

Des abeilles sur une ruche.

Avec mes comparses, on s'est regardé, un peu sciées d'un tel manque de tenue. Et on s'est demandé s'il y avait eu une quelconque privation alimentaire chez ces personnes pour qu'elles se jettent à ce point sur les verrines et autres mini-tartines et brochettes offertes.

Touchés du syndrome du pique-assiette, les costardés et les fardées n'ont pas lésiné sur le lever de coude. Forcément, tout ça, ça donne soif. Et vas-y que je goûte le blanc, le rouge, ah attendez je vais reprendre du blanc, ah mais mettez m'en plus!", Ou bien : "Elles sont bonnes vos rillettes, mais y'a d'autre chose à bouffer, là?"

Je ne suis pas sûre d'avoir bien entendu.

"Et puis dites, vos assiettes, derrière vous, donnez-les nous, on a faim, nous!

Ah ah ah, quelle rigolade. On ne doit pas avoir le même humour.

Au moment où je me suis retournée, j'ai surpris une dame, à l'allure très respectable, en train de chaparder des brochettes sur un plateau mis en réserve. Je l'ai remise gentiment à sa place, avant de revenir à mes voraces qui réclamaient à corps et à cris des victuailles.

Une hallucination. J'ai eu l'impression d'être en pleine hallucination. Ils ont mis à sac tout le vin blanc. J'ai filé vite fait remplir les carafes et lorsque je suis revenue avec une seule bouteille - même pas remplie en plus - victime d'une panne provisoire des stocks, j'ai provoqué une réaction immédiate : ces dames étaient déçues. "T'as vu", a dit l'une d'entre elles à sa copine, "elle ramène que ça. "

Le "que ça" m'a néanmoins permis de parer au plus urgent. Soudain, une dizaine de mains s'est levée en même temps, les convives me présentant leur verre comme si leur vie en dépendait, sans aucune dignité. Sincèrement, j'ai eu honte pour eux, imaginant le sermon que j'infligerais à Loulou s'il avait le malheur de se comporter ainsi, une fois dans sa vie.

Non, non, nous ne sommes pas Shiva, nous ne pouvons pas servir dix assoiffés en même temps. Peu importe, ils ont continué à tendre leur verre en gardant leur main ouverte, prêts à réceptionner ce nectar qu'ils semblaient apprécier au plus haut point - à défaut de le déguster - pendant que nous les servions, tout en continuant à discuter, sans même jeter un regard dans notre direction.

J'ai eu envie de leur dire qu'on n'était pas chez mémé, ici, mais eux, ils n'éprouvaient aucune gêne, ils n'ont même pas cherché à réprimer le "oooooh" de déception lorsque la carafe s'est vidée une nouvelle fois. Avec ma collègue, on s'est retenu de rire, échangeant nos impressions, accroupies sous la table. Des fous, voilà.

Nous n'avions qu'une seule solution: attendre que le vin se tarisse. Plus de vin, plus d'intérêt, ils ont donc vidé les lieux et nous avons eu une pensée pour les pauvres serveurs qui allaient devoir s'occuper d'eux au restaurant, plus bas dans la rue, ensuite.

Et vous savez le plus drôle de l'histoire? Ces mal élevés étaient des CPE. Oui, oui, le E de "Éducation". Des conseillers chargés de l'éducation, disais-je, de nos têtes blondes.

Si, si.

Ça fait froid dans le dos.

4 commentaires:

  1. Des CPE ? Ca n'empêche pas, quand c'est gratuit, de se précipiter comme la petite vérole sur le bas clergé. La nature humaine n'en finit pas de nous étonner. Console-toi en te disant que tu as travaillé, que ça va te permettre de nourrir ton Loulou et que ça t'a permis aussi d'écrire un de tes savoureux billets que nous aimons tant.

    Bises, la Mouette.
    Thierry

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  2. Qui a dit que les PG étaient des êtres d'une essence supérieure?
    A en voir certains, l'impression dominante est plutôt celle d'éternels gamins, condamnés à ne jamais se comporter en adultes et à rester à l'école, faute de pouvoir occuper une place plus "responsable" dans la société.

    En tous cas, tu exerces un métier admirable dans ce contexte d'accueil, ou effectivement les mal- ou pas- élevés tendent à faire un petit peu tache...

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  3. Pétée de rire ; attends, faut que je passe le lien vers ce billet à quelques enseignants de ma connaissance, hin hin hin........

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  4. Je t'en prie. J'attends leurs réactions avec impatience!

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