samedi 9 avril 2011

La transparence aiguë d'une existence

Je n'en menais pas large, hier après-midi, de la voir essoufflée, angoissée, voire terrorisée. Ses yeux bleus scrutaient tous les pans de mur, l'air affolé, revenaient deux secondes puis repartaient vers le bas du bureau, un tiroir encore ignoré, le dessous de la table... J'ai fini par intervenir lorsqu'elle a voulu se baisser pour remettre un album-photo, vide, à son grand regret, sur le sol, ce qui ressemblait fort à une torture physique pour son pauvre dos tout courbé.

Elle a fini par se relever. Je lui ai dit que, peut-être, que dis-je, sans doute, l'objet de sa recherche était dans son cabanon. Que nous l'avions regardé ensemble, cet hiver, et qu'il avait forcément dû rester sur une étagère.

Pauvre Poney.

Je lui avais demandé de faire un tri dans ses photos, dans le cadre d'un projet un peu plus abouti que prévu, dont j'espère vous reparler très vite. Elle s'est empressée de sortir les clichés noircis et de toute taille, se replongeant immédiatement dans ce passé si fou qui est le sien, d'emblée perdue dans ses relents d'existence. Elle a commencé à chercher l'un des documents-clé, son book, qui restait introuvable. Je l'ai vue passer par toutes les couleurs. Elle était complètement désarçonnée.

Hier après-midi, nous nous sommes donc retrouvées pour les dernières corrections du manuscrit. Sorte de point final avant le verdict d'une éventuelle édition, qui sait. Il manquait un détail, et elle tenait à le rajouter, une sorte de bref prologue explicatif, mais qui ne prendrait plus que quelques lignes, parce que le reste était parti s'immiscer dans le texte.

Elle m'explique, je lis son premier jet, je la regarde, je regarde mon écran, j'exécute, finalement, son désir. Et là, je lui lis ce que je viens d'écrire.

Et là, je sens un drôle de truc qui se passe.

Je suis en train de lire ces mots comme s'ils venaient de moi, je les lui raconte alors qu'elle en est l'auteur.

Et là, elle m'écoute, comme une simple témoin.

Et là, elle se rapproprie les lignes.

Elle ferme les yeux une seconde, comme un signe d'approbation. Elle est contente. Ça lui plaît, comme le manuscrit semble lui plaire, surtout la fin, "parce que c'est joli", dit-elle (en même temps, c'eût été plus judicieux de ma part d'attaquer plein pot dès le début, avant qu'un éventuel éditeur décroche après trois pages et ne sache jamais que, "c'était joli, la fin").

Et là, je me dis que c'est étrange, finalement, tout ça. Elle a lu comme un récit sa propre vie et ça lui plaît. Qu'est-ce qui lui plaît? La simple retranscription ou la richesse de sa vie, finalement? J'avoue, je n'en sais rien et après tout, peu importe, l'essentiel est qu'elle soit contente du résultat, que cela reflète son désir.

Mais tout de même, quel drôle d'exercice, pour elle surtout! Contempler sa propre vie, avant de la livrer aux autres. Accepter de se donner corps et âme, finalement, lâcher les secrets, lâcher les apparences. Aimer ses propres souvenirs ou les détester, mais les accepter. Jouer la transparence aiguë d'une existence.

Et pourtant, dans cet exercice sans fards, Poney reste coquette. Décide de supprimer deux ou trois petites précisions, qui ternissent un peu son image, qu'elle avait accepté de me confier, avant de se raviser. Je crois que ça la rendait plus humaine, mais elle a besoin de contrôler jusqu'au bout ces on-dit qui lui ont fait tant de mal dans sa jeunesse, parce qu'elle n'était pas tout à fait une enfant comme les autres, parce qu'elle n'était pas une adulte comme les autres et parce qu'elle n'est pas, aujourd'hui, une vieille dame comme les autres.

Chercher à se singulariser pour tenter ensuite de se fondre dans le moule? Je pense qu'on aspire tous plus ou moins à ça, finalement, mais de façon très furtive pour certains. Poney est un personnage hors-normes, je le maintiens, mais son ego la retient de lâcher ces confidences en plus qui pourraient faire quelques petites bosses dans le personnage. En oubliant, sans doute, que l'idéalisation n'est pas forcément la meilleure conseillère, que nul n'est parfait et qu'on peut rester un être d'exception avec ses failles.

Et je crois même qu'on peut justement devenir un être d'exception par ces failles.

4 commentaires:

  1. Très beau billet, la Mouette!

    Je plussoie à ta conclusion, C'EST par ces failles, comme tu l'écris, que l'on peut devenir quelqu'un d'exceptionnel.
    C'est par elles que l'on grandit et que l'on se différencie, pour peu que, toutefois, elles ne nous détruisent pas avant.

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  2. Je suis émue, à lire ce billet-là.
    Et je suis assez d'accord. Avec ce qui est dit, et avec le commentaire de François.

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  3. Je ne sais plus qui disait que ce qui permet de deviner la lumière à l'intérieur des autre, ce sont leurs failles, justement. J'ai hâte de lire cet ouvrage, j'espère qu'il sera publié rapidement et que tu lui feras une publicité éhontée.
    Très beau billet, la Mouette.
    Bises.
    Thierry

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  4. Belle émotion car comme dit Poney : "parce que c'est joli"

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