mercredi 15 septembre 2010

Les pieds dans le plat

Quand j'étais petite, ma grand-mère ne me portait pas spécialement dans son coeur. Il paraît que je lui disais ses quatre vérités, et que cela ne lui plaisait guère. Ma soeur (salut, Isa!), plus gentille, plus serviable, avait davantage ses faveurs. Sans doute aurais-je dû mimer ses gestes attentionnés mais, rien à faire, je ne pouvais pas. C'était au-dessus de mes forces.

Je ne pouvais pas faire mine.

A cause de cela, mon père, ayant pris ma défense, est resté longtemps fâché avec sa propre mère, avant qu'un deuil frappe la famille, réveillant notre conscience. A quoi bon se ronger les sangs et se brouiller, la vie n'est-elle pas suffisamment courte? La rencontre inopinée avec cette même grand-mère dans les rues de Nantes et son regard baissé à notre passage nous avaient mis une claque, à ma soeur et moi. Mon père a fini par passer l'éponge et a reparlé à ma grand-mère (et je la vois désormais sans rancune mais avec tendresse, comme quoi...)

Les années ont passé et je constatais toujours ce phénomène: je me donnais sans retenue, dans les amitiés enfantines puis adolescentes. Et lorsque j'étais déçue, j'en faisais part aux copines concernées. Ça passait ou ça cassait, mais une fois encore, je ne faisais pas mine. Incapable, tout bonnement. Puisque je les aimais comme elles étaient, elles devaient également m'aimer, sans chercher à me transformer ou me rabaisser. La question de la confiance en soi s'avère au coeur du problème, évidemment, mais je n'avais besoin de personne pour me tendre le bâton. Je m'en chargeais très bien moi-même.

Puis sont venues les premières amours. Avec des histoires toujours compliquées, toujours lointaines, impossibles souvent, mais sans doute ne pouvais-je faire autrement. J'avais besoin de vibrer, de vivre l'histoire à fond, quitte à m'abîmer. Quelques cagades plus tard, j'ai bien compris le discours de la mère Phèdre sur les dégâts collatéraux de la passion mais enfin, que voulez-vous, quand c'est tiède, bah bof, tout simplement.

Je ne peux toujours pas faire mine.

Il m'est arrivé de me mettre toute une tablée à dos, n'ayant pas supporté les votes fascistes de certains convives, au lendemain du premier tour présidentiel en 2002. Je ne pouvais pas me taire et il me semblait tout simplement inconcevable de faire comme si, de continuer à manger du poulet tranquillement, alors qu'autour de moi, les gens, que je respectais et considérais comme des bons copains, avaient fait un choix qui me semblait totalement absurde. Chacun est libre de ses opinions, on ne parle pas de politique entre amis... Oui, je sais. Mais parfois, mettre les pieds dans le plat, ça a le mérite de faire surgir la vérité. Ou plutôt la réalité, tant la vérité est subjective.

Et la réalité, à cet instant, c'est que je ne pouvais concevoir de partager un dimanche avec des gens aux valeurs si différentes des miennes. La diversité est une richesse? Évidemment. j'aime rencontrer des personnes au profil varié et hétéroclite. Mais le respect de l'être humain prédomine, pour moi. Quand ce dernier est bafoué, je suis capable d'exploser, de sortir de mes gonds, quitte à laisser des traces.

Oh, je vous vois un rien effarés par ce que vous lisez. Quoi? La mouette a un foutu caractère, elle est cash, ouh la la, vade retro satanas! Paradoxalement, je serais plutôt du genre "trop bonne, trop conne." Toujours prête à m'effacer, jamais capable de dire non, comme si je n'avais pas le droit de penser juste à ma petite personne.

Enfin, ça, c'était avant. J'ai pris nombre de décisions ces dernières années qui ont bouleversé le cours de mon existence. Au confort de la vie de couple, j'ai privilégié la formule mono parentale (pas pu faire mine, vous connaissez le refrain). Aux concessions permanentes, j'ai choisi de quitter mon job (idem). J'ai eu à chaque fois l'impression de gagner ma liberté et, simultanément, de me tirer une balle dans le pied.

Car ensuite, il faut assumer. Tu joues, tu gagnes ou tu perds, peu importe, les jeux sont faits et tu ne peux plus reculer. Parfois, j'ai pensé aux subterfuges qu'emploient certains pour faire semblant de s'épanouir (dans un job, dans un couple, que sais-je) et je me demande si ce ne sont pas eux qui ont raison. Ils ménagent la chèvre et le chou et au final, ne se voient pas suspendus à un fil.

Le temps a passé depuis mon départ de ce travail - qui m'a tant fait vibrer, quinze années durant -depuis ma création d'entreprise avortée, depuis l'enfouissement de mes rêves. Je réalise que j'y ai laissé pas mal de plumes. Je suis aujourd'hui plus dure, avec moi-même mais aussi avec les autres, plus révoltée, plus à vif, comme si je m'étais réveillée après quinze ans dans une bulle. J'ai enfin compris ce qu'était la vie de la France d'en bas, quand on se demande de quoi demain sera fait, si on pourra continuer d'aller faire son marché et acheter un joli cadeau d'anniversaire à son loulou sans avoir à manger des pâtes pendant un mois. Une expérience enrichissante, au fond. Sauf que ma candeur en a pris un coup.

Je me suis abîmée. J'ai changé.

Il paraît que je suis "en guerre contre tout le monde." Que je suis "dure" avec les autres, que mes portraits sont parfois au vitriol. Malheureusement, je ne peux pas faire autrement. Mon regard sur la société a changé, il est plus acerbe et cruel parce que la vie l'est et que, une fois encore, je ne peux pas travestir mes propos. Je peux avaler des couleuvres dans la vraie vie, mais ce blog est clairement un exutoire, une façon de coucher ces pensées qui me traversent, parfois, lorsque j'observe comment le monde tourne à l'envers.

Comment changer les choses? Je n'ai pas la solution, évidemment. J'ai beau être souvent utopiste, je suis consciente de mon impuissance, à mon faible niveau. Dois-je pour autant taire mes sentiments? Dois-je garder pour moi ce que m'inspire le monde (Stephan Eicher, sors de ce corps)?

Ce blog est un espace insignifiant à l'échelle du web mais il est devenu important pour moi, car il me permet d'être vraie, tout simplement. Envolée la Stéphanie peu sûre d'elle dans la vie, la mouette prend le relais ici et, dans un élan de schizophrénie et de dérision extrême, exprime les joies et galères vécues, en toute franchise, sans forcément chercher l'auto-protection. Sans chercher, non plus, à épargner mes interlocuteurs, je le concède volontiers (ah bah si, finalement, je suis capable de concessions ;)). J'y pense, parfois, en décrivant certaines scènes. "Mais que penseraient ces gens s'ils savaient que j'écris sur eux?" Pour autant, je ne cite personne et n'ai pas l'impression de trahir qui que ce soit. Peut-être parce que j'assume mes propos, tout bêtement.

Pourtant, parfois, le blog a des incidences sur la vraie vie. Quelqu'un vous reproche des propos tenus ici, s'estimant (à tort, pour le coup) visé. On a beau alors tenter d'atténuer le malentendu, de remettre les choses à plat, les mots sont là et leur interprétation subjective peut faire mal, très mal. Et c'est ainsi qu'une personne -que vous aviez quand même inscrite dans les personnes à joindre en cas d'urgence, à l'école de Loulou - décide de vous rayer de sa vie, après un petit règlement de comptes pas piqué des vers.

Ça fait mal. C'est injuste. Et pourtant, si je devais réécrire le post (celui-ci) qui a mis le feu aux poudres, je ne toucherais pas à un mot, tant il reflète le fond de ma pensée. Une fois encore, je ne peux pas faire mine. Je suis entière, oui, bel et bien. Avec tous les bémols que cela suppose.

Et vous savez quoi? Je crois qu'avec l'âge, ça ne va pas s'arranger.

5 commentaires:

  1. Que dire, ma foi ? qu'il est bon parfois d'apprendre à mettre de l'eau dans son vin ? Tout le monde le sait, tout le monde ne le peux pas - et tout le monde, du reste, n'en n'a pas envie. Personnellement aussi, il y a des choses que je n'envoie pas dire, même si j'essaie souvent d'y mettre les formes, parce que justement, l'autre en face est un être humain, et que tout le monde n'est pas prêt à entendre son paquet, en vrac et brut de décoffrage : des fois, ça fait mal jusqu'à la blessure grave. Mais des fois aussi, c'est vrai qu'on y va franco parce que ça soulage et qu'on a ses nerfs. M'arrive de ml'engueuler serré avec des gens. Les vrais amis restent...
    En guerre contre tout le monde, je ne pense pas que tu le sois vraiment. Moins indulgente avec l'absurde et la connerie, ça, c'est certain : et mordre est la seule chose qui nous épargne la corde au cou, parfois, expérience que je ne te souhaite pas, en compagnie de quelques autres. Tant que tu luttes, tu vis. Gardes ta gniaque, c'est elle qui te tiens debout. Et ne change pas trop. Méchante ? ma foi, qui nel'est jamais ? qui ne l'est pas parfois ? Nous avons tous nos moments dégueulasses, injustes, vachards. Tes posts, ils sont parfois acerbes, mais je ne les sens jamais vraiment méchants....encore qu'il m'arrive parfois de me demander ce que tu pourrais écrire de moi, si tu me connaissais "en vrai".....(sourire) ; en même temps, devant chaque situation "où ça coince", tourner ça dans l'humour, même parfois un peu grinçant, permet de désamorcer l'angoisse et de démythifier bien des choses, des gens, des lieux.....
    Que te dire, Saint-Jean-Bouche-d'Or ? gardes là, ta franchise, reste toi-même le plus possible ! mais rien n'empêche d'apprendre à la servir sur du velours, plutôt que du verre pilé....Parce que nos mots ont un pouvoir, et que " l'autre", entendra toujours mieux quelque chose de vrai, mais qui ne le hérisse pas dans une attitude de défense et de déni parce que servi tel que ! Dire, oui. Dire juste, ça s'apprend.

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  2. Purin, y a des jours où Blogger me pompe ! ce crétin de site m'a refusé 4 fois mon com, je retapais donc gentiment le mot-témoin de validation, bêtement, pour m'apercevoir au bout du compte que si, il me l'avait pris, 4 fois ! vile saloperie ! j'ai donc viré les 3 surnuméraires, grrrrrr !

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  3. il y a toujours un décalage entre ce que tu peux écrire sur une feuille blanche et ce que tu peux dire à quelqu'un , en face de toi ; c'est normal , tu sais que la feuille ne cille pas , n'exprime rien , donc tu peux rester entière ; mais tu tiens compte de la personne à qui tu parles et ,en être respectueux ,tu ne craches pas tes propos , tu les tempères ,ne sachant pas comment les dires les plus doux seront ressentis ...mais un ami véritable tentera toujours de comprendre ,de restaurer la communication de recoller les morceaux , de colmater les fissures ; les autres en profiteront pour partir ...toutes ces difficultés engendrent de la souffrance mais il faut se rendre à l'évidence ...on se fabrique parfois des erreurs ...les erreurs de la vie !
    allez Steph nous faisons tous des erreurs et la vie n'est pas finie ... nous en ferons encore
    un ami t'aime comme tu es ! nous avançons grâce aux autres , chacun son chemin , chacun est différent , c'est le sel de l'amitié
    plein de bisous de ton amie Jol

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  4. Séance d'autocritique, la Mouette ? Tu es comme tu es, ce n'est pas à moi de te dire ce qu'il faut faire, te conseiller de mettre de l'eau dans ton vin ou pas. Tu es comme tu es et personne n'a à te le reprocher. Quant à avoir laissé des plumes dans ton aventures, financièrement sans doute mais avec tout ce que tu as appris, tu as aussi pris du poids, de l'étoffe. Et c'est important.

    Bises.
    Thierry

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  5. @ Anne: Bien dit! Velouter mes propos, voilà un programme alléchant ;) Et d'accord avec l'idée que les vrais amis restent.

    @ Jol: Tu es la sagesse incarnée... et je suis fière d'être ton amie. Tu n'hésites pas, parfois, à exprimer le fond de ta pensée, et c'est cette droiture que j'apprécie particulièrement chez toi (en plus de tout le reste, évidemment!)

    @ Thierry : Pas vraiment une séance d'auto-critique, sincèrement, je voulais juste tenter de clarifier ce qui me pesait ces derniers jours, ce décalage entre la vraie vie et le blog où les traits sont grossis car, après tout, la vie est courte et si on ne peut plus s'amuser et rire de soi, à quoi bon?

    Oui, j'ai laissé des plumes, mais je ne parlais pas spécialement de l'aspect financier. Quand je parle de "m'abîmer", c'est vraiment ce que j'ai ressenti, je suis beaucoup moins insouciante et joyeuse qu'auparavant. Après, je continue d'aimer l'échange, les plaisirs simples et quotidiens d'une vie que j'assume. Mais j'ai pris un coup sur la tête, et un coup de vieux. Cela dit, n'est-ce pas dans l'ordre des choses ?;)

    Bizz à tous et merci pour vos commentaires, c'est très précieux.

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