Mardi. Début du feu d'artifice. Le RDV est prévu pour 12h40. Dans le taxi qui m'amène jusqu'au centre, je fais la maligne et parle politique avec le chauffeur, mais en vrai, je la sens bien, la tension. Un cacheton? Un cacheton. Je vais finir ma radiothérapie complètement shootée. Avec une Abricotine nécrosée, oui (l'espoir fait vivre), mais accro aux relaxants.
Ca craint.
12h30. J'attends dans la salle dédiée, relisant vainement le chapitre que je viens de finir. La caboche n'imprime pas. Mes jambes flanchent. Je suis assise, d'accord et, au pire, en cas de malaise, je suis entourée de blouses blanches. Mais j'aime bien dramatiser.
12h32. On m'invite à rentrer. D'abord dans le sas pour ôter manteau et sac à main. Puis dans la salle de soins. Ouh, ce n'était pas une vue de l'esprit, l'endroit s'apparente vraiment à un bunker, avec un sigle rappelant le petit caractère nucléaire de la chose, un long couloir sombre et la pièce, immense au milieu de laquelle trône un drôle d'appareil. La machine est impressionnante.
12h33. Je me demande si je n'aurais pas dû avaler toute la boîte, au lieu de me contenter d'un misérable cacheton.
12h34. Si on me faisait un lavage d'estomac, peut-être pourrais-je esquiver les séances?
12h35. Abricotine se marre. Elle se dit qu'à ce rythme, elle va pouvoir s'étaler un peu plus dans mon crâne, la coquine, prendre ses aises et appuyer bien peinard sur mon nerf optique, pendant que je fais une petite crise d'angoisse et que je fuis le problème.
12h36. Hey, Abricotine, tu les sens, les rayons? T'inquiète, ils arrivent. Marre de voir double et d'être dans le brouillard, moi.
12h37. La manip sent mon angoisse et me propose de passer un son de méditation durant la séance.
12h38. J'ai envie de l'embrasser. Je peux pas, on a toutes les deux le masque, ça pue le covid à plein nez dehors et je la connais à peine.
12h39. Elle m'explique aussi que je vais rester seule dans la pièce mais que l'équipe est juste derrière la vitre, si besoin.
12h40. J'ai les yeux d'un cocker à qui on aurait donné un os.
12h41. Prise de conscience. Autant de précautions pour soigner un truc "bénin"... On m'aurait menti?
12h42. Je suis allongée sur la table, deux personnes, une de chaque côté, placent le masque le plus délicatement possible. Concrètement, le dessus du masque en résine est posé sur votre visage, on clipse sur les côtés, avec un petit claquement bien désagréable et une sensation d'enfermement immédiate. Vous êtes attaché à la dite-table, et hop, vous ne pouvez plus bouger.
Je répète : vous ne pouvez plus bouger.
Au secours.
12h43. La manip monte le son de l'ordinateur, branché sur la chaîne Youtube de Cédric Michel, "Bulles de sérénité".
12h44. "Namaste", me dit mon sauveur. De sa voix douce et relaxante, il m'invite au voyage.
12h45. Je respire du mieux possible, je relâche le ventre, je me laisse emporter par la vague de bien-être.
12h46. Pff, c'était rien du tout, en fait, ces séances. Cette manie que j'ai de tout exagérer.
12h47. C'est horrible, arrêtez tout.
12h48. Je fais le petit chien. Enfin, j'essaie, avec le masque qui me comprime la bouche.
12h49. Allez, de toute façon, ai-je le choix?
12h50. Je suis ailleurs, clairement. Je bénis les cachetons.
12h58. "Voilà, c'est fini", chante la manip en me délivrant. Cette sensation de soulagement est juste inouïe.
Je repars de là un peu sonnée, mais sur le moment, je me dis que franchement, ça va. J'ai les marques du masque sur le front, comme si j'avais pris un méga coup de soleil ou un coup de pelle, mais elles s'estompent. Mon coeur continue de battre la chamade, un peu, mais l'effet se dissipe peu à peu.
Juste un mal nécessaire, rien de méchant.
Et comme je n'ai pas envie de me shooter, je décide dès le lendemain d'y aller sans filet. Ou presque. Je ne prendrai plus de cacheton. La méditation va clairement m'aider le mercredi, le jeudi... Arrive le vendredi. J'entends de nouveau Cédric Michel et pourtant, sa voix calme des premiers jours me semble totalement incongrue aujourd'hui. Je me sens fatiguée et le mental reprend ses droits, le bâtard. Il me rend cynique. Pour vous situer, ça fait un peu ça.
"Namaste. Nous allons méditer pour lâcher prise. Installez-vous confortablement, dans une position allongée. Vos paupières sont fermées... "
Jusque là, on est ok, Michel. En même temps, j'ai un masque sur la tronche qui me comprime tout, hein.
Petite musique, il reprend:
"Maintenant, je vous suggère de respirer par le nez..." C'te blague. Je peux pas, Michel.
J'étouffe.
Il s'en fout, le mec. Il reste zen, il me demande de méditer en pleine conscience, de ne pas intellectualiser, de visualiser un champ et de l'aborder avec la même curiosité que celle d'un enfant.
Euh, si je lui dis que j'ai envie de me faire pipi dessus, on peut faire le lien avec le comportement infantile?
"Curiosité et joie de découvrir quelque chose de nouveau, un état nouveau..." Tu parles de mon hystérie intérieure, c'est ça? "Je vous propose de sentir l'herbe sous vos pieds..." Je ne sens que le masque, auquel j'ai l'impression de me cogner, comme s'il me serrait chaque minute davantage...
"... Et la chaleur du soleil sur le visage..." Les rayons, peut-être? Quel humour, ce Michel. "C'est doux et agréable", persiste-t-il.
Michel m'invite à écouter les oiseaux. Je n'entends que le son strident de la machine. Mais pourquoi n'ai-je pas pris de cacheton, hein? Je VEUX de la weed, là, un space cake, des champignons hallucinogènes. Un rail, un shoot, je m'en fous de devenir junkie, je veux juste planer!
"Reconnaissez et acceptez simplement votre anxiété... " poursuit Michel, qui se fout clairement de ma pomme. Sauveur de mes deux, ouais.
J'ai l'impression d'être passée dans un espace-temps chelou. La séance, censée durer une quinzaine de minutes, s'avère plus longue qu'une journée sans chocolat.
J'oscille en permanence entre micro-moments de relâchement et sensation obsédante d'enfermement. Pourtant, quand la manip me libère en me demandant si tout va bien, je lui assène un grand sourire en lui exprimant toute ma gratitude de me laisser ainsi méditer.
Genre, merci pour la chance de vivre ces moments précieux. Sans vous, jamais je n'aurais eu la joie de découvrir mon petit Michel, à la voix suave et rassurante.
Mais où ai-je appris à être si hypocrite, moi?
Bref, vous l'aurez compris, ces séances de radiothérapie, c'est pas l'expérience la plus géniale que j'ai vécue, et l'arrivée du week-end m'a soulagée - c'est relâche, youpi.
Mais en vrai, il y a toujours pire.
La guerre en Ukraine ou la chanson de Mariah Carey en boucle sur Instagram, par exemple.
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