dimanche 25 septembre 2022

Le vertige d'un voile qui se pose

 Le ciel est bas, gris. Quelques jours plus tôt, sur une plage bretonne, je savourais encore les derniers rayons du soleil sur ma peau tiède. Une parenthèse dans cette rentrée un peu folle, le jour, aussi, où j'ai senti que ça flanchait.

J'attends. Je cherche l'éclaircie. J'espère vite sortir, je me sens comme un lion en cage, je ne cesse de répéter que ma place n'est pas ici, même si la petite voix là-haut me le suggère sans cesse depuis quelques jours. Je ne suis pas ici par hasard.

Pourquoi il fait si moche, aujourd'hui? C'était tellement lumineux, il y a peu, sur cette même plage. La réverbération du soleil sur l'eau m'avait même aveuglée, jusqu'à ce que je vois double.

Ce dimanche, je nageais un peu au large dans l'eau fraîche du Golfe. J'ai frotté mes yeux une fois, deux fois, dix fois. J'ai respiré un coup, J'ai mis la tête sous l'eau, comme si ça allait tout effacer, comme si j'allais retrouver aussitôt une vision claire.

C'est long, vraiment. J'entends le bruit des chariots, les pas parfois un peu lourds et surtout las des brancardiers, les bribes de conversation des aides-soignantes. Je ferme les yeux, je repense à ce sentiment contradictoire de bien-être ce dimanche soir, les pieds dans le sable à déguster des huîtres, et d'inquiétude, parce que j'ai eu beau frotter les yeux et respirer, la vue est restée trouble et double.

La porte s'ouvre. Des blouses blanches. Il y a le professeur, je distingue tout de suite son espièglerie et son expérience. Il a de grosses lunettes noires et le regard assuré. Je vois aussi l'interne, jeune femme déterminée et studieuse, qui m'a déjà longuement consultée. Je reconnais l'externe, qui s'était excusée deux jours plus tôt, de se transformer en inspectrice, au vu de son interrogatoire poussé, qui me scrute avec un mélange de douceur et d'inquiétude. Je me tourne vers la gauche, j'ai l'impression de voir une douzaine d'externes supplémentaires - l'effet de ma vue double. Ils sont en fait six, je pense.

Ils se postent devant mon lit. Je plaisante sur le fait qu'ils arrivent en force, mais en vrai, je n'en mène pas large. Ca s'apparente à un cas d'école... Je dois expliquer, pour la millième fois, je pense, ce qui m'a amenée sur ce lit d'hôpital en service neurovasculaire. Une sorte de paralysie faciale quinze jours plus tôt, une vue qui se trouble, un voile qui se pose, soudainement, en pleine journée de travail. La sensation de tournis permanent, comme une gueule de bois qui n'en finirait pas. La vision double, sur cette plage, qui persiste et ne me quitte plus. Un premier passage aux urgences, un deuxième, un scanner passé, un samedi soir si froid, un nouveau passage aux urgences et l'arrivée dans ce service où, malheureusement, les patients mutiques ou invalides sont bien plus nombreux qu'un repas digne au CHU.

Le professeur me fixe, questionne l'interne, annonce presque triomphant: "oui, bah, c'est la 5 et la 6!". L'interne, acquiesce, le ponte a deviné sans même avoir vu l'IRM. Il se tourne vers moi et m'annonce: "vous avez un méningiome."

...

Devant mon regard ahuri, il précise: "ne vous inquiétez pas, c'est une tumeur bénigne située à l'extérieur du cerveau."

Tumeur... Cerveau... Comme lorsque je me frottais les yeux pour dissiper le malaise, je voudrais me pincer pour me réveiller. Le professeur le sent, il me saisit le bras doucement, me demande si ça va.

Impeccable.

...

"Oui, je balbutie, je crois que j'aurais espéré que ce soit juste du surmenage, du stress..."

"Vous savez, le stress génère tellement de maladies qu'on ne maîtrise pas! Au moins, ça, c'est carré, la médecine connaît et sait faire, on va vous soigner!'

Partagée une nouvelle fois entre un sentiment de soulagement et d'inquiétude, j'ai soufflé. J'ai regardé la fameuse tumeur sur les clichés, cette masse blanche qui a fait basculer mon quotidien depuis peu.

Je crois que j'ai haussé les épaules. C'est pas la première fois de ma vie où une bataille se présente. Ce truc dans ma tête, on va le dégommer.

Je n'avais pas besoin de cet épisode pour prendre conscience de l'importance de vivre le temps présent. Mais puisqu'il en est ainsi, eh bien, je vais vivre plus que jamais mes intuitions, inspirations et envies. Pour déchirer ce voile qui s'est posé et qui a mis en pause une vie parfois survoltée.

3 commentaires:

  1. Et oui, on en est tous là, on pédale comme une souris dans sa roue et un jour, sortie de route...
    Ouf ! La bête est bénigne, la médecine connaît et sait réparer... Le destin t'a pris par les épaules et secouée comme un barmaid le ferait avec son shaker...
    Alors oui, ça fait peur, on a des enfants et la vie devant nous.
    Bien sûr, on comprend le message : - " Maintenant ma cocotte, tu la joues cool, tu lèves le pied et tu profites de chaque moment de ta journée, de la vie ! ".
    Mais le plus important, est de s'y tenir, de ne pas retourner pédaler dans cette maudites roue !!!
    Courage, ça m'a fait plaisir de te lire !
    On t'embrasse !
    Sylvie et Olivier


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  2. Bonjour les Auvergnats :) ça me fait aussi plaisir de vous lire. Sincèrement, cette alerte n'est pas à proprement parler liée au stress. Cette tumeur s'explique probablement par la prise d'hormones via une pilule, Diane 35 pour ne pas la nommer, que j'ai prise quelques années... J'avais vraiment mis des choses en place pour souffler davantage et faire des pauses pour sortir de la roue. Enfin, le message reste identique et universel : carpe diem :)

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  3. Entre la roue et le train à toute vitesse duquel on voudrait bien descendre, les sensations sont un peu les mêmes...

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