dimanche 14 juin 2009

Une fille, des joueurs

Lors de cette quinzaine à New York, je devais faire un saut de puce à Philadelphie, antre des Sixers, trois jours durant. Les deux villes ne sont distantes que de 150 km, desservies par la ligne ferroviaire d'Amtrak, service national. On vous prévient toujours de la grandeur des choses, aux Etats-Unis, et ce n'est pas un mythe. Généralement, dans les petites villes, on pourrait construire une maison sur les places de parking. Pour le train, c'est pareil : on pourrait presque installer une famille sur un seul siège !

Cette volonté d'infini n'est pas juste une tendance mégalo de se distinguer du reste du monde. Tout le monde le sait, les obèses représentent au moins un quart de la population aux States et c'est pour leur confort (et éviter ainsi toute discrimination et le flot de procédures judiciaires qui va avec...) que la société s'est adaptée à la donne. En "normalisant" la maladie, ou du moins en nuançant les difficultés quotidiennes qu'elle engendre.

C'est également pour lisser les inégalités que les vestiaires sont ouverts à tous, aux Etats-Unis. Quand vous rentrez, un type crie "Woman in the locker-room!" Pour la discrétion, c'est mort.

Lorsque j'étais encore étudiante, j'avais réalisé mon mémoire sur "la place des femmes dans le journalisme sportif." Cela m'avait permis de rencontrer une bonne quinzaine de ces "spécimens" - que j'avais appelées, par provocation, des "dégénérées" - un rien esseulées dans des rédactions à dominante mâle. On pourrait les supposer, de l'extérieur, peuplées de gars hirsutes, une bière à la main et la part de pizza dans l'autre, à hurler contre le poste. Ou à taper dans le dos des footeux, en adoptant la même coupe "j'en ai marre de vivre", en ne parlant QUE du ballon rond.

En fait, ces fameux journalistes sportifs s'avèrent - en général - des personnes à peu près normales, intelligibles, qui se comportent comme des êtres sociables, y compris avec leurs (rares) collègues féminines. Je mets là à part le traditionnel apéro du lundi - lorsque je bossais dans le Nord - qui nous permettait de décompresser du bouclage hebdomadaire, où le gosier et les esprits s'échauffaient. Et l'exemple de deux ou trois misogynes finis dont les cas relèvent de la psychiatrie.

Vous l'aurez compris, il y a peu de femmes dans ce milieu. Et en réalisant ce mémoire, j'avais été interloquée par le cas d'une journaliste américaine, Lisa Olson, qui avait porté plainte pour harcèlement sexuel contre une équipe de foot US, les Patriots. Encore une hystérique, avais-je pensé.

Eh bien, un soir à Philadelphie, j'ai eu une vague idée du problème.

Ce soir-là, donc, j'ai pour mission d'interviewer - encore une séance "poulet ou pizza"- Shaquille O'Neal, 2,16m et plus de 140 kg. Le type de l'entrée m'a un peu surprise, certes, mais j'essaie de garder le cap, d'autant que juste devant moi, Shaq est assis sur le banc. Je me dirige vers lui. Arrivée à sa hauteur, il se lève et... fait glisser sa serviette au sol. Hum. Il est nu comme un ver mais c'est moi qui ai l'impression d'avoir fait un strip-tease. Je sens le rouge me monter aux joues, je lui demande si on peut discuter quelques minutes en s'asseyant. Il acquiesce, sans cacher son amusement. Et ses coéquipiers éclatent de rire.

Des années plus tard, j'ai vécu de nouveau ce grand moment de solitude, avec un joueur peu loquace, Shareef Abdur-Rahim, entouré de ses sbires. Usant de slang, ils n'ont pas cherché à masquer leur hilarité. J'ai tout juste saisi "skirt" dans leur grand délire. Oui, j'étais en jupe. Même pas courte, qui plus est. Au secours!

J'ai alors repensé à mon jugement à la va-vite à l'encontre de Lisa Olson. Et si elle n'avait pas provoqué ces réactions, finalement ? Et s'ils avaient simplement abusé d'elle, ne la considérant justement pas comme une journaliste, mais comme une femme?

C'est l'éternel débat autour des femmes dans ce milieu sportif. Tout le monde y est habitué, outre-Atlantique, et pourtant, votre arrivée continue d'être signalée. J'aurais aussi pu m'en dispenser, certes, mais ce moment, avant et après le match, s'avère précieux pour réaliser les interviewes, car les joueurs sont disponibles. Attention, c'est la NBA qui l'exige, s'il n'y avait qu'eux, ils se contenteraient de jouer à la PS ou de bâfrer les tonnes de junk-food à leur disposition...

Et puis, je dois l'avouer, le ballet dans les vestiaires m'a toujours bluffée : voir cette ronde de micros se tendre devant un joueur en serviette, se passant de la crème hydratante sur le corps tout en répondant à l'énième indispensable question "Alors, ce match?" "Quelle en a été la clé?" avant de se passer un coup de déo en expliquant pourquoi il aurait dû jouer davantage. Mon grand challenge, c'était d'éviter les caméras, qui foncent sans envisager qu'il puisse y avoir quelqu'un sur leur trajectoire jusqu'à LA star de l'équipe; mais aussi me frayer un chemin entre ces pros américains pour tenter d'obtenir une "quote" un peu décalée... J'aimais bien me poster là, en tant qu'observatrice, pour raconter ensuite l'ambiance, plus que les mots. Mais ma démarche n'avait rien à voir avec du voyeurisme. Je faisais mon job. Autour de mecs qui mettaient deux heures à se rhabiller, certes.

En France, on a résolu le problème : les femmes ne peuvent pas rentrer dans les vestiaires, point. Et pour le job, on attend que ces messieurs veuillent bien sortir!

3 commentaires:

  1. Plus les épisodes se succèdent, plus je suis convaincu que tu devrais l'écrire, ce bouquin ! C'est passionnant, drôle et superbement écris.
    Oui, vraiment passionnant.

    L'oiseau

    RépondreSupprimer
  2. L'Oiseau a totalement raison ; tu réussis à m'intéresser à un truc dont je me fiche habituellement comme de ma première panade, c'est pas rien ça, crois-moi !
    Seigneur ! Shaquille O'Neal ! 2m16 et 140 kg ! J'arrive pas à me représenter le bestiau.... gasp ! et exhibitionniste, en plus...
    ça me rapelle le jour où un type en cours, au collège, m'avait montré ses attributs - on pouvait pas ce voir ; j'ai regardé froidement, j'ai remonté jusqu'à ses yeux et je lui ai balancé : " c'est tout ?" - il s'est fait chambrer à fond par ses potes, il était vexé comme un pou, on s'est fait jeter dans le couloir - où je me faisais pas fière, mais ouf. Dans un vestiaire au milieu de la meute, j'l'aurais pas fait ! t'as eu la réaction tip-top ! chapeau !
    Encore ! encore !

    RépondreSupprimer
  3. Bien joué, Anne, le "c'est tout?"! Shaq a pas mal d'humour, je peux pas lui en vouloir, et puis, y'a prescription, depuis le temps... Une fois encore, merci à vous deux!

    RépondreSupprimer