Au fond, j'ai toujours pensé que l'on caricaturait les administrations en général et Pôle Emploi en particulier. C'est vrai, je connais des personnes qui y gagnaient - ou qui y gagnent -honorablement leur vie, des gens normaux, pas fainéants, loin de tous les clichés véhiculés.
Mais je comprends maintenant pourquoi les préjugés ont la vie dure.
Hier soir, en rentrant, je jette un coup d'oeil sur mon compte. Avant de partir, souvenez-vous, une dame de Pôle Emploi m'avait assurée que ma situation allait être régularisée dans la semaine, que je ne devais pas m'inquiéter, blablabla. Et là, dix jours après, l'évidence: pas de nouveau virement.
Bon, Pôle Emploi le lundi matin, ça devient une habitude. Une petite balade me fera le plus grand bien, n'est-ce pas? C'est pas comme si j'avais d'autre chose à faire - chercher un job, faire ma fournée hebdomadaire, ce genre de choses. Avant de filer, je cherche sur le net le calcul réel de mes indemnités, histoire d'arriver avec des billes. Un ami me donne l'adresse d'un site, je parcours rapidement les forums, réalisant à quel point ce qui me semblait kafkaïen s'avère très banal. Des tas de gens se retrouvent englués dans des situations impossibles.
Je ne suis pas la seule auto-entrepreneur à galérer. C'est marrant, ça pourrait me rassurer, mais non.
Un conseiller fort aimable et a priori compétent me reçoit. Je lui explique: nouvellement auto-entrepreneur, chiffre d'affaires et zéro bénéfice, alloc réduite, blablabla, régularisation promise, rien après dix jours...
"Ah mais c'est normal, votre allocation est provisoire, elle sera régularisée lorsque nous aurons vos justificatifs."
Ceux que j'ai envoyés initialement à Evreux - sur le conseil d'un premier employé - puis déposés à l'agence où je me trouve, justement, voilà plus de dix jours?
Ceux-là, oui.
"Ah ben oui, on n'a rien eu, hein."
Prévoyante, je lui sors le document requis. Comme il est sérieux, il finit par m'annoncer la bonne nouvelle: je recevrai le 28 avril le complément promis. Alléluia.
Puisque je suis là, je lui demande quelques autres précisions. Par exemple, comment cela se passe-t-il si un auto-entrepreneur ne déclare aucun chiffre d'affaires? " Si c'est le cas, nous avons estimé un forfait de 583 euros que l'on retranche de l'allocation." Donc, j'ai tout intérêt à déclarer un minimum.
"Ah ben oui", qu'il me répond.
Ce statut d'auto-entrepreneur commence à me courir, tant il engendre précarité et flou artistique. Et ça se gâte carrément lorsque j'évoque le CDD que je viens d'effectuer.
"Vous devez déclarer avoir travaillé 78 heures dès lors que vous êtes auto-entrepreneur, avec maintien des allocations de retour à l'emploi. Là, vous me dites avoir travaillé, en plus (malheureuse que je suis!) 35 heures. Or, 78+35 = 113.
Oui, d'accord... Et donc?
"113 heures, c'est trop, au delà de 110 heures travaillées par mois, vous perdez votre allocation."
En gros, j'ai trop bossé ce mois-ci (avec un chiffre d'affaires riquiqui, dois-je préciser, sur ma minuscule affaire). Tout est normal. Lui, franco, me suggère de me radier de mon statut d'auto-entrepreneur. Comme ça, le problème sera réglé. "Allez voir l'URSSAF", me dit-il, tout sourire.
De façon impulsive, je suis son conseil. Il a l'air sûr de son fait, après tout - ma naïveté me perdra. En chemin, je ressens néanmoins un petit pincement à l'idée de renoncer à "Ma p'tite Madeleine" qui n'aura donc vécu qu'un mois. Les doutes me submergent, je me demande s'il n'y a pas une autre solution. Pendant ce temps, en salle d'attente, nous commençons à trépigner. La vieille dame blonde trop maquillée reçoit un homme un rien lourd. "Je vous ennuie peut-être, vous allez peut-être déjeuner", lui sussure-t-il, au bout de longues, très longues minutes. Meuh non, meuh non, lui répond-elle, visiblement sous le charme.
En face de moi, une femme ne peut plus cacher son impatience. "Sinon, il y a des personnes qui attendent. Et puis, nous aussi, on aimerait bien aller déjeuner." Je la regarde: "Je crois qu'il va falloir oublier cette idée." Mon voisin se marre.
Finalement, comme d'habitude, j'ai poireauté pour rien. Lorsque j'évoque la radiation à cette mégère mal embouchée, elle me répond, toujours aussi sèche et sans même daigner poser un regard sur moi : "Vous vous êtes inscrite où? Sur Internet? Eh ben allez sur Internet!"
Sinon, si ton métier te saoule, ça se voit pas du tout, madame.
"Ah oui, sachez que vous allez perdre tout le bénéfice de l'ACCRE (les exonérations sociales allouées aux jeunes créateurs). "
Je la déteste et pourtant, je pourrais l'embrasser de s'être montrée aussi désinvolte.
Car en rentrant, je tarde à me radier. Il doit bien y avoir une solution. Petit retour sur le forum. Un petit malin a dégoté un lien bien caché du site Pôle Emploi. Espoir. Allez, comme je suis d'humeur guillerette, je me tente le 3949. Facturé 11 centimes la minute, parce que, quand même, faut bien que ça serve à payer quelque chose, les allocs, c'est vrai quoi, vous les chômeurs avez plein de gratuité et tellement d'avantages en nature.
Dix minutes plus tard (une paille), une dame me répond. Puis me passe un collègue, "parce que là, c'est une question d'indemnisation et je ne sais pas". Le monsieur est au fait, lui, il se montre même catégorique. En gros, il prend le conseiller du matin pour une grosse buse et m'explique le processus.
78+35 font bien 113 mais mon cher employeur va faire la distinction entre mes deux activités. Ensuite, il m'indique la procédure à suivre, chaque mois, avec une attestation sur l'honneur, etc, en déclarant, le cas échéant, que je n'ai pu me dégager de salaire, en fonction de mes frais. Un détail que personne, jusque-là, ne m'avait précisé.
Il me suggère de conserver mon statut d'auto-entrepreneur. Avant de raccrocher, réprimant mal son rire: j'ai tellement voulu blinder l'affaire que je lui ai fait répéter deux fois la procédure. Je l'imagine raconter à ses collègues quelle quiche il venait d'avoir en ligne.
Pas grave, j'ai l'habitude.
Je n'ose plus compter le nombre d'interlocuteurs que j'ai pu avoir depuis un mois mais une chose est sûre: cela représente autant de sons de cloche différents. Personne n'aurait-il donc la chance de bénéficier d'une formation, à Pôle Emploi ? Je ne peux le croire.
Peut-être ces remises à niveau sont-elles réalisées en serbo-croate. Ou bien les élèves s'endorment-ils - parce que le matin, c'est chaud et l'après-midi, après la digestion, c'est lourd - soit... Non, je ne veux envisager qu'il y ait une telle somme d'incompétence. Je note juste que, sans cette balade désormais hebdomadaire, je n'aurais jamais perçu ce à quoi j'avais droit.
Il y a des jours où je me passerais bien de ce genre de matière pour remplir ce blog. Cela dit, je l'avoue: c'est tellement burlesque que j'aurais eu du mal à l'imaginer.
lundi 26 avril 2010
Un zeste kafkaïen ne meurt jamais
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Personne en effet n'aurait pu l'imaginer. Je te souhaite en tout cas de toucher très rapidement ce qui t'es dû (le plus possible, bien entendu).
RépondreSupprimerCourage, la Mouette.
Bises.
L'oiseau
Je crois que je vous ai tous fatigués, avec cette longue tartine indigeste. Bien courageux ceux qui sont allés jusqu'au bout! Sorry, fallait que ça sorte...
RépondreSupprimerEn tout cas ça me rassure que ces trois malheureuses heures ne te coûtent pas autant que tu le craignais ! Je t'embrasse, courage.
RépondreSupprimerBurlesque, en effet ; non non; tu ne nous saoûle pas, loin de là tu es même une mine précieuse de renseignements ! tu vois ?
RépondreSupprimerC'est affolant, ce truc là, et j'imagine dans quelle poisse peuvent se fourrer ceux qui n'ont pas l'outil intellectuel suffisant pour affronter cette hydre ! comment s'en sortent-ils ??
Ah, ça m'énerve, ce pays !