jeudi 11 juin 2009

La vie des autres

La suite, disais-je... Ou comment se coller toute seule la pression en annonçant un truc qui va retomber comme un soufflé. Pff, voilà, vous êtes prévenus.

Bon, après l'épisode de mes premiers journaux manuscrits, je suis passée au stade supérieur : l'achat d'une machine à écrire. Moi qui suis une vraie cigale, économiser autant s'est avéré un véritable challenge. Fini, le billet mensuel de 50 francs aussitôt reçu, aussitôt volatilisé! Il fallait tout garder et ça, j'avoue que ça a toujours été un peu compliqué pour moi.

La machine, je me la suis finalement offerte, une bien rustique, de celles qui t'obligent à jeter ta feuille à la moindre faute de frappe. Peu importe, j'étais dans mon élément. J'écrivais. C'était nul, forcément, mais je me voyais déjà assouvir mes envies. Je serai journaliste.

Quand on est enfant, on peut balancer tranquillou à ses parents que l'on sera roi du monde, plus tard, ça les fait juste sourire. Lorsque j'ai évoqué, très tôt, mes envies de devenir scribouillard, je me souviens des commentaires, tous plus touchants les uns que les autres:

"Tu n'y arriveras jamais"

"Il faut connaître du monde"

"Il faut coucher" (celle-là, elle est venue bien plus tard, n'étant pas supportable alors par mes jeunes et chastes oreilles)

Bien soutenue, donc, je remplissais invariablement la même chose, à la rentrée, sur la fiche de renseignements des profs. Journaliste. Dans ma tête, je précisais même : à "Bip-Bip" magazine. D'aucuns appelleraient cela un rêve, d'autres une obsession, c'était un but, c'est tout, à mes yeux. Quand la conseillère d'orientation a voulu m'envoyer en lettres sup, arguant que rentrer dans une école de journalisme était mission impossible, j'ai tenu tête. Lorsque, arrivée à l'oral devant le jury de cette même école, ils ont voulu me diriger vers Sciences-Po, "car vous êtes trop jeune pour notre établissement", j'ai répété le même discours. Mes origines bretonnes, j'imagine.

Je suis allée à Marseille, Lille, Bordeaux, à Maubeuge (tout de suite, c'est moins glamour), St-Quentin et Angoulême, durant ces deux années d'études. En ouvrant un peu les yeux, en allant à droite à gauche dans des rédactions, j'ai appris à découvrir, écouter, maudire aussi, apprécier, voire aimer des gens qui n'avaient pourtant rien à voir avec l'univers que je convoitais. Il y avait de tout, des notables, des cas soc', des alcooliques anonymes, des mamies qui se battaient pour devenir la meilleure cuisinière de l'année, des enfants simplement souriants à l'idée qu'on les regarde, des campeurs qui maudissaient la pluie, des taggeurs qui redonnaient un peu de couleur à une ville sinistrée... A 19 ans, je me suis retrouvée dans ce tourbillon humain, dont je découvrais chaque jour les contours, avec toute ma candeur.

C'était cela, aussi, le journalisme, raconter comment cette femme désespérée tentait de se défaire de son addiction pour l'alcool en avalant des tonnes de camembert, pourquoi le maire avait pété les plombs en plein conseil, calmer les ardeurs de ce maître yogi, raconter la colère du coach après le coup de sifflet injuste et fatal à l'encontre de son équipe, tenter de réfréner son fou-rire face à cette passionaria qui faisait la chasse aux douilles ou ce collectionneur de pièces anciennes qui voyait en ma venue l'occasion de sortir de sa solitude, ne serait-ce que quelques dizaines de minutes... J'avais nourri l'espoir de faire parler ceux que je considérais alors comme mes idoles et d'un coup, j'avais été balancée dans la vraie vie, où les gens demandaient juste à être écoutés. Quel que soit leur environnement, le sportif ou le culturel, la politique ou le social... Et souvent la misère.

Écouter. Moi qui parle beaucoup, voilà qui me plaisait plus que tout. A moins que ce ne soit l'idée de retranscrire ce flot de paroles. Sur cette machine à écrire, j'avais cherché la matière. Ce que j'avais à raconter m'avait toujours semblé trop fade. Le support des ces histoires humaines s'avérait une aubaine. Enfin, j'allais pouvoir raconter l'histoire des autres, m'étonnant de leur confiance soudaine, de cette envie de se livrer. Puisque ma vie ne serait jamais un roman, j'allais simplement m'ouvrir sur celle des autres.

A suivre...

7 commentaires:

  1. Cette vie doit être passionnante. Ton article est passionnant. As-tu jamais pensé à écrire un livre pour raconter toutes ces expériences ? Tu aurais là une préface toute faite et qui donne sacrément envie d'en savoir plus.

    L'oiseau

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  2. Grillée by "ze" bird ! je vois que nous avons eu la même sorte de parents... Lorsqu'enfant je disais "je veux être écrivain", on m'a dit que c'était pas un métier. On a haussé les épaules, en disant "peuh...ma pauv'fille, va...".
    J'ai coupé mes ailes et couru d'autres rêves ; la mouette, tu me plaîs ; ton resto, je sens que tu l'auras ; ton billet d'aujourd'hui m'a ému aux larmes ; pour ce qu'il montre de bonté derrière la curiosité...
    allez, balances la suite, on reste branchés..!

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  3. l'oiseau : Une préface toute faite? Pour moi qui suis fainéante, c'est parfait! Sans rire, je rêve d'écrire un jour un livre, un rêve très banal -car tellement partagé - mais tout ça reste à mes yeux très lointain, très compliqué...

    Anne: 2e, ça va! Je crois que cette perplexité environnante est excellente pour booster notre motivation, non? Je le vis comme ça, y compris pour le resto d'ailleurs. Alors, récupère tes ailes, Anne, et fais ce qu'il te plaît!

    Merci en tout cas pour vos gentils messages et votre assiduité... Et pour la suite, on attend demain, si si!

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  4. C'est vrai que l'écriture d'un livre pourrait être sympa... entre autre aventure, tu pourrais raconter comment tu es tombée en panne sur les Champs Elysées (avec l'Ibiza ?) ou comment tu as explosé l'appareil photo de je ne sais plus quelle rédaction d'un coup de ciseaux malencontreux !!!
    Souvenir Souvenir !!!!!

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  5. Oh, les dossiers!! J'avais un peu zappé ça, tiens, c'est bizarre... Y'a moyen d'alimenter le blog pendant un petit moment avec toutes les péripéties que j'ai eues dans ma vie pro (perso aussi, remarque...) Pauvre Seat, paix à son âme!

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  6. C'est marrant, j'ai eu mon deug à Angoulême.

    J'avais aussi ce genre de parents. Une idée fixe: être avocate, et comme j'étais très timide, des moqueries en tous genres... Et sans cesse l'affirmation que j'étais bien trop stupide.

    Malheureusement, j'ai changé d'ambition, mais cette obsession m'a tout de même mené à un master.

    Je pense que tu fais aussi partie de ces gens qui se battent, et qui vont au bout des choses.

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  7. Angoulême, je n'y ai fait que passer mais j'en garde un sacré souvenir, j'étais à WIN FM, si si, ça existe, enfin, je ne sais pas si c'est toujours le cas d'ailleurs?

    C'est fou ce que tu as pu entendre et certains doivent se sentir bizarres autour de toi, en voyant aujourd'hui ton parcours. De mon côté, je ne blâme pas mes parents, je peux comprendre qu'on alerte son enfant sur la faisabilité ou non de son "projet". Simplement, il y a un tas de métiers qui semblent relever du fantasme alors qu'en fait, bon, chaque profession a son lot de génies et de crétins, hein! Et puis, journaliste sportif, déjà, ça pète moins, c'est un peu la risée de la corporation, même...

    Ce qui est marrant, c'est que mon père, dès lors que je suis rentrée à l'école de journalisme, n'a cessé de montrer sa fierté (c'en était même lourd), racontant à qui voulait l'entendre ce que je faisais, alors que tout le monde s'en foutait. Et il avait à coeur de lire TOUS mes articles, publiés chaque mois!

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