jeudi 23 juillet 2009

Banco & haro

En me couchant hier soir, je savais déjà à quoi m'attendre dès le lever: une journée marathon. Je m'étais calée des rendez-vous, genre de ceux qui plombent. Le résultat ne s'est pas fait attendre.
8h - Ah, j'oubliais, ma barre de métal est toujours solidement accrochée à mon dos. Une petite roulade sur le côté et hop, ni vu ni connu, je suis debout. Je songe au bonheur de ces gens qui se lèvent comme ça, sans douleur. Je me sens vieille.

8h30- J'ai mal au ventre. J'ai eu le malheur de songer à ce qui m'attendait et je flippe. J'ai l'impression d'avoir quatre ans, mais dans le corps d'une vieille personne.

8h50 - je dois filer dans quelques minutes et je suis rivée sur l'écran de mon ordi, toujours en tenue légère. Faudra que je songe à me greffer un minuteur dans la tête. Et un cerveau, aussi.

9h15- Je suis vraiment ravie d'avoir pris mon vélo pour cette matinée. Il fait -12 et il pleuviote. C'est pas comme si on était en plein mois de juillet, cela dit.

9h34- Je suis en retard à mon rendez-vous, décoiffée (me suis-je coiffée? Ah non, c'est ça) et en nage. L'effet du vélo.

9h35 - Premier sursis de la journée, Christiane, qui m'a déjà suivie dans mon projet, a accepté de reprendre le dossier. Voilà une personne sympa et compétente, sans apriori. A peine croyable.

10h30 - Elle me suggère de faire un EMT. Pour moi, c'était une matière qui nous permettait de glandouiller au collège, à faire du macramé, des circuits électroniques ou des tartes au sucre.

10h31 - J'apprends que l'EMT est une évaluation en milieu du travail. En gros, je vais bosser à l'oeil pour un resto et le cuistot évalue si oui ou non je suis capable de tenir ma place. Banco, j'adore l'idée.

10h35- Je remplis mon petit cahier des tâches à accomplir. Christiane a une idée de resto où je pourrais aller m'évaluer. Et gagner en crédibilité auprès de tous ceux qui vont s'interroger sur mon manque d'expérience en restauration.

11h- Vite, je reprends mon vélo. Il ne pleut plus et je ne sais pas où ranger ma parka. Je file pas très loin, honorer l'un des rendez-vous qui me stresse aujourd'hui. La chargée de mission de cette asso m'a déjà fait passer un interrogatoire au téléphone, la veille, et je sens qu'elle va remettre ça.

11h02 - En même temps, c'est normal, cette asso propose des crédits à taux 0, à hauteur de 10, 15 ou 20000 euros, dans certains cas. Logique qu'elle se renseigne un peu, au préalable.

11h03 - J'ai mal au ventre.

11h04 - Elle arrive dans la pièce, silhouette menue, visage fin rehaussé par de grandes lunettes noires. La poignée de main est sèche, le sourire timide.

11h05- J'ai peur.

11h06 - Elle attaque. Le ton est donné, pour de simples questions administratives. Elle veut du net, du ferme, pas du blabla. On ne la lui fait pas, à elle.

11h07 - Je prends ma respiration et me lance. Je répète peu ou prou ce qu'elle a déjà lu dans mon gros livre rose. Elle passe à l'interrogatoire.

11h12- Elle aime les questions-piège. Elle prêche le faux. Je suis un peu perdue mais n'en fais rien voir, restant stoïque à ces assauts répétés.

11h30 - La chargée de mission m'apprend quelque chose: je n'ai pas d'expérience en restauration.

11h31 - Je suis soufflée. Je ne savais pas.

11h32- Je me dis qu'elle me prend vraiment pour une greluche. Mais je sais aussi qu'elle est un excellent garde-fou.

11h33 - Elle m'explique pourquoi son asso est devenue si frileuse à soutenir financièrement des projets comme les miens. Elle a ainsi deux cas de personnes, "pas dans la partie", qui se sont lancées et qui ont échoué.

11h34 - Je sais de qui elle parle. Je lui réponds que leur investissement majeur n'a rien à voir avec celui que je prévois. Que ces gens-là se sont collé beaucoup de pression en lâchant un maximum de moyens sur le local et la déco, au détriment de l'essentiel: l'accueil et l'assiette.

11h35 - A son sourire, je vois que je marque un point.

11h36 - Je reste vigilante, elle est à l'affût de la moindre de mes failles.

11h40- C'est horrible, j'ai envie de bâiller. Elle me parle, yeux dans les yeux, et moi je dois contenir cette irrépressible envie.

11h41- Je me maudis de m'être couchée si tard. Je décide que 2 ou 3 heures du mat' est un créneau réservé pour 1/ les jeunes ; 2/ les vacanciers; 3/ les retraités qui n'auraient pas mal au dos; 4/ les insomniaques; 5/ les débiles comme moi qui retardent le moment d'aller se coucher pour passer la soirée derrière l'écran - quel qu'il soit d'ailleurs.

11h42 - J'opte pour l'ingénieuse idée de sortir de la catégorie des débiles. Je ne me fais pas d'illusion pour réintégrer celle des jeunes.

12h50- Il aura fallu un peu de temps mais la chargée de mission s'est déridée. Elle parle un peu moins au conditionnel. Elle évoque ses préférences culinaires, sa passion pour le calcul des calories et le contrôle de son alimentation.

12h51 - Pour moi qui me suis replongée dans cette drôle de période anorexique, j'avoue que sa rigueur alimentaire m'effraie un peu.

12h52 - Je sais maintenant qu'elle mange des soupes lyophilisées et qu'elle a une fille qui aime les frites, et qui ne comprend pas que sa mère ne se serve pas de la friteuse.

13h10 - La poignée de main est toujours aussi ferme mais le sourire plus large. Je vais revoir cette chargée de mission.

14h- Je surfe sur Internet. Vais sur le blog de Café Clochette, qui explique pourquoi elle n'a pas revu ses prix, après la baisse de tévéha. Elle évoque les temps difficiles.

14h01- Ça fait peur.

14h40 - Avachie sur mon canapé, je soupire. J'ai maintenant rendez-vous avec la banque. La personne que je vais voir est celle que j'ai rencontrée lors du jury afpaien, la semaine passée. Au moins, elle connaît le dossier.

14h41 - J'ai mal au ventre.

14h47 - J'enfourche mon vélo. Je sais que c'est une connerie, à voir le nuage menaçant au-dessus de ma tête déjà farcie.

15h- Je rentre dans son bureau. Je suis bluffée par son aplomb. Elle a quoi? 30 ans ? Et encore, grand maximum, j'en suis persuadée. Pour autant, elle débite son discours avec maîtrise.

15h05- Après examen des deux prévisionnels, l'un pour le petit local que je convoite depuis si (trop?) longtemps et l'autre pour ce lieu que j'ai visité la semaine passée, elle ne fait pas de détail. Banco pour le petit lieu. Haro sur l'autre.

15h06 - Je ne suis même pas surprise.

15h30- Elle me parle d'EBE, de CAF et d'amortissements et je hoche la tête. Si on m'avait dit ça il y a quelques semaines, j'aurais bien rigolé. Là, ça me parle.

15h31- Je sais maintenant que, pour faire passer un dossier, il faut en présenter un plus gros, qui semble déraisonnable et faire genre, non, mais j'ai bien compris que c'était trop conséquent, mieux vaut commencer modestement, blablabla.

15h32- Elle n'est pas stupide, mais de toute façon, les chiffres parlent pour moi. Ça passe.

15h33 - Elle m'apprend quelque chose: je n'ai pas d'expérience en restauration.

15h34 - Je suis soufflée. Comme une impression de déjà-vu.

15h35- Je me dis qu'elles me prennent vraiment toutes pour une greluche. Mais que c'est de bonne guerre.

15h36 - Elle m'explique pourquoi les banques sont devenues si frileuses à soutenir financièrement des projets comme les miens.

15h37- Je m'attends à ce qu'elle évoque le cas de personnes "pas dans la partie" qui ont échoué.

15h38 - Au lieu de ça, elle finit sa phrase, en précisant: "mais je vois que vous avez vraiment envie de monter cette affaire, et je ne peux pas l'ignorer."

15h40- Elle sourit. Et marque un point.

15h50 - Elle fait une synthèse du dossier, après avoir joué de la calculette, évalué les prêts, les aides... Et me conseille de n'avoir "aucune pitié" pour la propriétaire actuelle du resto convoité, eu égard à son chiffre d'affaires riquiqui. Que ce bilan joue en ma défaveur et que je dois retourner la situation et prouver que je peux faire mieux que ça. Que je dois négocier sec.

15h51- Comment on fait, pour devenir un vrai renard en deux coups de cuillère à pot?

15h52 - Un éclair de lucidité : On pense à sa survie.

16h - Au moment où je sors de la banque, j'ai à peine le temps d'enfiler ma parka qu'il se met à pleuvoir. Mais du genre pluie de cinéma, comme lorsqu'on a l'impression que les acteurs se prennent des seaux d'eau sur la tronche pour mimer les averses.

16h02 - Je suis trempée. Il est temps de m'octroyer une petite pause. Enfin, pas là, maintenant que le gros 4x4 vient de m'éclabousser les 2cm encore secs de mon jean, mais une fois au chaud.

16h10 - Je retrouve une amie dans le seul salon de thé que j'avais négligé, au moment de mon étude de marché. Le gérant a deux de tension, prévient sur sa carte que les gens pressés n'ont pas leur place ici et se décide à prendre notre commande une bonne vingtaine de minutes après notre arrivée.

16h25- Les smoothies qu'il nous a apportés ne sont pas faits maison. Petite déception. Mais l'endroit est tellement beau - et le jus plutôt savoureux - qu'on ne lui en tient pas rigueur.

17h25 - Nous sommes une petite dizaine de clientes et le salon de thé est blindé. Personne ne bouge, sinon pour s'enfoncer davantage dans les fauteuils club. Je m'interroge alors sur la rentabilité d'une telle affaire, surtout située en plein centre du Mans, avec un loyer du coup conséquent.

17h26 - Un coup d'oeil au gérant à deux de tension me rassure sur son état de stress. Visiblement, ça ne l'atteint pas.

17h50 - Au moment de partir, il avoue à mon amie que c'est la première fois qu'il accueille autant de monde à la fois dans une après-midi. A même pas 3 euros le panier moyen, je me pose quand même des questions. Déformation...

17h52- Ma parka s'emmêle dans ma roue. Du cambouis partout. Il est temps que je rentre.

19h - J'appelle mes parents pour prendre des nouvelles. Mon cher papa me serine, une fois encore, que ça licencie à tour de bras et que les affaires coulent. Avant d'ajouter que la restauration, c'est du travail, hein.

19h01 - C'est marrant, parce que, pour quelqu'un au chômage, j'ai rarement autant bossé en cette période de juillet. Mais bon, je ne peux pas lui en vouloir: c'est encore un garde-fou, j'imagine, pour le cas où je m'enflammerais...

9 commentaires:

  1. Tu as toujours des billets haletants, la Mouette, et j'adore ce feuilleton ! va vraiment falloir que tu ailles jusqu'au bout hein, pasqu'on la veut, la suite ! et puis Le Mans, c'est sur la route des vacances pour les Berrichons, un bon coin pour une pause-goûter, c'est tout de même mieux qu'une baraque à frites molles de bord de routes, quand même....on te fera de la promo...
    Très bonne idée, l'EMP, et négocies ton local avec un piège à loup en guise de mâchoire ! il FAUT que ça marche !
    Dis donc, la noctambule effrénée ! à 34 ans, tu te ranges déjà chez les has-been ? tu veux que je te rappelle mon âge à moi ?! :-)

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  2. Mais tu es une vraie galérienne, ma parole, à te taper des journées comme ça ! Mais ça a l'air d'avancer et c'est positif. Et les gardes fous sont fait pour être enjambés.
    Alors ce soir, dodo tôt ? Fais de beaux rêves.

    Bisettes
    L'oiseau

    ps : je suis scié, j'ai réussi à commenter avant Anne !

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  3. Mince, non, on a du commenter en même temps et elle a pris un peu d'avance au moment d'envoyer ! Damned ! Je me suis encore fait avoir.

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  4. Eh oui, l'oiseau, Anne est comme Speedy Gonzales, je t'avoue que ça m'impressionne aussi!
    Galérienne, je ne sais pas, un peu maso, oui, mais quand faut que ça avance, pas le choix! Et puis, je vous livre ce post très tôt ce soir, ce qui me laisse penser que je vais tenir ma résolution: au lit la vieille!
    Au fait, t'as quel âge, Anne?
    Bon, j'ai la pression, là, je suis OBLIGEE de continuer l'aventure pour vous donner un peu de matière, si je comprends bien. Et comment je fais si ça marche pas? J'invente ?

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  5. Eh, la Mouette ! Tarrêtes de te traiter de vieille s'il te plait, hein !
    Et oui, t'es obligée, en effet. Mais bon, nous sommes aussi là pour t'aider, en cas de besoin.

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  6. Yep, je confirme, on va pas te lâcher comme ça !
    Alors, Speedy Gonzales se paye un gentil 43 au compteur,ma gamine, et j'ai encore du kérozène en stock ! Sauf le matin qu'est prié de pas commencer avant 8h...
    Si ça marche pas ? tu rebondiras sur autre chose...ou sur la même chose, autrement ou ailleurs...une aventure a toujours deux options, a minima ! Le truc, c'est de l'enmener jusqu'à son terme !
    Tu te démènes trop pour que la sauce prenne pas, d'une manière ou d'une autre.
    Et nous sommes là ! Derrière nos claviers, des "vrais gens" qui s'intéressons, qui suivons, qui t'accompagnons - parce que c'est pas de la petite bière, ton aventure ; "réussir", c'est en quelque sorte déjà fait, même si "aboutir" est encore un futur !
    Allez, fonces, dis-toi que tu es une héroïne !

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  7. Une héroïne? Va falloir que je fasse preuve d'imagination, alors, mais en tout cas, les personnages qui m'entourent ici sont décidément d'un soutien sans faille, merci à vous!!!

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  8. Et on sera toujours avec toi, la Mouette.

    Bisettes
    L'oiseau

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  9. Ouh là, faut pas me croire alors quand je dis que les temps sont difficiles... Enfin oui, c'est vrai, mais le quotidien ce n'est pas ça : c'est plutôt la rencontre avec les gens, le gentil fournisseur de produits bios qui pique quand il fait la bise, les enfants qui courent partout... Et toutes les assiettes envoyées en salle ! et tous les gâteaux que tu vas pouvoir faire ! Courage, la Mouette, tu tiens le bon bout. C'est une période dure, mais tu vas la traverser. Courage !

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