J'ai une couronne en papier sur la tête. Les cuisses moulées dans un collant moutarde. Je suis habillée style moyen-âge. J'ai 8 ans.
Je panique un peu, je prends une grande respiration et je me lance. Ce jour est important pour moi, c'est le pestacle de fin d'année et je tiens un double rôle dans notre petit théâtre scolaire: conteuse et marchande de poisson.
Je suis chargée de présenter le contexte et les personnages à ce public tout acquis à notre cause (que des parents au regard énamouré, quel bonheur...) et je flippe grave. A l'époque, je ne l'exprime pas ainsi parce que nous sommes encore dans les années 80, parce que je suis une petite fille bien polie, aussi, mais enfin, le palpitant ne me lâche pas. En plus, je dois me souvenir de mon texte et ne pas me mélanger les pinceaux avec l'autre personnage que je joue.
La marchande de poissons.
J'ai peur d'oublier, de tout confondre, de ne pas être à la hauteur. Je ne suis plus en CE2, je me crois sur une scène de Broadway, d'un coup. Comme d'habitude, je me fais un monde d'un truc tout bête. Parce que la poissonnière, elle a une phrase à balancer.
"Il est beau mon poisson de la Loire, il est beau!"
Une phrase, oui, mais quel bagou! Ma mère rit (de honte?) de me voir haranguer ainsi la foule.
A la fin, tout le monde applaudit et la maîtresse me félicite. Tu m'étonnes que j'étais crédible, dans le rôle de la poissonnière! Moi, la gamine maladroite, plus attirée par les petites voitures que par les poupées. Pourtant, au fond de moi, j'aimerais être une petite princesse, habillée de rose, gracieuse et délicate. Et surtout pas une dame en tablier sale qui dépiaute du poisson, en criant "il est beau mon poisson de la Loire".
J'ai 10 ans. Parce que je veux m'acheter cette machine à écrire tellement désirée, je traîne deux copines avec moi, un mercredi après-midi, leur colle des Bibliothèque Rose et des Bibliothèque Verte dans les mains et je les nomme commerciales de choc. Nous partons faire du porte-à-porte. Les voisins ne cachent pas leur surprise de voir sonner à leur porte des gamines avec de gros sacs de livres. Sans doute par pitié, certains nous achètent des livres. D'autres nous rabrouent sans complaisance aucune. A la fin de la journée, on se partage la recette. Enfin, comme c'était mon idée et que les bouquins étaient miens, je leur distribue généreusement 5 francs. Oui, 5 francs, ce n'est pas une erreur. Ce jour-là, je perds deux copines. Mais je me découvre la bosse des affaires.
J'ai 15 ans. Autour de moi, les filles se maquillent, certaines outrageusement, même. Elles s'arrachent les blousons Chevignon, Chipie et chaussures Bensimon. Moi, j'ai craqué pour un challenger Adidas, que je remets sitôt lavé. Ce fabuleux yogging ô combien féminin s'assortit parfaitement à de grosses Nike. Rouge. Mes copines s'émancipent et moi, je suis un garçon manqué. J'aimerais tellement être aussi jolie qu'elles, mais je passe trop de temps sur les terrains de basket pour que l'on puisse envisager que je suis une vraie fille, au potentiel de princesse. Avec du mascara et du blush, j'aurais l'air déguisée là où leur coquetterie est naturelle.
J'ai 25 ans. Je suis entourée de garçons à la rédaction et je jure comme un charretier. Je sais, ça manque de classe. Ne manquant jamais une occasion de me titiller, mes chers collègues me traitent de poissonnière. Je déteste. Je n'ai pas cédé au tout-rose, un peu trop girly. Mais j'aimerais bien me doter d'une touche de féminité, histoire que les garçons me voient autrement que comme l'un des leurs. Et j'ai toujours l'image de la-femme-au-tablier-sale-qui-crie-il-est-beau-mon-poisson,-il-est-beau...
J'ai 34 ans. J'ai renoncé au tout-girly. Au fond de moi, je serai toujours un garçon manqué, même si mes dix milliards de fringues qui croulent dans mon armoire et mes cinquante fards à paupière me permettent de jouer à la fille.
En revanche, j'ai trouvé ma voie. Je ne serai pas poissonnière, non. Mais il est possible que j'aille ouvrir mon bagou sur le marché...
A suivre...
jeudi 9 juillet 2009
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Tiens, on se ressemble.....un peu ; alors laisses-moi te dire : nan, t'es pas un garçon manqué ; t'es bien une FEMME - va pas confondre avec cet ersatz sucré-fragile où l'on voudrait nous confiner....
RépondreSupprimerEt vas-y, sur le marché...décroche la lune et fais les tous baver !
Again, Anne, t'as lu la première version! T'es trop rapide, c'est incroyable!
RépondreSupprimerPas un garçon manqué? J'ai toujours quelques restes...
Score serré entre les deux versions !
RépondreSupprimerChuis désolée...ai été croisée avec bip-bip, Coyote aura jamais ma peau....
Et chuis plutôt du soir, en outre....
ça m'apprendra à publier les messages sans peaufiner, puis à les relire et à me dire que, quand même, j'ai un peu bâclé! Je vois bien que tu es du soir, Anne, un vrai oiseau de nuit. On était faites pour s'entendre!
RépondreSupprimerC'est émouvant ton histoire!!
RépondreSupprimerSi bien racontée...
On est un peu pareil. Je n'ai trouvé la féminité qu'après la naissance de Mouflette...
Humm humm... bon, je vous laisses entre garçons man... Eh, pas frapper, aie, ça fait mal - je vous laisse entre représentantes du beau-sexe, voulais-je dire.
RépondreSupprimerBisettes
L'oiseau