vendredi 3 juillet 2009

Jojo, l'antidépresseur

Michael Jordan en ferait bien d'autre, vous disais-je... Après ce final éblouissant et un dernier sacre en 1998, Jojo tire sa révérence pour la deuxième fois. Désormais, quand je pars en NBA, je sais que je ne le croiserai plus qu'en costard-cravate. A priori.

La vie sans Mike, c'est fade. En 1999, je suis à New York à me geler lorsque la NBA annonce que la grève des joueurs va raccourcir la saison. En 2000, j'assiste au All Star Game à San Francisco (Oakland, pour être précise). Il y a bien Al Green, qui me colle des frissons lorsqu'il entonne l'hymne national. Il y a bien Vince Carter, qui multiplie les arabesques dans les airs, il y a bien la jeune génération, mais tout ça manque de sel.

En 2001, Mike, démangé par l'envie de revenir, réalise son come-back, again. C'est une aubaine pour la Ligue, évidemment, mais aussi pour tous les magazines spécialisés sur le basket américain. Nous, on boit du petit lait, même si l'idée qu'il joue avec une autre équipe que Chicago me déplaît un peu, tant il a marqué les mémoires collectives sous le maillot 23 des Bulls. Je ne l'ai jamais vu en match officiel, aux couleurs de Washington, si ce n'est à la télé, mais deux ans plus tard, je saisis la dernière chance de le voir éclabousser de sa classe la NBA. A 40 ans, il est sélectionné pour le All-Star Game, qui se tient à Atlanta.

Atlanta. La ville de Coca-Cola. Une cité sans âme où je me sens mal dès mon arrivée, sous la pluie. Je peine à trouver le motel que j'avais choisi. Il est loin, à 40 km du Downtown, à l'une de ces sorties d'autoroute où le décor est invariable - un Mc Do, un Denny's, un supermarché et des motels plutôt glauques.. Le malaise persiste et je ne sais pas l'expliquer. Je n'ai jamais vraiment eu peur aux Etats-Unis, y compris dans le Bronx où j'ai eu la "chance" de séjourner (y'a moyen de rigoler, je vous dis), mais là, je suis sur mes gardes.

Depuis les attentats de Septembre 2001, l'Amérique a rangé au placard ses airs avenants et ne complexe pas de présenter un visage paranoïaque. Lorsque j'arrive à Atlanta, l'alerte orange a été déclenchée. Il ne s'agit pas de météo, mais du risque terroriste. Ce qui explique les reportages alarmistes des chaînes nationales, et les hélicoptères qui tournoient sans discontinuer au dessus de la ville. Atlanta semble en état de siège. Les sirènes de police hurlent, dehors, et j'éprouve les plus grandes difficultés à m'endormir.

On frappe à ma porte en pleine nuit. Je crois divaguer, en plein jet-lag. Le téléphone. Je regarde l'heure. Mon compagnon? La voix est très grave. Le type est graveleux, prend un air sirupeux, au début, puis m'agresse. Il me demande pourquoi je suis toute seule. A la façon qu'il a de me décrire, il ne fabule pas: il m'a vue et n'est pas loin. J'ai peur.

Je raccroche, j'appelle la réception qui m'affirme qu'elle ne m'a passé personne. Donc, si j'ai reçu un coup de fil, cela provient bien de l'hôtel. Je fais comment, maintenant ? Je raccroche. J'aurais besoin d'un maître yogi, là, pour rester zen. A défaut, je panique. Il rappelle. Nouvelle proposition indécente. Je le menace de prévenir la police, lui raccroche au nez pour décrocher aussitôt le combiné. Je reste ainsi dans le noir, sans oser bouger. Je flippe.

Je ne ferme pas l'oeil de la nuit, évidemment, mais résiste à affoler mon compagnon, resté en France. Au petit matin, je tente de soulager un peu mon esprit traumatisé avec mon chef. Lequel bredouille, pas à l'aise, et finit par me demander si je ne pourrais pas... lui envoyer mon premier papier au plus vite. Et évidemment, hors de question de changer d'hôtel, j'ai déjà réglé et ça coûterait de l'argent à la boîte.

Genre, compréhensif. Et mon corps, rapatrié en France, ça coûterait aussi?

Totalement parano, je retarde le moment de sortir de la chambre. Je n'en peux plus, j'appelle mon compagnon, forcément impuissant, à des milliers de kilomètres de là. Comme prévu, il est mal. Mais cela n'arrange rien.

Finalement, une femme de chambre -sosie de l'intendante de Scarlett O'Hara dans Autant en emporte le vent - vient à mon secours, me fait changer de chambre et m'annonce en levant ses poings grassouillets que si ce type remet ça, il aura affaire à elle. J'ai envie de lui sauter au cou.

Je vous laisse imaginer la quinzaine passée dans le coin... Totalement sous le choc, limite dépressive, je suis allée chaque jour couvrir le All-Star Game, dans le Downtown, craignant, le soir venu, de rejoindre ma sordide sortie d'autoroute et de me jeter dans la gueule du loup -pendant que mes chers confrères français allaient s'empiffrer tranquillement aux frais de la princesse.

Et le rapport avec Michael Jordan, alors?

Eh bien, lui seul a réussi à me redonner le sourire. Bon, il a eu du mal à retrouver la mire, au début du match, mais a réussi le tir victorieux dans les ultimes instants, as usual... Dans la salle, chacun a saisi sa chance d'assister ainsi à la dernière révérence du champion. Et l'a écouté religieusement lorsqu'il a fait ses adieux, aux côtés d'une Maria Carey énamourée, en robe moulante aux couleurs du maillot de Jordan, LE 23 des Bulls.

A 40 ans, Jojo avait toujours la classe. Les reporters blasés ressemblaient à des gosses devant un paquet de bonbons, simplement heureux d'être là, conscients de côtoyer un extraterrestre. A cet instant, j'ai tout oublié, la tension, la peur, ma vulnérabilité. Et lorsque j'ai de nouveau croisé Super Mike en 2006, c'est ce que j'ai eu envie de lui dire.

A suivre...

4 commentaires:

  1. Tu racontes ça de façon tellement vivante qu'on croit y être. C'est fantastique. Dis, Mlle Finger, tu voudrais pas les faire un peu plus longs, tes papiers ?

    Bisettes
    L'oiseau

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  2. Han, ma pauvre Mouette, j'aurais eu aussi sacrément la trouille dis donc...Je te tire mon chapeau, je crois que j'aurais calé, moi.
    En tout cas, ça valait la peine de rester, la chronique est magnifique.

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  3. Faire plus long, l'oiseau - ce que l'on m'a toujours reproché? Mais je t'assure, vous allez décrocher! D'ailleurs, je me suis endormie devant ce post (véridique!) en l'écrivant hier soir, preuve de ses pouvoirs soporifiques!!

    Anne, moi aussi, j'ai calé, je te rassure! Une vraie zombie!

    Merci à vous deux (again)!

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  4. Mais non, la Mouette, simplement preuve que tu étais fatiguée.

    Bisettes
    L'oiseau

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