jeudi 16 juillet 2009

Non, ça ne sent pas le gaz

"Oh mais là, non, ce n'est pas possible, vous avez indiqué 200 euros pour le gaz, c'est trop peu, il faut surévaluer."

"Et puis là, vous avez écrit "non" au lieu de "mon", il faut tout corriger."

" Oh, et puis pareil, vous devriez remonter la note d'honoraires"

Et papati, et patata.

Il était 10 heures du matin et, bien que pacifiste dans l'âme, j'avais des envies de meurtre. Ma future victime trônait, en face de moi, entourant de son stylo la moindre des imperfections, avec un air sadique qui n'y trompe pas. Coupe courte, bouche pincée, regard vide.

Une experte-comptable. De la lignée des carrés. L'une de ces personnalités qui a envie d'entendre ce qu'elle veut, qui vous met le moral dans le caniveau si vous n'y prenez pas garde et qui, ensuite, se demande comment, enfin, c'est possible de se mettre aussi minable.

Greluche.

OK, rien ne sert d'insulter qui que ce soit, inutile de se prendre perpet' pour si peu, Dexter n'est pas disponible actuellement pour me dépanner et l'important n'est pas de savoir ce que l'autre pense, mais ce que l'on en retire. Soit. N'empêche que je suis tombée ce mercredi matin sur une expert-comptable de compet'.

Je l'imaginais déjà me poser les questions qui fâchent. Mais comment allez-vous faire, toute seule, pour tenir la salle et la cuisine? Et pour les ateliers avec les enfants? Et vous vous sentez d'attaque pour le coup de feu du midi? Et ma tête, elle vous revient? Et sinon, vous n'auriez pas quinze tonnes de cannelés à me refiler sous le manteau?

Mais non. Rien de tout ça. Juste: "oh mais quand même, 200 euros pour le gaz, c'est pas assez." Me voilà bien avancée, tiens.

Lors de cette ultime journée à l'AFPA, j'avais appréhendé le passage devant le jury comme un exercice enrichissant pour me faire les dents, avant d'aller présenter mon dossier dans la vraie vie. Au lieu de cela, je suis tombée sur un binôme féminin: jeune employée de banque trop discrète et experte-comptable, plus expérimentée, et surtout dominante. Le projet, ma personnalité, ce que je voulais apporter, elles semblaient s'en soucier autant que de leur premier pilonnage de client. Mais alors, question chiffres, des championnes. J'étais limite à me demander si je n'aurais pas dû coder mon business plan en lignes numériques. Pas facile à lire, a priori, mais pour elles, ç'aurait été du petit lait.

A un moment, j'ai perçu l'esquisse d'un sourire approbateur de l'experte-comptable. Un truc de fou. C'est le moment qu'a choisi sa comparse pour m'achever. "Mais votre chiffre d'affaires est trop petit par rapport à votre emprunt, une banque n'acceptera jamais."

Les doigts dans le nez, que je te fais un chiffre d'affaires à 300.000 euros toute seule comme une grande. En bossant non-stop de 8h à minuit tous les jours, en m'octroyant une pause quotidienne de cinq minutes.

Greluche.

Autant vous dire que mon impression était pour le moins mitigée, en ressortant, une bonne heure et demie plus tard. C'est en voyant Yvonic fulminer, près de deux heures après, que j'ai relativisé. Elles ne savent pas lire. Les lettres, je veux dire.

Yvonic était furax et avant d'entamer son yogging-défouloir, il s'acharnait sur une partie de basket, à l'ordi, les nerfs à vif. Entre temps, j'avais retrouvé de mon calme et c'est très librement que nous avons débriefé avec nos formateurs, un rien décontenancés par le message de ce jury très particulier. Elles avaient du mal à comprendre qu'Yvonic, qui souhaite se lancer dans l'animation de soirées, ne veuille pas travailler le samedi. Tu m'étonnes, il n'a jamais affirmé une telle ineptie! Je n'ai pas échappé au lynchage, puisque cette admirable experte-comptable m'a reproché de trop m'éparpiller, à vouloir faire le marché ET ouvrir un local. J'ai parlé de lancer mon activité en m'installant sur le marché, avant d'ouvrir un resto en dur. Nuance.

Au fond, tout cela n'a que peu d'importance car il semble bien qu'au delà de nos doutes et de nos préoccupations, cette experte es-chiffres n'a pas écouté les volontés des uns et des autres et qu'elle n'a pas trop compris le concept d'un business-plan. Pour elle, l'étude de marché, qui détermine notamment le chiffre d'affaires et les perspectives d'avenir, doit venir après le prévisionnel, et non avant, comme le préconisent toutes les formations de création d'entreprise. Hum. 'Comprend décidément que les petits 1, 2, 3, 4..., celle-là.

Je n'ai aucunement perdu confiance. D'ailleurs, Emmanuelle (c'est son p'tit nom, à la dame amoureuse des chiffres) a affirmé que le marché était une excellente idée, et que je pouvais donc me lancer dans cette aventure. Sur ce, elle a refermé mon bouquin rose chéri, d'un geste de dédain, après l'avoir sali de ces ratures intempestives et a lâché : "ce sera quand même plus rentable que ça. Là, il y a vraiment des choses à revoir." Je vous épargne la petite moue qui va avec.

Un vrai bonheur. Après tout, ça ne fait jamais que trois mois pleins que je potasse dessus. Ce n'est pas comme si je m'étais investie.

...

L'heure des au-revoir avait donc sonné. Après trois mois passés à l'AFPA, nous devons continuer - ou pas, d'ailleurs, pour certains - le parcours du combattant, seuls. Au final, Sophie et son élevage canin - seule entreprise déjà immatriculée - Frédéric et son entreprise de chauffage, Yvonic et sa boule à facettes (je le vois déjà crier "ça m'énerve"...) et moi poursuivons le combat, pendant que Florence et Thierry doivent mettre leur beau projet en veilleuse, ayant à régler des situations complexes. Marie-Charles, elle, a renoncé à se lancer seule, cherchant désormais une autre voie. Josiane a reporté sa formation. Céline a disparu de la circulation, après son échec d'association avec Sandrine. Quatre sur dix susceptibles de se lancer dans les mois à venir, est-ce un échec? Ou un nombre décent?

Je vois déjà l'experte-comptable débouler avec ses gros sabots et dire que, de toute façon, à partir du moment où on sous-évalue le gaz, on n'arrive à rien. Je suis bien contente de l'avoir privé de mon moelleux au chocolat. Y'a des choses qui se méritent. Non mais.

4 commentaires:

  1. 4 sur 10, score décent pour un final. C'est dans la fourchette.
    T'as raison, elle mérite pas un moelleux au chocolat ta pintade, là !
    Par contre si tu cherches une Kalach'pour l'achever ch'peux p't'êt' t'arranger le coup....
    Elle te flingue un moral tellement vite qu'on se demande vraiment s'il sont là pour accompagner les gens-à-projets ou si ilss font du dégraisage ?
    Mais allez, tu t'en tireras ! t'as de la ressource !la preuve, les marchés...
    On reste avec toi !

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  2. Eh, la Mouette, tu ne vas pas nous faire une petite baisse de moral pour ça, hein ? Oui, 4 sur 10, c'est assez normal et dis-toi que tu en fais partie, c'est déjà un énorme chemin parcouru, tu peux être fière de toi. Lâches pas la rampe, tu t'en tireras, Anne a raison. Et si tu as besoin d'un coup de main, tu n'as qu'à demander.

    Bisettes
    L'oiseau

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  3. Faut voir le bon côté des choses... il faut se dire que cette "joyeuse entrevue" fait partie intégrante de la formation afin de simuler les futurs rdv avec les banquiers... parce qu'il faut être honnête, un banquier c'est aussi con que ta copine experte comptable : au-delà de ton idée et du rose parfait de tes macarons, ce qui l'intéresse c'est quel risque il va prendre et combien d'argent il va gagner ! Tu lui dirais que tu veux vendre des pneus, il ne regarderait pas le projet différemment !

    Bref, tu tiens le bon bout, surtout si la remarque majeure c'est que tu as sous-estimé le coût du gaz !

    Alors garde le cap et fonce, le meilleur est à venir !

    Bon courage.

    Bisous du nord !

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  4. Anne: c'est du dégraissage pur et dur, mais aussi une incapacité totale à sortir des moules qu'on leur impose. Manque de créativité, un comble pour un jury de création d'entreprise!!
    J'ai bien noté le coup de main à la kalach'. Après réflexion, je crois qu'elle ne mérite même pas qu'on se donne autant de mal...

    L'oiseau: Rassure-toi, aucune baisse de moral à l'horizon, c'est plombant mais ce n'est ni le premier, ni le dernier coup de massue et depuis tout le temps, je commence à avoir la carapace dure!

    Jérôme: Tu as tout à fait résumé: j'aurais pu vendre des pneus de la même façon, peu importe, elle aurait gardé le même discours! Et c'est justement ce manque de personnalisation qui m'a gênée, car c'est un jury censé t'aider à travailler ton projet, dans le cadre de la formation, pas de gros-gros méchants comme dans la vraie vie! Et finalement, ma conseillère à la banque était plus encourageante... C'est le principal, pas vrai??

    Merci à tous les trois pour votre soutien inestimable!

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