mardi 20 avril 2010

J'ai rencontré Joe Pesci au Promocash ( ou comment un ancien infiltré est devenu pizzaiolo)

Ce matin, à peine arrivée au Café Clochette, je devais repartir. Juste le temps de jeter un oeil dans les placards, véritables cavernes d'Ali Baba recelant de mille trésors, et hop, direction Promocash.

OK, c'est pas super glamour. Mais parfois, on y fait les plus folles rencontres...

Il y a un truc auquel je ne me ferais jamais, dans ces grands magasins, ce sont ces &@#scrogneugneu de chariots lourds,forcément conçus par un homme (pour un homme donc, et pour montrer aux femmes, si besoin était, qu'elles ne sont pas issues du sexe faible pour rien. Bref). C'est un effort sans nom de le pousser correctement et surtout de rester digne dans l'épreuve. De fait, j'attirais rapidement les regards de cuistots mal lunés. Repérée, la débutante. Aucune chance de passer pour une restauratrice aguerrie.

Ce n'est pas ça qui allait m'arrêter. J'étais venue avec ma liste, je repartirai avec tout ce que j'avais noté, qu'importe les regards condescendants. J'en étais à ces réflexions pleines d'intelligence (et d'intérêt tout court, évidemment), le nez dans ma liste, à me geler au rayon crémerie lorsque j'entends un "hum". Ah, un ennemi se racle la gorge. Que me vaut cet honneur?

Je suis en plein milieu de l'allée, avec mon scrogneugneu de chariot et le monsieur veut passer. Je bafouille une excuse de fille qui vient d'atterrir de Mars (j'étais dans la Lune, c'est assez voisin) et le monsieur semble surpris.

"Ah, c'est marrant, vous souriez."

Le type, visiblement, n'a plus vu des canines depuis un moment.

"Non, j'dis ça parce que d'habitude, quand je demande à quelqu'un de se ranger, il me crie dessus en me disant de ne SURTOUT pas sourire."

Ça y est, le flash: c'est le sosie de Joe Pesci. Sa façon d'imiter les méchants s'avère convaincante, j'en frissonne (à moins que ce ne soit la température glaciale de la crémerie. Je comprends mieux pourquoi ils se baladent tous avec de grosses doudounes moches, maintenant. Cela dit, ça ne justifie pas les poches, cousues sur tous les côtés).

Content de son effet, il se lâche: "Ici, les gens sont agressifs. Ils croient quoi, eux? Que je viens ici pour le plaisir? En tout cas, j'aime bien faire les courses parce que j'adore mon métier."

Il dit ça en hurlant, un peu à la De Niro dans Raging Bull. J'ai peur. Je veux m'enfuir, mais il me barre la porte de sortie de la crémerie. Et en plus, j'ai pas fini mon plein.

"Hum, tant mieux, hein. C'est vrai que certains restaurateurs finissent par être blasés". J'ai osé. Je vais m'en manger une, de sa grosse paluche - amputée de deux phalanges, la Famille a pas dû apprécié quelques trahisons de sa part.

Pourtant, il me regarde et là, comme ébloui (je sais, je fais souvent cet effet... aux bêtes sauvages), se rapproche de moi. Je crois qu'il a envie de me serrer dans ses bras.

Je me colle direct contre le rayonnage du lait. C'est froid.

"C'est exactement ça! Plus personne n'a la flamme, ils croient que le client va arriver tout cuit, mais c'est fini, ça!

En fait, c'est ça, il ressemble à Joe Pesci mais parle comme De Niro.

S'ensuit alors une conversation surréaliste entre ce cuistot - 35 ans de métier, d'où l'inévitable-vous-savez-c'est-dur-la-restauration - et moi, jeune égarée dans ce monde définitivement pas fait pour moi, trop masculin, trop intimidant. A moins que sa carrure de déménageur ne m'influence un rien. Étrange homme, qui me raconte ses ennuis judiciaires, son ancien restaurant, sa nouvelle activité - il est pizzaiolo ambulant.

Avant de planter ses yeux bleus dans les miens pour me raconter que son frère est le préféré de sa maman, alors que c'est lui qui était au chevet de son père malade. Ou qu'il n'a jamais levé la main sur ses enfants - enfin, si, une fois, "ma fille avait trois ans, elle ne s'est jamais avisée à recommencer." Il mime le geste. Je ne me serais pas aventurée non plus.

Dans mon esprit, j'alterne entre "c'est un gros beauf" et "il est moins con qu'il en a l'air. Serait même touchant, cet idiot." Je suis décontenancée, j'avoue, par ce drôle de personnage, et pas seulement parce que j'ai l'impression de côtoyer Joe Pesci.

Je le laisse parler, et puis, d'un coup, il me demande ce que je fais là. Ce que je fais là, dans la crémerie, à frôler l'hypothermie? Ou ce que je fais là, à Promocash, et donc dans la vie? Je lui résume la situation, envie de créer un lieu de vie convivial, blablabla, formations et stages, compromis de vente, blablabla et les refus bancaires.

"Vous vous êtes pris une sacrée claque, hein?"

En tout cas, j'aimerais pas en prendre une de toi, monsieur, là.

"Non, parce que ça se voit. Je suis psychologue, vous savez, et lorsque je vous ai vue dans le rayon, j'ai bien compris que vous n'étiez pas à votre place ici. Vous êtes trop intellectuelle."

Alors celle-là, on ne me l'avait jamais faite.

"En fait, si personne ne vous a suivie dans votre projet, c'est qu'ils n'ont pas eu confiance en vous. C'est vous, le problème."

Le pire, c'est qu'il assène cela sans méchanceté aucune. Il poursuit alors sur son expérience, lui le cuistot de métier, ayant tout connu, les hauts dans son établissement, les bas ensuite, et puis la chute, le changement de manoeuvre. Comme un ancien infiltré de ce milieu qu'il semble détester - mais à qui il appartient bel et bien, ne serait-ce que par certains tics ou sa tenue et son langage - il s'est repenti, a connu mille et une misères et, de guerre lasse, a pris un camion et s'est transformé en pizzaiolo.

Il se rapproche de moi, puis s'éloigne et ne cesse pas ce troublant va et vient. A vrai dire, j'ai rarement rencontré une personne aussi directe et cash. Il se met à insulter Sarkozy, les pontes du Conseil Général et autres collectivités, avant de s'en prendre aux banquiers, chuchote puis crie "ENC..." comme s'il avait envie que l'ensemble du magasin l'entende (mais les voies de la crémerie, sans être impénétrables, sont closes).

Il raconte comment, lui, définit ses règles, en mimant une fantaisiste scène avec la DSV. J'imagine déjà les inspecteurs ligotés dans le coffre, en attendant qu'une âme charitable les délivre de leur terrrible sort. Trêve de fumisterie, il revient sur mon projet, me donne des conseils et son numéro de téléphone.

Je suis gelée. Lui repart avec le sourire, après un dernier avertissement sur "la pègre" qui règne dans certaines villes. Je précise que je ne me suis pas fait draguer par le clone de Joe Pesci. Non, je crois qu'il a simplement trouvé la seule personne, dans ce magasin, à ne pas faire la gueule, naïve que je suis.

La prochaine fois que je vais chez Promocash, je mets mon masque. Question de crédibilité.

2 commentaires:

  1. J'espère en tout cas que tu n'as pas pris froid ! Ce serait dommage au moment où tu vas t'éclater à la tête du café Clochette...
    Bises,
    L'oiseau

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  2. Les gens sont formidables. Ce gars là (brave bestiau mal débourré ?), il a (ou avait) le feu sacré, ça se sent !
    "Trop intellectuelle" ? ah ouioui, j'y ai eu droit aussi, à ça. Peut-être que t'aurais dû y aller à la Calamity Jane, démarche chaloupée de cow-girl et quelques jurons biens sentis.....t'as raison, des fois faut se camoufler....

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