Je suis descendue de mon vélo, l'air décontracté. Pourtant, je n'en menais pas large. Le noeud dans mon estomac s'est resserré en le rencontrant. Petite mine, les yeux brillants de fatigue, la nervosité palpable, il m'a écoutée.
Puis, il a esquissé une petite moue.
J'y étais allée un peu la fleur au fusil, comme pour tromper la fatigue qui m'envahissait et dont je n'arrivais pas à me défaire, au fil des heures qui s'égrenaient. Le vendredi matin, j'avais visité un local, avec une dame très, très bavarde qui me racontait être aux abois, travaillant toute seule dans son p'tit restau. A vrai dire, son accent très prononcé m'avait empêché de tout saisir mais j'avais bien compris l'essentiel : si elle pouvait vite fait se débarrasser de l'affaire, elle n'hésiterait pas. Malgré mon a-priori du départ, j'étais finalement plutôt séduite par le lieu, moins par l'emplacement. En sortant de ce rendez-vous, je pensais seulement à me reposer, décidément toujours dans les vapes.
Et puis, je ne sais pas, un sursaut, l'envie, aussi, de suivre mon programme. J'avais dit que je foncerai, alors j'ai changé de top, histoire d'être présentable, enfourché mon vélo et suis partie dans ce restaurant aux assiettes créatives, au joli cadre et aux affaires - je le savais- en déclin.
Lui n'a guère détaillé ma tenue, pour tout dire. Je l'ai senti soucieux. Soucieux et sceptique, donc. Il avait peur, en acceptant ma proposition, que je lui pique ses recettes. Attitude tout à fait logique, à laquelle j'ai préféré répondre par la transparence. Je lui donnerai une liste des mets que je souhaite cuisiner. Et je lui ai décrit un peu vaguement l'idée du salon de thé-ateliers pour les enfants, afin de le rassurer. Pas question pour moi de faire un copier-coller.
Je ne sais pas pourquoi, avant qu'il accepte, je sentais que ça allait le faire. Il n'a pas suffi de beaucoup pour le convaincre. Il m'a regardée, sans sourire et m'a dit:
"- C'est d'accord. Je vous prends pour deux semaines."
"- Yiiiiiiiiipeeeeeeeee! ai-je pensé intérieurement.
"- C'est parfait!" lui répondais-je, l'air satisfait mais pas triomphant.
Il a tenu à me prévenir de tous les obstacles qui allaient se présenter à moi. Comment gérer la cuisine et les règlements, la salle et les ateliers, aller faire ses achats tout en restant au maximum présent dans l'établissement... Il m'a assuré travailler 18 heures par jour. Ses joues creusées et son air las en témoignent, sans qu'il ait à en rajouter. Il m'a évoqué ses propres difficultés, le pragmatisme dont on devait faire preuve face à la crise, aux clients qui finissent par bouder le lieu, les charges et les coûts de revient. Une sorte de révision en condensé de tout ce que j'avais appris ces derniers mots, mais en vrai, cette fois.
Peut-être pensait-il me décourager. Et je sais qu'il ne me fera pas de cadeaux. Pourtant, je lui aurais sauté dans les bras, tellement j'étais heureuse d'obtenir ce ticket pour le monde réel. Une immersion indispensable, qui va renforcer ma crédibilité auprès des banques et me montrer dans quelle galère je me suis mise... L'heure n'est pas aux doutes, pourtant, je suis impatiente. C'est sûr, il n'a pas mangé de clown, mais je le sens consciencieux et intègre.
Rendez-vous a donc été pris pour le 7 septembre prochain. Avec une tenue et des chaussures "qui ne craignent pas", m'a-t-il précisé, évoquant le champ de bataille que j'allais intégrer.
Le 7 septembre. Dans dix jours, donc? Pôle Emploi m'avait prévenue qu'il fallait un peu de temps pour mettre en place une EMT (évaluation en milieu du travail). Un coup d'oeil à ma montre. 15h30. Mon employeur actuel ferme ses portes tôt le vendredi, il me semble (peut-être tous les jours, d'ailleurs, je n'y ai jamais prêté garde), je suis en vélo, et ce n'est pas vraiment le même chemin. Tant pis, je tente le coup, je vais repasser chez moi chercher ma voiture.
Arrivée devant le garage: les quais sont bouchés, impossible d'avancer. Pragmatisme, qu'il a dit, le monsieur. Je décide de poursuivre ma route en vélo, quitte à rouler sur les trottoirs dans cette course contre la montre. Et que vaut un sens interdit lorsque son avenir est en jeu?
J'arrive dans un état assez lamentable à Pôle Emploi, suintante, le coeur battant. C'est ouvert, je suis arrivée à temps. A vrai dire, je n'ai pas souvenir d'avoir pédalé aussi vite de ma vie. Le formulaire en poche, re-belote, retour au restaurant pour que le gérant signe les papiers et appose son cachet... avant de pédaler de nouveau pour aller déposer la précieuse enveloppe dans la boîte de mon cher employeur, que j'ai l'immense avantage de partager avec plus de 3 millions de Français.
Jusqu'au bout, je me suis dit que c'était trop beau, qu'il allait changer d'avis- et après tout, j'aurais compris. Mais non, la chance m'a souri et d'ici dix jours, ce sera donc "cauchemar en cuisine".
J'ai hâte.
samedi 29 août 2009
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Moi aussi.
RépondreSupprimerBonne chance et apprend bien!
Félicitations ! et bonne chance pour ce premier pas vers ta nouvelle carrière.
RépondreSupprimerJe penserais fort à toi ce 7 septembre !
Bises
Super! Bon courage!
RépondreSupprimer"Shit", la Mouette ! je suis vraiment contente pour toi ! c'est super ! Comment tu m'épates, je te racontes même pas !
RépondreSupprimerAllez, ça ira ! Il faut se dire que ça ira !
Ca se cuisine comment, le clown ? A vendredi, j'ai hâte qu'on parle de tout ça !
RépondreSupprimerC'est génial, bravo. Je sais que ça va le faire, que tu vas t'en tirer.
RépondreSupprimerBises
L'oiseau