samedi 6 février 2010

La vie des autres

Dans ma vie d'avant, entre les interviews "chicken or pasta" (des trucs bidons où on demande aux basketteurs de se dévoiler, au travers du fameux questionnaire de Proust) et les sempiternelles questions du genre "alors, ce match", il y a un exercice que j'adorais. Le "moi je", où une personnalité se racontait, telle qu'elle était et pas seulement en expliquant pourquoi elle préférait Halle Berry à Angelina Jolie.

L'idée, c'était d'être un simple relais entre la personne, son histoire et les lecteurs. Écouter, retranscrire, sans chercher à faire des effets de style. Rester fidèle au récit.

J'adorais ça. Nous essayions, dans la mesure du possible, de nous tourner vers des personnes au profil atypique, ou qui avaient connu un bouleversement dans leur vie. Histoire d'avoir un peu de relief, de donner à découvrir une autre facette que le sportif (ou la sportive) que les gens avaient l'habitude de côtoyer.

Il y a eu quelques chocs. Je me souviens notamment d'un joueur, Fred N'Kembe (je peux le citer, son histoire est connue dans le milieu du basket), me racontant comment il avait évité le viol en prison. Le titre me revient encore en mémoire. "J'étais comme une bête". Emprisonné après avoir menacé d'une arme (de défense, pas une vraie comme chez les cow-boys) un automobiliste, le jeune homme a vécu un cauchemar. Interpellé de façon brutale, il s'est retrouvé derrière les barreaux, y passant trois mois - si mes souvenirs sont bons. Encore traumatisé au moment où je suis venue chez lui recueillir ses propos, il s'est lâché, sans chercher à jouer les héros. Je savais ce que je devais faire: l'écouter. Simplement ça.

Je me souviens aussi de Samuel Nadeau, autre basketteur atypique, qui aura connu une carrière tumultueuse, retenu prisonnier dans une maison aux Etats-Unis, privé de passeport, et qui n'aura jamais pu exprimer son potentiel ensuite. Trop cassé. Dans son appartement à Vichy, il avait lui aussi décidé de se livrer, sans fards, et j'avais ressenti, de la même façon, ces frissons envahir mon corps soudain congelé.

A vrai dire, leur histoire était si forte que je me suis interrogée sur une possible mythomanie. Mon rédac' chef m'avait même conseillé de conserver l'enregistrement. Le doute restait prégnant pour N'Kembe. J'ai fini par supprimer les passages trop douteux, parce que je n'avais aucune possibilité de vérifier ses dires. Or, travaillant pour un journal, avec cette volonté de diffuser de l'information, il était hors de question de véhiculer des affabulations. Néanmoins, la confiance était là. Le récit paru était fidèle à ce qu'il avait pu raconter.

Il y a eu d'autres histoires, graves ou plus légères, avec à chaque fois ce bonheur immense, celui d'arriver chez la personne, dans son environnement, de s'installer et d'écouter. Le tête-à-tête avait quelque chose de déroutant, à chaque fois, car l'interviewé prenait conscience qu'il ne pouvait pas faire semblant, qu'il allait devoir dire sa vérité - et non la vérité, nuance de taille. J'ai découvert des personnes épatantes, authentiques. Certaines prenaient même la peine de m'appeler ou d'envoyer un texto, après la publication, pour me dire combien elles avaient été touchées.

Même si cela fait plaisir, je n'en tirais aucune gloire. J'avais bien conscience de ce qui les avait réellement touchées : elles avaient posé un regard sur leur propre parcours, tout simplement et cela les bouleversait. Le fait de lâcher ainsi des choses si personnelles tenait de la thérapie.

Et c'est justement ainsi que Nicole envisage les choses.

Nicole? Je vous parlais de grand écart, l'autre soir... Après la matinée follement excitante à démarcher les restaurateurs, je suis de fait partie à la campagne, pour démarrer un nouveau projet, totalement étranger aux fourneaux.

Nicole veut raconter sa vie et en faire un livre. Lorsqu'elle m'en a parlé, j'étais plutôt enthousiaste, car j'adore l'idée d'être nègre et j'ai bien l'intention d'entamer des démarches dans ce sens. Pourtant, une partie de moi demeurait sceptique. N'a-t-on pas tous la sensation de vivre des choses extraordinaires, parfois, qui, racontées aux autres, deviennent fades et sans saveur? Nicole avait-elle l'impression d'avoir une vie hors du commun ou cette vie-là l'était-elle vraiment?

Après une séance, je sais qu'elle n'a pas eu une vie ordinaire, de fait. La difficulté, c'est maintenant d'aller au delà du factuel et de s'aventurer dans les méandres de son moi, avec la part d'ombre que celui induit. Elle le voit comme une thérapie? A elle, alors, d'accepter de lâcher des biscuits, pour que le fil de son histoire devienne clair comme de l'eau de roche, dans mon esprit. Je n'aurai pas ensuite à juger. Je serai son scribe, voilà tout. Pour l'instant, on a survolé sa drôle d'existence, tandis que je sentais des verrous sauter et d'autres freins ralentir, dans le même temps, le flux de ses paroles.

Il y a un bon signe, en tout cas. J'ai ressenti le froid envahir mon corps, alors qu'elle parlait. Cette congélation express, si elle n'est guère agréable, me permet d'attendre le prochain rendez-vous avec une certaine curiosité...

2 commentaires:

  1. Bon sang, qu'est-ce que j'eusse aimé me faire petite souris dans ta poche !
    Là aussi, tu me donnes faim !

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  2. Anne a raison, tu sais aiguiser notre appétit tant des choses matérielles et gourmandes que des choses intellectuelles. Si Nicole va jusqu'au bout de ce projet et que le livre sort avec une mention du genre "propos recueillis par la Mouette", je le lirai avec un grand plaisir.

    Bises
    L'oiseau

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