Coup de fil, un jour gris d'automne. Mon chef me demande si, à tout hasard, ça ne me dirait pas d'aller à Saint-Jean-de-Luz le week-end prochain, "parce que, tu comprends, Nike veut inviter un des journalistes du magazine et personne n'a envie d'y aller."
C'est sa délicatesse qui définit le mieux le personnage. Mais passons, je serais hors-sujet.
L'idée, c'est de se faire un vol Paris/Biarritz, d'aller jusqu'à Saint-Jean-de-Luz, de dormir dans un hôtel thalasso réputé et de cumuler les sorties, entre 4x4 dans le Pays Basque et cidrerie en Espagne. Et de parler, entre deux séances de spa et un petit tour sur le port, de basket et de ses perspectives.
C'est l'abnégation qui me définit le mieux. Le sens du devoir, que dis-je, du sacrifice. Bon, OK, j'allais me dévouer.
La pauvre vie, je vous jure.
Sur place, on a effectivement discuté de basket, entre deux repas gastronomiques, une virée au hammam et une beuverie dans une vieille auberge, de l'autre côté des Pyrénées. Soyons honnête: cette convivialité, si elle s'est avérée réelle, n'était que manipulation pour tenter d'amadouer le faible journaliste, accueilli dans sa chambre à 200 euros, surpris et comblé par les tenues Nike nonchalamment déposées sur le lit.
Après ce week-end ma foi fort agréable - et tous frais payés, y compris le taxi entre mon domicile et la gare, que ma boîte aurait normalement réglé- autant vous dire que j'aurais dû me taire: mon chef, attentif à mon concert de louanges, se réserva ensuite ces fameux séminaires, se payant régulièrement une petite tranche de sports d'hiver à l'oeil.
Et rapportant une doudoune qu'il continue de porter - je l'ai vue cet hiver encore, lorsqu'il m'a croisée dans la rue en m'ignorant - mais passons, je serais hors-sujet (et un peu rancunière, j'imagine).
Je vous passe les soirées dans les boîtes branchées de Paris, organisées par ce même annonceur, où je me suis sentie comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Mais enfin, j'ai côtoyé du people, je vous le dis. Et le people est de la race des pique-assiettes de compet', l'open bar l'attire comme une journaliste tourne de l'oeil devant un carton presse pour les soldes privées- j'y viens, j'y viens.
La contrepartie, l'équipementier l'attendait forcément. Pas facile de dire du mal, après s'être fait rincer... Je n'ai pas eu trop de cas de conscience dans la mesure où, derrière les paillettes, un homme chargé du marketing se donnait corps et âme pour sa boîte, pour le basket aussi. Les événements organisés et le message véhiculé servaient la cause de Nike, certes, mais n'étaient pas dénués d'intérêt, bien au contraire. Il fallait voir les étoiles dans les yeux de ces centaines de jeunes participants, s'éclatant à la Halle Carpentier, à Paris, fiers comme des paons d'être observés par des scouts américains. Le raconter, c'était l'évidence même pour moi, sans être dupe, une fois encore, de l'opération marketing qui était derrière de telles initiatives.
Hormis ce trip de folaïïï dans le Sud-Ouest - région chère à mon coeur qui plus est - et ces virées nocturnes totalement indécentes et hors de propos avec l'attitude digne d'une journaliste sportif, je peux faire le compte des pots-de-vin. En quinze ans de journalisme, j'ai reçu des pansements, des huiles essentielles, un soutien-gorge pour le sport, des T-shirts tout moches et trop grands, des bouquins de qualité inégale, quelques DVD - toujours sur le sport, pas du Woody Allen ou le dernier des Frères Coen - des jeux-vidéo, sachant que je ne dispose d'aucune console, deux, trois CD bien pourris, des badges et des autocollants Converse, une paire de pompes casse-genoux...
Ah oui, j'allais oublier le plus glamour: une pommade anti-hémorroïdes.
Ouais, je sais, grosse classe.
Au moment de l'affaire Botton, je n'en menais pas large: sûr qu'après PPDA, c'est moi que la Justice allait épingler.
Si j'étais régulièrement chargée de la rubrique Conso ("Personne d'autre ne veut s'y coller" pensait très fort mon chef), je crois bien que pour me faire rincer, je me suis un peu trompé de domaine. J'aurais dû viser la mode, histoire de remplir ma salle de bains de crèmes miracles et mon dressing de robes Isabel Marant. Là, pas d'histoire de cartons pleins à partager entre collègues hystériques. Mes camarades se souciaient peu de récupérer cette crème anti-hémorroïdes dont je ne savais que faire.
Bon, pourquoi je vous parle de tout ça? A cause (grâce ?) d'un édito, publié ce mois-ci dans Glamour, un magazine girly et futile que j'aime bien, j'avoue (Ah, pitié, ne me flagellez pas, j'aime les choses qui ne font pas mal à la tête) et que vous pourrez retrouver ici, sur un blog que j'affectionne particulièrement pour son ton décalé.
Pour résumer, la dame, elle est un peu aigrie et vénère que les blogueuses mode, ces nanas qui n'ont fait ni études dans la fashion, ni dans le journalisme, puissent attirer à ce point les régies pub et détourner les sous des annonceurs, sans aucune légitimité - sinon celle de plaire à un lectorat friand de spontanéité, de fraîcheur et... de gratuité aussi (je reviendrai là-dessus dans un post futur. Demain, sans doute). La réponse des "accusées", ces "blogueuses influentes", n'a pas tardé: chez Violette, donc, mais aussi chez Deedee et, celle-ci particulièrement bien tournée, de "Cachemire et soie."
Le flot des commentaires n'a cessé, depuis ces parutions, et j'ai été assez sciée de l'image que la presse véhiculait chez les lectrices lambda. En gros, un titre de presse féminin qui critique le côté très "marketé" des blogs, c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité. Pas faux, tant l'espace publicitaire domine l'ensemble des magazines - Au moment des "spécial mode", on en est presque à chercher les articles, les vrais, je veux dire. Oui, c'est vrai, les marques "achètent" les rédactrices en les alimentant en produits, les incitant ainsi à évoquer les nouveautés.
En même temps, parler des derniers fards ou de la crème solaire ultime, c'est un peu le fonds de commerce de tous ces magazines. Sans les faire passer pour des PAM (pétasses à mules, comme les a appelées dernièrement, de façon un rien condescendante, Télérama, évoquant les femmes, ces décérébrées, qui aiment les Grazia et autres nouveaux Be), sans les faire passer pour des PAM, disais-je, les rédactrices mode qui sévissent dans Glamour, par exemple, ne courent pas forcément après le Prix Pulitzer (davantage après la dernière paire de Jimmy Choo qui vient de leur passer sous le nez, à cette vente presse, peut-être?). Et ce, même en supposant qu'elles approfondissent certains sujets (le bio est-il vraiment bio? Quels effets le paraben a-t-il réellement sur notre santé? Quel est l'impact, à long terme, de régimes carencés? Voyez le genre...).
Pourquoi, alors, certaines lectrices s'offusquent-elles des méthodes existantes dans la presse féminine où, de fait, pour sortir un canard de 200 pages avec couverture glacée à 2 euros, l'appui financier des annonceurs est indispensable? Paradoxalement, la désertion des espaces publicitaires dans les pages d'un magazine signe la mort, ou peu s'en faut, de ce dernier. A moins d'avoir les reins solides, évidemment, ou un fichier d'abonnés tellement conséquent que la trésorerie reste positive.
Alors, oui, les attachées de presse qui appellent, voix plus mielleuse que jamais, ne le font pas juste pour prendre des nouvelles. Si elles tutoient d'emblée leur interlocuteur, parlent en finissant toutes leurs phrases par "eeeee" ("Bonjoureeeee, c'est Karineeeeee, de l'agenceeeee...") et affichent un sourire coincé en permanence, c'est pour tenter d'établir cette connivence indispensable avec le journaliste qui va servir la soupe. Souvent, parce que les produits proposés sont alléchants, le ou la scribouillard(e) se laisse tenter, dans un élan vénal très humain. On met les valeurs de probité et d'éthique de côté, parce qu'après tout, les avantages en nature, ça n'a jamais tué personne.
Aujourd'hui, la rédactrice en chef de Glamour dénonce ces pratiques chez les blogueuses, sans balayer devant sa porte, largement ouverte sur le publi-rédactionnel. Ces pratiques sont également très courantes dans le secteur automobile, où les journalistes sont invités, tous frais payés, à essayer la dernière merveille d'un constructeur en Australie ou au Brésil. A vrai dire, on pourrait multiplier les exemples. Mais faut-il pour autant discréditer à ce point TOUS les journalistes?
J'ai beau être sortie de ce "sérail", j'ai beau réaliser à quel point mon avenir dans le journalisme me semble aussi hypothétique que la compétence réelle de Christine Boutin à conduire une mission chèrement rémunérée (mais passons, je serais hors-sujet), je ne peux lire ces clichés sans réagir. Cela ne changera pas grand-chose à l'affaire - je ne suis pas une blogueuse influente et hormis pour recevoir un aller-retour gratos à New York (ben quoi?), je n'en ai cure - mais peu importe, je rétablis une vérité: tous les journalistes ne sont pas achetés. Je n'ai jamais été couverte de cadeau.
Et autant vous le dire: je n'ai jamais fait la promotion de la crème anti-hémorroïdes. Oui, vous pouvez admirer ma droiture.
A vrai dire, j'ai fini par jeter le tube: il était périmé.
mercredi 9 juin 2010
De l'art d'être manipulé (avec glamour. Ou pas)
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Le truc qui pose question, c'est : peut-on encore vraiment dire le fond de sa pensée quand on a été bien "rincé" - même de crème anti-hémorroïdes ; sinon, bin quoi, ça a toujours eu lieu, le "sponsoring", non ?
RépondreSupprimerLe deal, c'est "j'arrose - tu me glorifies", ou "j'arrose - tu parles de moi" , et puis, les magazines "de mode" ou "girlies" ne sont pas non plus le lieu d'expression des luttes sociales, il y a d'autres revues et des journalistes d'investigation pour ça....
Quand on est sur un blog libre et anonyme oui! quand on est sur facebook : Non !
RépondreSupprimer@++
Sousou - Réponse d'âne
(Vi, désolé Anne, ma drolitude n'a d'égale que ma nullitude, en matière de jeu de mots...)
Hi han ! :)
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