vendredi 25 juin 2010

Garden party

Vers 16h, le téléphone sonne. Ce n'est ni Toupargel qui me suggère son pack de bacs de douze kilos de glace et ses brochettes de porc, parce que vous comprenez, l'été, c'est vachement sympa, les barbec' - surtout en appart, quand ton foyer compte deux personnes. Ce n'est pas non plus EDF qui m'offre de réaliser des économies d'énergie, moi la propriétaire - je suis locataire, et pis dans un HLM d'abord, ouais madame.

Non, c'est la boîte qui m'emploie. Si je pouvais retranscrire deux nouvelles heure trente de réunion, ça les arrangerait. Pas pour hier, non, mais si je peux caser ça dans mon emploi du temps... Si je peux? Tu penses, banco! (note à moi-même: penser à sacrifier quelques heures de sommeil, ce concept superflu qui t'empêche de consacrer plus d'heures à des missions palpitantes).

Quelques minutes plus tard, nouvelle offre, cette fois pour un boulot totalement différent, qui n'en est qu'au stade du projet. Mais si ça m'intéresse? Tu penses, banco!

Un coup d'oeil sur la montre, ouh la la, je vais être en retard, je dois être à 17h au restau où je travaille de temps en temps, pour un extra. Une grosse réception avec orchestre, jolies tenues et vin à gogo. Enfin, pour les invités s'entend.

Perso, je me contente de boire de l'eau. Et j'ai revêtu le T-shirt aux couleurs du restau, ce qui limite les chances de dévoiler mon potentiel hautement sensuel (ah, ah) et en même temps, on n'est pas là pour ça. On vient servir les gens, n'être plus qu'un sourire permanent et une main souple et habile, qui soulève des carafes et des verres et répète à l'envi la liste des boissons proposées.

Servir le cocktail. J'aime beaucoup ce genre d'exercice. Les gens sont en général détendus, de plus en plus au fil de la soirée, le degré éthylique de leur organisme gonflant proportionnellement au nombre de retours vers le bar. Ce qui est drôle, et finalement assez révélateur, c'est le comportement mâle et femelle.

L'homme se dirige vers vous et d'un sourire, vous fait comprendre qu'il goûterait bien au petit rouge local. Voire au blanc tout aussi sarthois. Peu importe le vin, l'attitude est franche, sans équivoque. Et si le vin est bon, il n'hésite pas à revenir, sans chercher un prétexte à trois sous.

La femme, elle, arrive davantage à pas de velours, s'excuse presque de s'être approchée si près et demande "unpetitblancs'ilvousplait", que si elle était une petite souris, eh ben ça l'arrangerait, comme ça personne la verrait. Il y a aussi celle qui commence par le jus de pomme, parce que, quand même, une femme, ça ne boit pas, et qui, imperceptiblement, revient, redit bonjour et demande cepetitblancs'ilvousplait. Franc du collier d'un côté, un rien sournoise de l'autre, étrange comme une simple attitude peut révéler beaucoup des genres humains. Cliché? Cliché.

Alors, on est là, dans ce ballet incessant de verres qui s'entrechoquent, de plateaux qui circulent et sourires qui se croisent et on se dit que, quand même, le spectacle est permanent.

Il y a la rigide qui sait d'emblée qu'un petit four, somme de sa ration calorique de ses dix dernières semaines, ne peut définitivement pas passer jusqu'au stade de ses lèvres pincées. Lorsque vous avez le malheur de lui présenter l'éventualité de gober cette terrible bombe, elle vous dévisage un peu haineusement, avant de détourner le regard. Du genre, mais pour qui elle me prend, comme si j'allais m'abaisser à ce genre d'infamies? Celle-là, on l'évite, ensuite.

Il y a les incrustes, mélange de vulgarité et de mépris, venues jouer les pique-assiettes sans vergogne, mais trahies par leur look mi-punk, mi-moche, qui demandent, tout en collant leur chewing-gum sous la table du buffet, si ça nous ferait rien de leur donner un verre.

Mais bien sûr, je vous en prie.

Il y a le vieux poète qui vient nous voir au bar, se gargarisant d'avoir défilé le matin même, "pour vos droits, les jeunes". Là, notre immobilisme concernant la grève nous revient et on le ressert avec cette petite honte des nantis, pour qui les gens se battent, sans retour.

Il y a le monsieur physiquement intelligent, qui refuse poliment les toasts et qui disserte calmement, sans penser que des coeurs chavirent au moment même où il porte le verre à ses lèvres. On pense ensuite à Pretty Woman et à ces histoires un peu folles où le canon a repéré, derrière le costume de l'employée (voire de la putain, certes), toute la beauté intérieure de la fille. Et puis, on se souvient qu'on ressemble autant à Julia Roberts que Josiane Balasko à Monica Belluci et on raye l'opportunité aussitôt, histoire d'éviter l'auto-flagellation.

Il y a les collègues d'un soir, drôles et cocasses, qui, jaloux du beau gosse du coin, rêvent de le torturer et de le coller à la potence. Et se resservent des rillettes en attendant.

Il y a le retardataire, tellement à l'ouest qu'il en a oublié d'ôter son casque. Il demande de l'eau, de l'eau, de l'eau. Et puis le chameau se transforme progressivement, retrouve une allure humaine et se finit au petit blanc. Lorsqu'il part, il nous salue d'un "coucou" touchant. Sa "chérie", comme il l'appelle, reste faire la causette. Elle nous explique que chéri d'amour est parti à la maison, parce qu'ils organisent un barbec' ce soir. Et comme elle n'a pas trop envie de s'y coller, elle reprend un verre, pour arriver pompet', prête à engloutir de la viande grillée. Quand on lui propose de venir la rejoindre après le service, elle se dit qu'elle a quand même peut-être un peu trop causé.

Il y a aussi la vorace. Alors elle, elle arrive jusqu'au bar, maudissant les organisateurs de ne pas avoir proposé un buffet. C'est qu'elle a faim, la dame. La première fois, lorsque vous passez avec vos petits fours, naïvement, vous tendez les deux plateaux. Erreur! Fatale erreur! Elle tape dans les deux, et se ressert, des fois que la guerre éclaterait dans la seconde.

Au tour suivant, comme vous l'avez repérée, vous la jouez habilement, en la contournant. Las! C'est méconnaître la voracité de la pique-assiette qui, non seulement vous rattrape, mais chope quatre toasts simultanément, dans un tour de passe-passe virevoltant. Du genre, t'as voulu me priver, eh bien prends ça! Ensuite, devant votre plateau vidé de sa substance salée, vous avez envie de pleurer, parce que les stocks diminuent à vue d'oeil. L'idée vous effleure aussi de lui coller l'assiette vide dans les dents, pour mieux faire passer le tout. Mais ça ferait mauvais genre.

Enfin, il y a les copines, invitées à la petite sauterie et un rien surprises de vous retrouver derrière le bar. Vous êtes contente de les voir mais en même temps, la boss ne vous paie pas pour ça, donc, en grande pro (ah, ah), vous les servez et repartez à l'assaut de la pile de verres qui attendent d'être rangés.

Je crois que je ne me lasserai jamais de ces saynètes, tranches de vie où les travers humains sautent aux yeux, où la chaleur d'un sourire, aussi, prend parfois tout son sens. Où chacun, avec ce mélange de désinvolture et de contrôle de soi-même, se dévoile et finit par s'abandonner, sans même imaginer que des yeux les observent.

Si je me suis amusée? Banco!

5 commentaires:

  1. Quel bel article dont tu nous gratifies là ! J'ai beaucoup ri. Je te souhaite bon courage pour toutes tes activités.
    L'oiseau

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  2. HAHAHAHAHAHAHAHAHAHHAHAHAHAHAHAHA !!!
    Merci de partager ça avec nous, c'est ineffable !
    Y a de beaux moments dans une vie.....:)

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  3. Tiens, j'irais bien faire un tour dans un cocktail, moi... Juste pour les observer.

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  4. Le tout, c'est de rester suffisamment lucide pour ne pas en manquer une miette. Le cocktail à l'eau s'avère la meilleure solution pour ce faire, quoique peu festive ;)

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  5. désopilant ! bravo ! jol

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