vendredi 22 octobre 2010

Une femme libre

Drôle de sensation lorsque vous entrez quelque part en y sentant d'emblée une familiarité, alors même que tout vous y est étranger, que cet univers n'est pas le vôtre et ne le sera probablement jamais.

Sa belle-fille m'accueille chaleureusement et me conduit vers la terrasse où Poney est droite, m'attendant. Il y a chez cette femme un truc complètement fou. Une incroyable modernité que je peux saisir rien qu'à la regarder, dans son regard bleu, presque transparent, curieux et alerte.

Poney a 85 ans. Un esprit chargé de souvenirs, bouillonnant, créatif. Touche à tout, elle a cousu, sculpté, peint, décoré. Elle a aimé, surtout, beaucoup et passionnément, répondant à sa seule impulsivité pour combler les attentes de son coeur. Gênée par une hanche récalcitrante, comme cloisonnée dans ce corps qui l'empêche de n'en faire qu'à sa tête, l'ancienne cavalière émérite s'aide de l'avant-bras de sa belle-fille ou d'une canne, mais n'a besoin de personne pour lui dire ce qu'elle doit faire.

Une âme indépendante, née dans les années 20, une femme qui s'est affranchie de nombre de codes pour vivre sa vie, la brûlant parfois par les deux bouts, avec toujours cette volonté d'ajouter quelques touches de romanesque à sa destinée.

Je la regarde, sur le perron, et j'ai l'impression de voir une petite fille. Elle est coquette, et a apposé du fard sur ses yeux, du rouge sur ses lèvres, du fond de teint sur sa peau. Sa poignée de main est plus que cordiale, presque affective. Son rire est mutin et communicatif. Elle parle lentement, cherchant ses mots, dans un délicieux accent new-yorkais.

Nous rentrons dans le salon. Au mur, des tableaux. Multiples, impressionnants, magnifiques. Chargés d'émotion et de mémoire. Ces oeuvres, Poney les a peintes et exposées.

Elle pourrait vivre dans la nostalgie, ses rêves passés. Mais non. Elle veut continuer de créer.

La souffrance est là, de ne pouvoir s'exprimer pleinement. Elle ne peut plus peindre depuis la disparition de son mari, dont le bureau est également parsemé de ces créations. Depuis quelques années maintenant, elle a choisi l'écriture comme exutoire.

Nous traversons la maison - ou tout du moins les appartements de Poney. Dans sa chambre, un petit cadre posé me laisse entrevoir la jeune Poney. Sans mentir, elle ressemble à Marylin Monroe. Même blondeur, même coiffure, même pose mi-timide mi-canaille. Sous la photo, une signature: Man Ray 1954.

J'ai du mal à cacher ma surprise. Isabelle, sa belle-fille, me confirme qu'il s'agit bien du grand photographe américain. Je ne devrais pas être étonnée, ayant eu vent du parcours de Poney, de ses rencontres avec de grands peintres, cinéastes, artistes d'alors. Mais j'ai du mal à détacher mon regard de ce cliché.

Nous quittons la chambre, rejoignons le jardin où se trouve l'endroit que Poney rejoint chaque jour depuis cinq ans. Un cabanon, presque une petite maison tellement l'endroit est soigneusement arrangé. Dedans, la lumière, le chauffage, des sculptures - toutes de Poney - des livres et, négligemment accroché sur un pan de mur, un nouveau portrait de Poney signé Man Ray, lequel a utilisé sa fameuse technique d'exposition à la lumière sur du papier photo, sans négatif.

Le résultat est saisissant. Poney et Isabelle me regardent, amusées. Le vrai secret du cabanon n'est pas là. Il s'agit du bureau, où Poney travaille de façon acharnée, remplissant des cahiers entiers de son écriture ronde et enjouée.

A suivre...

3 commentaires:

  1. Et donc, et donc, et donc ? Tu vas les l'aider à les préparer pour publication ? En tout cas, c'est génial de rencontrer des gens comme ça. J'aimerais beaucoup faire sa connaissance.

    Bises, la Mouette.
    Thierry

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  2. Et voilà, une rencontre. Et alors, il était donc une fois.......
    Ah, je vais pas rater la suite !!! :)

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  3. " Quelquefois, il y a des sympathies si réelles que, se rencontrant pour la première fois, on semble se retrouver"
    Alfred de Musset.

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