En apparence, nous étions quatre personnes, tranquillement installées en terrasse, à siroter un café, prenant le soleil.
En apparence, donc.
Parce qu'en réalité, nous étions tous fourbus, éreintés, suintants et conscients du miracle accompli. Aucun retour de plat, pas de clients mécontents. Quelques haricots verts tombés par terre, certes (hum, hum), un concombre trop dépiauté, mais globalement, rien qui puisse assombrir l'horizon.
Il était plus de 15 heures et le service s'était achevé plutôt sereinement. J'avais multiplié les chargements de chariot et pour tout dire, j'avais passé plus de temps à presser la douchette que les robots ménagers. Mais c'est aussi cela, la cuisine.
Et nous étions donc là, à savourer quelques minutes de répit avant de repartir à l'assaut de cette satanée vaisselle sale. L'occasion, me semblait-il, d'entamer la conversation avec le chef, afin de découvrir son parcours.
Je n'avais pas pris en compte que le chef, justement, est d'une nature taciturne. Et très, très stressé. Il m'a donc indiqué qu'il était cuistot depuis 32 ans. C'est à peu près tout ce que j'ai pu en tirer. Lorsque je l'ai interrogé sur la provenance de ses si beaux légumes, il s'est renfrogné: en gros, on ne peut compter sur personne, si ce n'est soi-même, et les fournisseurs tentent toujours de refourguer leur vieille came si on a le malheur de demander la livraison.
Voilà au moins une leçon retenue.
Il s'est tu. Son visage sec ne m'avait jamais semblé aussi soucieux. Et là, il a conforté l'impression que j'en avais depuis sa rencontre. Il est tout, sauf un hédoniste. Il voit son métier comme une sorte de fardeau - bien malgré lui, j'imagine.
Il a fait une petite moue. "Il faut être fou pour faire ce métier."
C'est bien cela. Lui qui s'avère si créatif dans ses plats, si consciencieux dans le dressage, est aussi devenu une sorte d'automate, qui a dû renoncer au plaisir pour simplement faire tourner sa boutique. Je le trouve admirable, sincèrement. Il ne triche pas, peaufine le moindre détail, pose le persil plat avec une attention délicate sur la viande, avant de verser la sauce, concentré au plus haut point. Mais le plaisir, il n'a plus le temps de le ressentir.
On a tous entendu l'éternel discours sur la difficulté de la restauration. Je n'en ai jamais douté mais l'expérience que je vis me donne une idée concrète du miracle permanent que constitue un service sans heurts. Cela ne me décourage pas, bien sûr, car je n'ai ni l'ambition, ni la prétention de me transformer en chef. Mais je comprends d'autant mieux les réticences de tous ceux qui ont pu m'écouter, depuis le début de ma reconversion.
Aujourd'hui, j'ai enfin un élément de comparaison. Et plus que jamais, je m'engouffre dans la voie de la cuisine maison. Bien loin des "vrais" restaurants traditionnels, mais plus près chaque jour de mon rêve.
mardi 8 septembre 2009
Le plus fou n'est pas celui que l'on croit
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Oui, c'est vraiment dommage d'avoir laissé le plaisir en route, pauvre homme ! Mais d'avoir su aussi rester ce cuisinier consciencieux qui peaufine et qui ne peut même pas imaginer qu'on puisse bâcler un plat, là chapeau le monsieur !
RépondreSupprimerMais bon, toi c'est un autre genre de formule, non ? ce devrait être un peu différent ?
Je te rejoins... ou te précède, ça dépend si on prend juste en compte la chronologie, ou aussi les affinités en matière de plaisir en cuisine ! tu tiens le bon bout...
RépondreSupprimerOui, Anne, ça va être nettement différent, plutôt cuisine familiale, pas bâclée, hein, juste beaucoup plus simple! Si j'arrive à la hauteur de Café Clochette, je serais heureuse...
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