jeudi 7 janvier 2010

Pas mécontente de la placer, celle-là!

Je sens déjà que le débat vous passionne, au vu du nombre impressionnant de réactions. C'est mou, c'est tout mou, ça! Alors, que les lecteurs qui iront jusqu'au bout de ce post soient salués, je promets de l'imbuvable... Vous jugerez de vous-mêmes.

En pleine recherche, pour écrire ce dossier sur les basketteuses et le sport, j'ai découvert le travail de Claire Carrier, psychiatre et ancienne de l'INSEP. J'ai lu l'un de ses ouvrages et elle m'est apparue comme la personne idoine pour répondre à toutes les interrogations sur les effets du sport sur le corps féminin.

Je l'ai donc sollicitée pour une interview. Autant l'avouer, cela n'a pas été simple de la convaincre. Elle avait déjà été échaudée par un journaliste, auparavant, à qui elle avait accordé beaucoup de temps, et qui avait lapidé ses propos. Je lui ai expliqué que cela serait différent, blablabla... Et un jour, j'ai fini par obtenir cet entretien qui me semblait si fondamental.

L'interview, si elle s'est avérée passionnante, m'a laissé un goût amer. Tout semblait couler comme de l'eau de roche, tant cette spécialiste sait vulgariser l'information. En retranscrivant ses propos, j'ai néanmoins dû élaguer, un peu, car tout cela était fourni, informatif, exaltant, mais l'intégralité aurait pris une bonne vingtaine de pages. C'est donc une interview largement raccourcie que j'ai présentée à mon boss.

Clairement mal à l'aise avec le sujet majeur - l'homosexualité supposée des sportives -, le boss en question a botté en touche. Pas assez vulgarisé à son goût, trop compliqué pour nos lecteurs qui, c'est bien connu, ne pouvaient mettre en route plus de deux neurones simultanément. Ce qui me semblait l'élément-phare du dossier a donc purement et simplement été supprimé...

Lorsque j'ai quitté le magazine, j'ai fait le tri dans mes dossiers, mais j'ai conservé cette interview. Et puisque je suis ici chez moi, eh bien, je la diffuse. Je trouve qu'elle donne un bon éclairage de l'homosexualité dans le sport. Même si, je le concède, elle demande un peu de concentration. Soit.

J'espère juste que Claire Carrier m'a pardonnée, depuis...

Allez, merci aux courageux qui iront au bout.

Claire Carrier
"Ne pas les cataloguer comme homosexuelles"


Psychiatre, auteur de "Le sportif, sa vie, sa mort" (Edition Bayard), Claire Carrier dresse un portrait très noir du haut niveau sportif au féminin. Elle nous en explique les dangers et la façon de s'en prémunir.

Comment expliquer la présence de l'homosexualité au sein de certains sports féminins ?

" D'abord, pour moi, l'homosexualité, ce n'est pas un comportement, c'est une position psychique. C'est être attiré par le même sexe que soi-même. Or, l'attraction, ce n'est pas un comportement ! Le passage à l'acte est autre chose que l'homosexualité, c'est une identité sociale par un comportement. Il y a des gens qui ont des pratiques hétérosexuelles et qui sont très homosexuels. L'adolescence est caractérisée par une période où, garçon comme fille, il y a une perplexité par rapport au développement sexué du corps et lors du premier stade de l'adolescence, on est dans une période de refus de la sexuation physiologique. Dans ce refus intervient une période homosexuelle normale. On préfère être attiré par les personnes du même sexe, on est rassuré. La plupart des filles qui se tournent vers le haut niveau traversent cette période-là alors qu'elles sont dans un contexte où elles sont entourées de filles qui sont non seulement perplexes par rapport à leur corps qui devient femme, mais qui est détourné de son projet féminin par le sport. Et en plus, elles sont grandes. Jusqu'où vont-elles continuer à grandir, quand cette histoire va donc s'arrêter, qu'est-ce que je vais faire et pouvoir faire une fois que j'aurais ma longueur de jambes et de bras définitive ? Mieux vaut retrouver les autres qui sont comme moi, pensent-elles.

Et d'un point de vue physiologique ?

La pratique sportive intensive développe l'appareil musculaire et l'appareil locomoteur, ce qui est une orientation du corps pré-sexuée, qui n'est pas concernée par la différence de sexe. Un cm3 de muscle examiné sous microscope a exactement la même structure chez l'homme et chez la femme. C'est pour cela que je dis que la pratique sportive est un investissement pré-sexué. En tant que tel, cela concerne aussi bien l'homme que la femme. En outre, le développement musculaire, de la puissance et de la force musculaires, est une qualité qui ressort de la virilité. A partir du moment où on développe le muscle et sa puissance, ce qui est le cas dans toutes les disciplines de combat et de ballon, on met l'accent sur la virilisation du corps. Une fois que le corps est virilisé, c'est un atout pour le sexe masculin, et une énigme pour le sexe féminin. Il faut que les femmes restent femmes dans un corps qui a une qualité virile. C'est ça l'enjeu de la sportive. Certaines disciplines ajoutent à cette virilisation, d'autres paramètres qui la renforcent avec des attributs sexués habituels: le rapport à la pilosité - de manière générale, les hommes sont plus poilus que les femmes - et la taille - en général, les hommes sont plus grands que les femmes. Une femme, par sa discipline sportive, voit valoriser deux attributs sexués masculins comme la grande taille et la force physique. De plus, avec le développement musculaire, le corps est inondé d'hormones mâles - d'où une augmentation de la pilosité: même si elles n'étaient pas poilues avant, elles ont un peu de duvet au-dessus des lèvres, parfois les poils du duvet des joues un peu plus développé, elles n'ont pas de barbe, bien sûr, mais elles doivent passer chez l'esthéticienne plus souvent, elles ont la peau plus grasse, des poils pubiens répartis en losange comme les hommes. Ce sont des petits signes d'imprégnation hormonale virile qui sont des signes physiologiques. L'inondation par les hormones du stress et de l'efficacité sportive viennent étouffer l'hormonologie spontanée sexuée. A partir du moment où physiologiquement, le corps dit que cette transformation physique, c'est à dire virile, commence à inhiber la transformation sexuée hormonale naturelle, c'est là qu'il faut dire à tout le monde: attention! Quand cet accaparement de l'hormonologie sexuée par l'hormonologie sportive va jusqu'à arrêter le cycle des règles chez la femme, là, on va trop loin. Mes chers confrères, comme les entraîneurs, trouvent cela génial, estimant qu'il faut leur donner la pilule pour prolonger cet effet. Mais en fait, cela détourne complètement le rapport à la contraception, elles ne savent plus du tout ce que la contraception veut dire, par rapport à la fertilité et les possibilités d'être fécondée. Elles vivent la pilule comme une sorte de dopage. Et c'est une distorsion de l'appréciation de la féminité. Et c'est là que c'est grave. Et dans cette distorsion de cette connaissance du féminin en soi, les sportives ne sont plus des femmes comme avant et évoluent vers une structure d'homme qui leur fait très peur et qu'elles refusent. Qu'ont-elles comme solution affective ? La seule, c'est de se retrouver avec une femme qui vit la même expérience qu'elle et de fonctionner ensemble à un niveau pré-sexué. Donc, on ne peut pas dire qu'elles sont homosexuelles, ce n'est pas vrai, elles sont pré-sexuées! Les jeux érotico-sexuels qu'elles ont ensemble, ce sont exactement les jeux de touche-pipi que les enfants ont avant de découvrir qu'ils sont un petit garçon ou une petite fille. Au moins y a-t-il quelque chose de leur outil féminin qui fonctionne. Il ne faut surtout pas les cataloguer comme homosexuelles parce que sinon, vous leur fixez une identité et du coup, elles vont vraiment le devenir.

Mais les basketteuses sont-elles concernées par l'aménorrhée et tous ces signes virils ?

Elles n'ont peut-être pas d'aménorrhée mais on ne peut pas le voir puisqu'elles sont toutes sous pilule (créant ainsi des règles artificielles). Et en général, elles prennent Diane, qui permet de régler les sécrétions et de freiner la pilosité. Elles sont sous traitement hormonal substitutif. C'est un médicament, la pilule, et c'est pour cela que c'est un équivalent de dopage.

Mais c'est un bouleversement terrible, de subir ces transformations corporelles et d'être taxée en outre dans le même cas d'homosexualité…

C'est beaucoup plus infantile que cela et ce n'est pas immature non plus. C'est adapté aux exigences de la pratique sportive. Une femme grande a énormément de mal à vivre son côté accueillant du féminin parce qu'elle est un peu encombrée par son corps. Elles sont perdues, isolées et ne peuvent avoir de réassurance affective et maternelle qu'en se lovant dans les bras l'une de l'autre. Elles ont besoin de tendresse, que leur corps soit caressé, et pas bousculé, moqué etc. "T'as vu la grande bringue?" "T'as vu celle-là?" On ne peut pas faire un bisou ou caresser la joue de quelqu'un qui vous dépasse comme on le fait dans la vie courante, avec son enfant par exemple.

Les filles ont-elles alors tendance à se refermer sur elles-mêmes ?

Il y a toujours une période de régression et de déni. Et puis, les gens ne sont pas tendres. C'est très dur à vivre mais toujours moins que de se retrouver avec une grande taille dans la nature où tout est problème.

Avez-vous connu également des cas de désordre alimentaire chez les basketteuses ?

Oui, elles font des excès et elles s'en foutent. Elles ne font pas attention à leur séduction par leur ligne, elles sont attentives à l'efficacité de leur ligne musculaire. Leur corps est un instrument et ce n'est pas forcément un objet de désir. Elles-mêmes ne se désirent pas. Elles n'ont pas le dorloter, à le décorer et le cocooner comme les autres femmes peuvent le faire. Elles ont peur de leur séduction entre femmes. Parce qu'il y a des femmes qui ont vraiment la structure homosexuelle, c'est à dire qu'elles sont attirées par les autres femmes. Et il suffit qu'il y en ait une autre qui soit un peu plus féminine pour qu'elles soient la proie des autres, les Atalantes (des Don Juan au féminin). Les stratégies des femelles homosexuelles, quand elles sont attirées par une autre femelle, sont très dangereuses. L'appartenance à un groupe de femme ne se fait pas comme ça. Plus les exigences de rentabilité, de cohésion, du groupe sont importantes, plus les moments de vie ensemble sont denses, intenses et répétés, plus le risque d'interpénétration homosexuée devient évident.

Comment permettre à ces basketteuses qui arrivent au haut niveau d'être préparées à tous les bouleversements qui les attendent ?

Il faut que leur entourage les reconnaisse femme et qu'elle puisse avoir un petit copain en dehors de la pratique sportive. Il faut aussi que les autres acceptent qu'elle ait un petit copain, car il y a parfois une pression épouvantable entre les filles. (…) Pour les filles qui veulent faire du basket à haut niveau, c'est très risqué sur le plan du féminin. Il faut que la fille, mais aussi les parents, le copain, soient avisés et si c'est la passion de la jeune fille, pourquoi pas, mais il ne faut surtout pas l'abandonner dans ce milieu-là. "

10 commentaires:

  1. C'est passionnant et effectivement parfaitement vulgarisé ! Bravo. Ton patron n'avait rien compris. Et bravo à toi d'avoir insisté pour réaliser cette interview.

    Bises
    L'oiseau

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  2. Alors CA, c'est de l'interview ! très très intérressant ! Claire Carrier analyse - et retransmet - très bien - ce qui se passe à l'intérieur de ces jeunes filles, et comment leur mode de vie, bouleversé en pleine période de construction psychologique de l'être sexué "femme", influe sur leur existence et leur devenir. Instrumentalisées à ce point, ces "petites" (malgré leur taille, on a tort de croire qu'elles sont "grandes") se trouvent souvent immergées dans une sorte de bulle qui je pense, freine leur développement psychique de construction de soi en tant qu'être sexué. On leur complique la vie pour en tirer des performances, et je dis qu'alors on les exploite, si on ne se donne pas la peine de penser AUSSI les femmes qu'elles vont devenir - on ne pense que la "sportive", et je trouve que c'est du gâchis ! Un bon coach devrait aussi avoir connaissance de ça.
    Tu fais bien, la Mouette, de donner ici cette magistrale interview qui nous en dit long sur ce qui leur est infligé.

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  3. l'interview le laisse bien transparaitre : le sport peut construire une déviance psychique et physiologique de la femme. attention, surveillons nos petites filles !

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  4. heu, Yann....tu crois qu'une homosexuelle, ou même une fille qui a "une expérience" dans ce domaine, est une "déviante" ?.........hum.....

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  5. Anne, oui si l'on admet que le comportement par nature est hétérosexuel ms je ne suis pas sectaire en la matière; dans notre monde aux multiples facettes, le mot employé est effectivement un peu fort mais je voulais plutôt dire qu'il construit un comportement construit et influencé par les valeurs intégrées du groupe social référent, c'est en ce sens qu'il est déviant

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  6. ah ! le "par nature" me dérange ; "par nature", la plupart des humains sont droitiers ; or, il existe des gauchers ; dirais-tu qu'ils sont "déviants" ? on l'a d'ailleurs pensé pendant longtemps, au point de leur attacher la main pour les forcer à "devenir" droitiers ! or, TOUS LES AUTRES ANIMAUX sont en majorité gauchers ! (quand ils sont latéralisés) ; l'humain est le seul à être en majorité droitier....Rien ne prouve qu'on n'aie pas considéré comme "naturel" ce qui était REPANDU, en oubliant de considérer que MEME CE QUI EST RARE est aussi naturel ! prenons un territoire donné, une population vivant dessus. Le territoire peut fournir, de manière naturelle, des ressources pour nourrir sa population ; d'ac ? bien, si tout le monde peut se reproduire à foison, dont est hétérosexué, quand va-t-on voir arriver l'épuisement des ressources ? Il n'est pas stupide de penser que l'adaptation a empêché que 100% des êtres sexués puissent se reproduire, y compris en orientant certains individus vers leur propre sexe, afin de préserver un quota de population n'exédent pas la possibilité des ressources naturelles : décès précoces,stérilité et orientation monosexuée pourraient jouer ce rôle d'amortisseur...Ce n'est pas parce qu'un comportement est rare qu'il n'est pas naturel, je dirais. Sinon, quid des gauchers (rares) et de bien d'autres ?
    Autre chose aussi, concernant l'adolescence : je pense que bien des filles (qqui le taisent) ont des questionnement et des expériences de ce type au cours de leur dévelopement, et seules celles qui sont vraiment lesbiennes le resteront, pour la plupart c'est seulement une réassurance, une recherche de soi "en miroir", on séduit sa pareille avant de pouvoir aller vers l'homme - si c'est une étape du développement psychique de formation de l'être, alors ça n'a rien d'anti-naturel......me suis-je bien expliquée ? on ne peut pas définir, je crois, l'homosexualité comme "contre-nature", en se basant seulement sur la rareté de son expression dans les personnalités.....

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  7. Eh bien, moi qui me plaignais de la mollesse des débats, je suis servie!

    Anne, je t'approuve sur l'idée que l'homosexualité n'est pas contre-nature ; elle représente simplement une préférence sexuelle longtemps condamnée, encore contrariée (hélas) qui est "hors-normes", dans le sens où les "normes" considèrent le statut d'hétérosexuel comme l'exemple le plus courant.

    C'est ce que, je pense, estimait également Yann qui - si c'est bien le Yann auquel je pense- connaît bien l'univers du basket féminin. Et s'avère une personne ouverte et tolérante.

    Ceci étant dit, merci pour votre participation active sur cet espace!

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  8. Oui, Yann s'explique mieux dans sa dernière phrase, il est plus elliptque que moi mais j'ai fini par percevoir ce qu'il voulait dire !

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  9. interview instructive et ...effrayante !la sexualité est pour moi en effet une donnée privée et chacun vit comme il l'entend ! mais dans ce sport de haut niveau ,il y a , par la prescription de la pilule à toutes les joueuses , manipulation et donc danger . Danger pour la santé et danger pour le psychisme .C'est consternant ! Pour moi c'est le même problème que le dopage des cycistes et autres sportis de haut niveau .N'y a-t-il donc que la tricherie pour pouvoir obtenir des performances qui ne devraient être que dépassement de soi ... et non pas dépassement de la rémunération ...
    ta copine Jol

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  10. J'avais également rencontré un médecin de l'INSEP, pour ce papier, et on avait évoqué cette tentation du dopage, qui touche les athlètes, très jeunes. C'est là que j'avais pris conscience des enjeux réels et multiples, dépassant le simple cadre de l'activité sportive. A quel point, surtout, les jeunes pousses avaient intérêt à avoir la tête sur les épaules ou au moins un entourage solide pour parvenir à se hisser au haut niveau sans trop s'abîmer. C'est cruel, le sport de haut niveau. Beau mais pas anodin...

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