jeudi 12 novembre 2009

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Quelle pulsion nous pousse ainsi à regarder l'inconcevable? Quelle curiosité malsaine nous donne ainsi l'idée de nous approcher, de chercher à voir je ne sais quoi, en sachant pertinemment qu'on va le regretter dans la seconde?

L'envie de voir la mort en face ? Imaginer à quoi la Faucheuse peut bien ressembler?

Oh, je n'ai pas d'envies morbides. Simplement, un événement a rendu cette journée un peu bizarre et plombante. A vrai dire, l'image me hante et j'ai du mal à la chasser de mon esprit.

Nous devions nous retrouver, avec deux amies, chez l'une d'entre elles. A l'un des carrefours qui fait la jonction entre la ville, la place du marché et la vieille cité, des voitures de police partout et plus une voiture sur la voie habituellement surchargée. Étrange.

Je croise l'une de mes amies au pied du bâtiment, elle me dit: "y'a une jeune fille qui vient de se jeter du tunnel." Ce tunnel qui surplombe cette fameuse voie. C'est son boss qui lui a appris, lui qui a entendu un cri.

Nous rentrons chez l'amie. Dont l'appartement donne sur ce tunnel. Le bon sens aurait voulu que l'on garde la fenêtre fermée. Mais non. Nous avons jeté un oeil. Les ambulanciers s'agitaient autour du corps inerte, tentant de ranimer la malheureuse.

Nous avons entendu les portes claquer, puis les sirènes. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Je n'ose l'imaginer et pourtant, je n'ai cessé d'y penser. Je n'ai rien vu, au fond. Pas de sang, pas de visage. Mais, au delà de l'image funeste, c'est l'idée même de cette personne se jetant dans le vide, mue par le désespoir, qui ne m'a pas lâchée.

Quelle pulsion peut ainsi nous pousser à accomplir l'inconcevable? L'impression que tout cela ne vaut pas le coup ? Que notre vie n'a plus de sens ? Que, englué dans une situation infernale, il n'y a d'autre issue que celle-ci, fatale? Et que cette dernière mettra un point final à toutes les angoisses, où le dernier souffle s'apparentera à un râle de soulagement ?

Je ne vais pas jouer à l'éternelle optimiste et j'ai connu - il y a longtemps - des moments dans ma (parfois - chienne de) vie où tout semble si sombre, vain et sans espoir que l'on ne peut envisager une solution. Je sais aussi que le temps, la patience et l'obstination permettent de surpasser - à un degré tout relatif à chaque personne - ce qui nous paraît, à un moment M, insurmontable.

Je ne connaissais pas (a priori) cette personne, j'ignore les raisons qui l'ont poussée à commettre pareil acte et je me garderai bien de tout jugement. J'imagine seulement la souffrance qui a dû l'envahir, avant de commettre l'irréparable.

La solitude extrême qu'elle a dû ressentir, avant de gravir ces escaliers et passer les jambes au dessus du parapet.

EDIT: La jeune fille de 15 ans a survécu à sa chute et ses jours ne seraient pas en danger, malgré plusieurs fractures et un traumatisme crânien, si j'en crois la presse locale du jour.

6 commentaires:

  1. Je sais ce que c'est. Cette pulsion qui peut nous envahir parfois, nous prendre au corps ; l'envie " d'en finir" ; ça te prend aux tripes et ça ne te lâche plus, ça devient ta seule pensée possible, c'est comme une vague noire qui te recouvre. Je sais ; à plusieurs reprises dans ma vie je m'en suis approchée ; comme tu peux le constater, puisqu'à cette heure indue d'insomnie j'écris ces mots, je me suis ratée ; et ce pire que je voulais fuir a passé, et j'y ai survécu.
    Il suffit de très peu de choses pour déclencher le passage à l'acte, il suffit de très peu aussi pour te rattrapper au vol.
    Souffrance et solitude, oui. C'est exactement cela. Elle cherchait à fuir l'insupportable, et n'a rien eu après quoi se raccrocher. Au bout du compte, c'est l'insupportable qui l'a rattrappée....
    Je comprends que ça t'aie secouée. On ne peut s'empêcher de vivre en pensée ces derniers instants, n'est-ce pas ? de la "voir" agir, avec ce frémissement de....d'horreur fascinée ? d'irréparable angoissant ? et on se retrouve catapulté face à l'idée de sa propre mort, la conscience aiguë de sa propre finitude...
    Le fait d'y avoir "assisté",de vous être trouvées là au moment de l'épilogue, est encore plus perturbant - on se sentirait presque coupable d'être encore là, quand tandiss qu'on riait et vivaitt, une immense détresse inconnue poussait une jeune vie à s'interrompre....
    C'est ainsi, la Mouette. Nous côtoyons tous de plus ou moins près quelques "faits divers", tôt ou tard, dans notre vie. Qui nous questionnent, cette fois d'un peu plus près, et à quoi nous ne savons répondre, nous qui avons à vivre. Nous qui avons des projets. Car j'ai remarqué ceci : c'est dans ces moments où nous n'avons plus de projets que nos existences sont susceptibles de vaciller - de tendre au néant.
    Garde en mémoire qu'il existe d'insurmontables détresses, mais ne t'y arrête pas. Tu n'y peux rien, et tu as à vivre, toi. Tu a appris au moins l'essentiel : c'est que "ça" passe, ces moments pourris. Le soleil rebrille demain. Des fois, ça tarde, d'accord. Mais tant que ce n'est pas la fin, il y a à vivre. C'est peut-être cela, agissant souterrainement, qui m'a fait "me rater" dans mes désespoirs les plus fous...Qui m'a laissée pantelante à gémir, mais en vie...on peut remonter de très bas, ne l'oublie jamais.
    Il arrive aussi que ceux qui se donnent la mort n'aient voulu que fuir une situation insupporyablement douloureuse, et n'aient souhaité que de "tuer" plus ou moins symboliquement leur ancien "moi", mais dans ce caas ils usent d'autres moyens, je pense. Un suicide réussi, c'est souvent un appel au secours qui a raté...
    Quel secours espérait-elle donc, celle-ci, qu'elle n'a pas reçu ? La question restera sans réponse.
    L'effet que ça vous a fait s'atténuera. La vie va t'entraîner vers l'avant, tant mieux. Simplement, il faut savoir que ça existe, que ça peut nous prendre aussi, cette idée là, un jour, mais qu'il existe en nous des forces vives - et qui agissent.
    Je t'embrasse, la Mouette, va de l'avant ! ce n'était qu'un petit rappel de la fragilité du vivre, parfois.
    Le meilleur antidote, c'est de construire.

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  2. Ce qui pousse à "ça", c'est une immense lassitude, la sensation qu'aucune fuite n'est plus possible, que toutes les issues sont murées, que devant soi n'existe plus que solitude. On cherche une main qui ne se tend jamais, on est isolé seul au milieu des autres , chassé de la communauté parce que incapable de la comprendre, de la rejoindre; parce que l'amitié et l'amour offerts ne sont pas reçus.
    Ce qui retient bien souvent, c'est la lâcheté, la crainte de souffrir, de rendre pire les choses en se ratant. Il faut un énorme courage pour franchir le parapet! Parce que là... on est certain d'y arriver.
    Mais quand on a trente cinq ans et des projets, une famille, un amour... on n'est pas au bout du chemin.
    N'y penses plus
    PP

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  3. Ne plus y penser ? La belle affaire ! Je suppose, la Mouette, que tu vas tout faire pour et ta vie trépidente va t'y aider. Mais effacer cette image est impossible, elle reste toujours tapie dans un coin de la mémoire. Je le sais, j'en ai une similaire qui ne me quitte jamais, même si elle sait se faire oublier.
    Oui, ta vie va t'aider car elle est pleine et heureuse.

    Bises
    L'oiseau

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  4. @ Anne: Merci, Anne, pour ton long message, qui pourrait allègrement remplacer mon post, tant il analyse en profondeur les raisons funestes qui ont pu pousser cette jeune femme à commettre l'irréparable ; tant il raconte justement les pulsions qui nous traversent tous un jour - à plus ou moins grande échelle; tant il décrit si bien les sentiments qu'elle a pu vivre et les réflexions que cela a pu engendrer chez moi, cette culpabilité, ce retour à la vie après ce drôle d'intermède. Tu as raison, sur cette volonté de tuer l'ancien moi. Je crois que nous trouvons tous un moyen de l'exorciser, lorsque nous parvenons à prendre le temps, le recul. N'en sommes-nous pas les preuves vivantes?

    @ Almana : Cela me fait penser à une discussion que j'ai eue, un jour, avec un psychiatre, qui estimait au contraire, que ce n'était pas du courage, de se jeter ainsi d'un parapet, mais une grande lâcheté, celle de fuir une vie que l'on ne supporte plus, à un moment M. Je comprends ce que tu veux dire, puisque l'acte même de franchir la barrière nous apparaît courageux, on doit affronter sa peur pour en finir. Mais j'ai fini par l'approuver, il me semble que c'est un manque de courage, celui de surmonter ses angoisses, ses peurs, ses soucis, qui pousse à un tel acte. Mais avant tout, c'est un acte de désespoir et c'est pour cela que personne ne peut juger.

    @ L'oiseau: Life goes on, right?

    Bizz à tous

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  5. 15 ans... ça fait froid dans le dos de penser qu'à cet âge, on peut avoir une bonne raison pour passer à l'acte...
    Je pense avoir eu des moments dans ma vie, surtout enfant, où le besoin de m'enfoncer la tête dans un trou était plus forte que de la sortir au grand air... mais je suis trop trouillarde pour passer à l'acte. J'ai peur de la souffrance, de la mort...
    Je suis contente que cette jeune filla ait raté son coup...
    Bisous petite Mouette... bonne chance pour la semaine qui t'attend...

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  6. Oui, c'est terrible, je me souviens de beaucoup d'insouciance, lorsque j'avais 15 ans, et je pense à cette jeune fille qui doit vivre de terribles moments actuellement...
    Merci de passer là, Véro!

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