mercredi 13 janvier 2010

Histoire d'échelle

Il s'appelait Joseph et regardait distraitement dans le rétro - tenant par je ne sais quel miracle au pare-brise, sans plier sous le poids des multiples grigris accrochés.

Il s'appelait Paul et lui était plus attentif, âme solitaire mais ouverte, prêt à me faire visiter Big Apple.

Jean-Philippe était mélancolique, Henri s'était résigné et avait fait sa vie ici, à New York, parce que sa famille restée au pays avait besoin de ses émoluments. Toussaint soupirait mais gardait le sourire, poussant plus fort le son de la radio créole. Jean tapotait sa poche, d'un air complice, montrant les bons côtés de la vie américaine.

New York est plein de ces taxi drivers haïtiens, en transit forcé, au départ, qui finissent par rester, vivre et mourir dans cette ville tellement éloignée de leurs racines.

Il fallait les écouter parler de leur village, de leur misère quotidienne, de leur espoir, aussi, qu'un jour, les choses changent, que leurs enfants puissent découvrir leurs origines et eux, retourner sur leur île. Qu'ils n'aient plus à s'exiler pour simplement survivre.

J'ai repensé à tous ces visages un jour, alors que loulou avait dans sa classe un ressortissant d'Haïti, qui accrochait les mots et qui, par sa violence et sa suractivité, énervait instit, parents et élèves. Il a fini par s'habituer à cette nouvelle vie, loin de chez lui, en France. Il a apprivoisé la langue française, s'est assagi, et la douceur de ses traits a peu à peu atténué la dureté initiale de son visage.

L'été dernier, avec loulou, on a croisé ces mêmes traits, en République Dominicaine, où les Haïtiens viennent chercher refuge. Là-bas, ils sont vus comme des pestiférés et le racisme entre les deux peuples voisins n'est pas qu'une vue de l'esprit. Haïti est l'un des pays les plus pauvres du monde et tous les moyens sont bons pour fuir la misère.

J'ai hésité à allumer la télé, ce soir, car loulou se souvenait que son copain, cet enfant si attachant, était né là-bas. Plus de 100.000 morts après le séisme, il ne réalise pas vraiment. Mais il sait que la maman biologique de son camarade était, elle, sur place. Moi, j'ai pensé aux familles de Joseph, Paul, Jean-Philippe, Henri... Tous ces déracinés qui, peut-être, ont continué aujourd'hui de prendre des clients à Manhattant, plus mélancoliques que jamais, les mains sur le volant, mais le coeur plus que jamais ailleurs.

On n'y peut rien. Demain, on parlera d'autre chose, bien sûr. Mais, je sais pas, d'un coup, je me trouvais moyennement décente d'évoquer mes petits états d'âme d'occidentale gâtée.

Une histoire d'échelle, j'imagine.

4 commentaires:

  1. Malheureusement, Loulou en entendra parler d'une manière ou d'une autre et s'il en prend trop conscience, il aura bien besoin de toi.
    Bises
    L'oiseau

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  2. Une histoire d'échelle sans doute, et peut-être aussi ressentir à ton tour ce que ton loulou a ressenti sur ce trottoir il y a 3 jours ? qu'on est pas éternels et que des broutilles ou des catastrophes majeures nous couperons de tout ce que nous aimons et qu'on ne peut que se taire devant ça ?

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  3. Notre vulnérabilité, notre passage-éclair sur cette terre, oui, c'est vrai, ça nous revient en pleine face à chacun de ces événements, petits ou majeurs, qu'ils touchent un pays, comme c'est le cas en Haïti ou aujourd'hui, ou notre vie quotidienne, avec un p'tit loulou qui s'interrogeait sur la vie, la mort et ses conséquences...

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