Drôle de journée. Ce midi, j'étais partie déjeuner avec une amie, vite fait pendant la courte pause généreusement octroyée par la CCI. On voulait un lieu où manger rapidement et bien, hop hop hop, nous voilà chez l'un de mes potentiels concurrents (ah ah ah, ça y est, je m'y crois totalement). Je ne suis pas fan d'un des deux associés mais bon, nous voilà parties. On s'installe, le bonhomme en question me regarde un peu de travers mais je n'y prête pas spécialement attention, plutôt concentrée sur notre conversation. Et puis, au moment de quitter les lieux, il me toise de son air le plus condescendant - il ne peut pas trop me prendre de haut, c'est un nabot- et crache son venin:
"- Alors, ça avance bien, votre projet?"
Moi : ".........."
Lui: "Surtout, si vous avez besoin de conseils, n'hésitez pas!
Ai-je besoin de préciser son ton sarcastiquissime? (oui, quoi, j'ai envie)
Moi : "- Je ne comprends pas... Comment savez-vous ?" (Inutile de nier, en plus je ne suis coupable de rien, a priori)
Lui: "- Pff, au Mans, tout se sait"
Moi: " - Oui, enfin, quand même"
Lui : "Vous faites une grave erreur, oui, une grave erreur!"
Là, j'ai l'impression d'assister à une tragédie de Racine, nous sommes en plein mélo et il s'insurge. L'agression est en règle, je suis abasourdie. Déjà que l'expert-comptable nous explique la gestion dans un mélange de chinois-serbo-croate depuis ce matin, qu'est-ce qu'ils ont tous à utiliser des langues que je ne connais pas?
Lui : "Nous sommes déjà quinze au Mans, qu'avez-vous besoin d'aller monter un salon de thé, hein?"
S'il pouvait m'étriper, il le ferait.
Lui (c'est un peu un monologue, pour tout dire, j'ai du mal à en placer une tellement il est enragé) : "J'en ai assez, tous les concurrents sont venus nous voir, j'en peux plus de ce cirque."
Mon amie et moi en restons bouche bée. Mais quelle idée aussi d'aller déjeuner chez un psychopathe pareil? Hein? J'oubliais que, tel James Bond (ou Mata-Hari, je suis pas sectaire, je vous l'ai déjà dit), je suis venue espionner son lieu ce midi et que j'ai placé en douce des micros et même tenté de coucher avec le cuisinier pour l'amadouer. Suis-je bête.
On lui explique. Calmement. Que le midi, nous, ben on a faim. Que l'on voulait juste apaiser la guerre qu'il y avait dans nos estomacs. Que l'on n'a jamais songé susciter (et affronter...) un tel courroux, que l'on n'a d'ailleurs jamais imaginé pareil scénario. Soudain, le soufflé retombe, il se montre confus.
"- Ah, euh, bah, euh, au temps pour moi alors, enfin. Vous savez quoi ?"
Je sais quoi? Qu'il a inventé le concept du salon de thé, que personne n'avait le droit d'ouvrir un tel commerce dans la même ville, parce que c'était son idée, au départ, de servir du thé aux femmes - des êtres qu'il semble détester par dessus tout, ironie du sort ? Qu'il mord? Qu'il n'est pas serein et qu'il voit d'autant plus d'un mauvais oeil la concurrence que ses affaires sont couci-couça ? Ce dernier point, je l'ignorais, mais son agressivité me laisse supposer que tout ne doit pas tourner rond pour qu'il s'inquiète de l'arrivée d'un nouvel établissement...
Pour le reste, il sait. Que le salon de thé, donc, ça ne marche pas ici, que les animations pour les enfants, bah pas plus, que de toute façon, les gens ne viennent que pour déjeuner ("Ouvrez donc plutôt un restaurant, alors!" ose-t-il) et que l'après-midi, depuis un an et demi, avec son associé, "ils se tournent les pouces."
Dois-je à mon tour l'attaquer parce qu'il vient de rajouter à ses services l'apéro dînatoire, une suggestion qu'il a pu voir sur mon questionnaire, que j'ai osé - rendez-vous compte - déposer à l'école de mon fils (et qu'il a donc intercepté) ? Un truc auquel, bien sûr, personne n'avait jamais songé ?
Dois-je lui dire que si les clients ne reviennent pas forcément dans son restaurant, au cadre pourtant très, très agréable et ses plats plutôt bons, c'est parce qu'il est d'une amabilité à faire passer, en comparaison, un agent du fisc pour le plus doux des agneaux, et que sa condescendance n'a d'égale que sa connerie?
Non. Je l'ai laissé sortir tout son fiel. J'ai décidé de prendre ça d'où ça venait. J'avoue que je ne sais pas vraiment comment il m'a identifiée, mais peu importe. Il me considère comme une ennemie, comme s'il n'y avait pas de place pour tous. Finalement, il m'a donné une bonne leçon de tout ce qu'il faut éviter. Je ne prétends pas être la meilleure, je n'en ai aucune légitimité, mais j'ose croire que je peux exister. Il n'arrêtait plus de répéter "Au temps pour moi". C'est ça, enfonce-toi. Je suis repartie la boule au ventre, parce que ce n'est jamais agréable de se faire agresser. Je me suis dit que les temps devaient être bien durs pour que ce "pionnier" des salons de thé s'inquiète de mon éventuelle présence sur le marché, alors qu'il ne me connaît pas.
Je suis retournée au stage. L'expert-comptable avait visiblement ajouté le hongrois à son langage initial. J'avais envie de me défouler. Un regard vers le dormeur et le malaise s'est estompé. Lui qui avait ouvert son compteur ce matin (contraint et forcé, il a lâché deux mots, avant de refermer les yeux) piquait de nouveau du nez et s'est pris la tête entre les mains, pour dormir, comme si de rien n'était. Je ne pourrai jamais faire comme si de rien n'était. Je dois bien me rendre à l'évidence : l'histoire de l'homme qui est un loup pour l'homme, j'en ai eu une parfaite illustration aujourd'hui. Mais le petit chaperon rouge, très peu pour moi.
jeudi 28 mai 2009
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Tu as bien raison, il ne faut pas te laisser faire. Surtout pas maintenant que tu es dans une bonne dynamique.
RépondreSupprimerL'oiseau
Et bien, il y a de l'ambiance au Mans !!!
RépondreSupprimerJe pense que tu as raison, l'affaire de cet homme ne doit pas si bien fonctionner que ça pour se sentir menacer par un nouvel établissement !!!!!!
Au moins, il t'a donné des éléments pour ton étude de marché !!! Histoire de le faire exploser complètement, tu aurais du lui demander de remplir ton questionnaire !! :-D
Bon courage pour la suite ! (et pense à ajouter à ton business plan les coûts de la Mafia des Salons de Thé qui gère le Mans !)
Bises
Les coûts de la mafia? Damned, tu as raison, ça va plomber ma trésorerie, ça! Jérôme, tu crois que je peux déduire ces frais de mes impôts?...
RépondreSupprimerbizz!
He ben, sympa le gars!!!
RépondreSupprimerTu as eu raison de ne pas te laisser abbattre!
a ta place, ce genre de truc m'aurait même donné la gnac (ou niac ??? On a rarement l'occasion d'utiliser ce mot!)!! (Mais je suis tordue)
Par contre, le coup qu'il t'ai piqué l'idée de l'apéro dinatoire, j'en aurais gros sur la patate...
Courage! Et bonne chance
(Le Serbo hongrois croate m'a beaucoup fait rire!)
Quel abruti ce type!!!... je comprends que tu sois repartie de cette pause déjeuner un peu fracassée...
RépondreSupprimerC'est pas évident... tu te donnes tant de mal.
Mais garde la pêche et ton incroyable énergie, hein??? Tout est dans la personnalité, tu as raison. Personne n'aime aller quelque part où l'ambiance est nulle... ce type n'est pas fait pour ce boulot...
Il fut un temps, quand mes filles étaient petites, je disais à mon homme qu'il manquait un endroit pour faire des festivités, genre mariage, communion, baptême... où on puisse choisir son thème (genre menus bien de chez nous ou asiatique, italien, mexicain)... la déco suivrait, selon le thème choisi... y aurait une pièce rien que pour les mômes avec de quoi dessiner, des banquettes de repos, des jouets... y aurait un DJ rattaché au resto... qui irait voir les gens avant la fiesta pour voir leur type de musique, et tout... bref j'ai déliré pas mal là-dessus. Mon homme lui voulait inventer la boulangerie drive!!! mais ça existe, ça y est...
Faut vraiment avoir des tripes pour se lancer. Moi j'aime délirer dans ma tête mais je ne passe jamais à l'acte.
Bravo Steph. Tu oses. C'est génial.
Gros bisous... et bon week-end!
Coucou les filles, alors la mite, je crois que tu as raison, c'est la gnac, mais enfin, parfois, le français, ça resseble à un mix chinois-serbo-croate-hongrois! Véro, je vois que tu délires comme moi, décidément, que de points communs!! En tout cas, je n'ai pas dit mon dernier mot et c'est vrai que ça démultiplie mon énergie et mon envie d'aller au bout... Excellent week-end à toutes et à tous! Enfin, je reviens tout à l'heure, deux-trois trucs à raconter sur cette dernière journée de stage... bizz!
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