jeudi 26 novembre 2009

On ne prête qu'aux riches

La redescente, disais-je...

Ah oui, les images de la semaine passée sont déjà loin. Miniloup qui épluche des carottes ou qui découvre, avec de grands yeux tout mutins, Speedy Gonzales... Les matous que l'on craint de réveiller, en plein service, alors qu'ils sont tranquillement installés sur le manteau -noir- d'une cliente allergique. Le calme et la chaleur de la cafelière. L'énergie et la douceur de Christine. Toutes ces familles qui se posent et qui prennent juste le temps de respirer. Ces bouilles de mômes à la démarche non assurée, qui vacillent et se rattrapent comme ils peuvent. Et puis, ce soudain silence en fin de service.

Cette certitude que l'on a trouvé la réponse à nos questions, que les doutes s'envolent et qu'il fait jour, quelque part sur cette terre.

Tout ça, envolé, en moins de deux.

Mardi, c'était une nouvelle journée des non. A force, je devrais être habituée mais l'éternelle optimiste que je suis ne peut s'y résoudre. Non, a dit la dame de Mariage Frères, maison de thés avec laquelle je souhaitais travailler. Déjà des clients en ville, pas la peine de rêver, vous n'êtes pas de taille, qu'elle ajoutait en substance.

L'autre refus, je le connaissais puisqu'il provenait de la dame de la banque. J'avais demandé une explication - et d'ailleurs, elle me l'avait proposé sur son message - pourquoi se priver, hein? Mais quand même, tant de mauvaise foi, je ne m'y habituerai jamais.

"Nous avons refusé le financement de votre projet du fait de l'emplacement (c'est vrai, c'est dans le centre ville, beaucoup trop évident, j'imagine...) mais surtout, surtout (notez l'insistance) du fait de votre parcours."

Ah, mon parcours. Pas facile pour une ancienne taularde de se réinsérer dans la vie active, pas vrai?

Ah non, c'est vrai, je n'ai commis aucun délit, sinon de choisir une première voie visiblement incompatible avec celle de la restauration.

Suis-je bête.

Je lui répète mes arguments, lui rappelant que je ne me lance pas dans un restaurant gastronomique, mais dans une cuisine familiale, simple et chaleureuse. Que les établissements en France ne sont pas tous tenus par des Charlotte + 12. Qu'un cuistot, aussi bon soit-il, n'est pas plus assuré de gérer au mieux un restaurant, juste parce qu'il maîtrise la technique culinaire. Que, que, que...

Je respire. Je sens que je vais m'énerver. Elle, elle a ce petit rire gêné, insupportable.

"Oui, mais je ne veux pas avoir à ouvrir un contentieux plus tard. C'est trop risqué." Avant d'ajouter la phrase qui va finir par me donner des envies de meurtre:

"Car vous n'êtes pas issue de la profession."

Peu importe les premières expériences en cuisine. Peu importe les associés, les apports personnels, le travail en amont, l'envie, la demande de financement pas si conséquente. C'est N.O.N.

Je devrais me taire, d'autant que je n'ai ni l'envie, ni l'espoir de la convaincre. Mais c'est plus fort que moi. Je lui demande donc:

"En gros, ça veut dire que si je reviens vous voir dans quelques mois avec un CAP cuisine, ce sera différent?"

Elle va rire, balayer l'idée d'un revers et raccrocher. Mais non.

"Ah oui, tout à fait, je pourrais soumettre cela au comité et ça changerait tout."

Effectivement, ça changerait tout. Je n'aurai plus le local à disposition - un détail, j'en ai tout un tas à 300.000 euros le pas de porte qui n'attendent que moi - presque plus de droits ASSEDIC, l'incapacité de vivre dessus pour démarrer.

Mais je pourrais rajouter une jolie ligne à mon CV: une chouette toque de CAPISTE cuisine.

Bon là, je me suis un peu emportée. Bien sûr que je peux toujours apprendre. Bien sûr que je peux continuer à enchaîner les formations. Mais enfin, à quoi bon, maintenant que le temps est compté? Que j'ai tout à portée de main?

Je vois beaucoup d'hypocrisie dans ces discours, beaucoup de frilosité, de peurs, aussi, celles que nous - inconscients créateurs d'entreprise - faisons naître chez ces sachants. J'ai l'impression de me répéter, mais la réalité est là. En France, seul le diplôme valide un savoir. Pas le travail et la volonté que l'on peut déployer.

Je ne veux pas passer pour une victime. Je crois que je ne suis malheureusement pas la seule dans ce cas, à buter au pied du mur. Pour avoir une longue conversation avec une personne de l'AFPA, directement concernée par la création d'entreprise, j'ai conscience que le malaise est général et qu'il va aller en empirant.

On ne prête qu'aux riches.

Penser que je vais m'arrêter là serait mal me connaître. Les images de la semaine passée ne sont pas envolées, finalement. Elles me donnent au contraire l'envie et l'énergie d'y croire.

D'ailleurs, certains petits miracles se produisent même lorsque l'on s'y attend le moins...

A suivre...

6 commentaires:

  1. C'est pas parcequ'on est mené de 15 points à la mi-temps qu'on perd un match! Tu es bien placée pour savoir qu'en basket, les retours sont parfois rapides, même si l'adversaire à le ballon plus que toi et l'arbitre avec lui. Et puis tu n'en es même peut-être qu'au 1er QT!
    Je dis que sur le buzzer tu vas les emplatrer d'un superbe tir à 3-points!
    Bises et courage!

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  2. Oh oh ? " certains petits miracles" ?? alléchant !
    J'ai eu le même problème avec mes biquettes, ce pourquoi j'ai fait flop. Les installations non-aidées, en agriculture (je me suis lancée avec rien, pas de prêts pas d'aides, dans une quasi ruine...), c'est destiné à capoter ; c'est ça, la politique agricole française. Mais toi tu y arriveras, je le sais. Ton parcours a beau être "atypique", ça finira par payer, tout ça !
    Au moins, maintenant, on comprends mieux le développement économique français, et le taux de chômage....

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  3. oui, mais ... si une fille issue d'ailleurs, métier manuel par exemple, voulait fonder un magazine... crois-tu qu'elle trouverait les fonds???

    Non, non, en France, tu es sur des rails... restes-y..
    A moins d'un miracle bien entendu... miracle que j'attend encore...
    Go Go Go...
    PP

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  4. Coucou Stéphanie: qu'est-ce que tu écris bien!J'aimerai avoir ton aisance littéraire et celle de Pascale aussi! Moi ce matin j'ai appelé 3 entreprises auxquelles j'avais envoyées ma candidature et franchement j'avais de l'espoir... Et puis finalement mon profil est soit pas assez technique, trop commercial, trop marketing, pas exactement la bonne expérience: tout apreil que ta chère banquière! Dégoutée je suis...Transfert de compétences?? Vain mot pour les recruteurs! Heureusement moi je n'ai pas le couteeau sous la gorge financièrement et je peux me permettre quand même d'aller grignoter au café clochette!! Allez, haut les coeurs... T'as essayé les thés Damman ou Theodor? Moi j'aime beaucoup et peut-être qu'ils seront moins tatillons que le trés chic Mariage Frères! Plein de bises pluvieuses...
    Inès

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  5. Si j'étais toi, je lui dirais 2 choses à la banquière :
    1. Que tu cuisines aussi bien que tu écris (et là, tu lui poses un gros, gros tas d'articles que tu as rédigés sur son bureau et tu lui connectes son ordinateur sur ton blog !!!)
    2. Tu lui expliques que le jour (pas si lointain que cela) où tu feras fortune dans la restauration, ce n'est certainement pas dans son établissement que tu déposeras tes deniers !!!
    L'expérience me fait dire que ce sont bien souvent les arroseurs qui finissent arrosés ! En effet, je viens juste de lire dans mon quotidien régional l'histoire d'une brave dame qui n'a connu que des galères jusqu'ici et qui vient de gagner un très, très, très gros jackpot. Et à la 1ère question du journaliste qui fut de lui demander la 1ère chose qu'elle allait faire, elle a répondu : "clôturer mon compte bancaire dans l'établisssement qui m'a refusé un prélèvement de 14€ la semaine dernière et qui m'a infligé 40€ de frais. Je vais donc placer mon pactole dans une autre banque !!!".
    Je pense que cette anecdote est synonyme du monde dans lequel nous vivons et elle doit te permettre de garder espoir et de te dire que la roue finit toujours par tourner dans le bon sens !
    Bon courage pour la suite
    Steph, l'amoureuse des chats ... et de basket !

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  6. @ Dom: ah, les retours miraculeux! C'est pour cela que j'aime tant ce sport, quand tout semble perdu, l'impossible survient parfois... C'est pour cela que je continue de m'accrocher!

    @ Anne: ce qui t'arrive me chagrine, mais je sais aussi que tu peux transférer tes compétences - ce dont parle Inès - dans l'écriture, n'est-ce pas? Si, si!

    @ Pomme Papion: Du moment que les choses sont bien anticipées, préparées, pourquoi pas? Qui a dit qu'un manuel ne pouvait pas s'accomplir et réussir dans un travail dit intellectuel? Et j'ose croire que la réciproque existe, n'en déplaise aux sachants... Pour le reste, je n'ai pas encore opté pour l'exil!

    @ Inès: Bienvenue ici, Inès! Courage, je te souhaite de trouver quelque chose à la hauteur de tes envies et prétentions!! J'imagine l'état du recrutement en France, actuellement, et les méthodes et discours des DRH... Forza! Et sinon, pour le thé, je réfléchis à plusieurs options, kusmi tea, palais des thés, theodor... il y a du choix. Si seulement cela pouvait être mon seul questionnement, ah!

    @ Steph: les exemples de ce genre existent et cela a un aspect à la fois réjouissant - pour l'issue - et désespérant tant les "sachants" répètent les mêmes erreurs. Je suis sûre d'une chose: je ne pourrais décemment pas ouvrir mes portes à ces personnes qui m'ont refusé un financement au prétexte que je ne suis pas issue de la profession: enfin, ce serait leur faire injure, moi qui suis une non-professionnelle!

    Merci à tous!

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