mardi 13 octobre 2009

Le designer du miam miam et la dame aux sourcils froncés

Une asperge virevoltant sur une nage de chèvre? Un gaspacho de betteraves-gingembre côtoyant un verre tordu de lait-huile-sucre ? C'est cela, le design culinaire et la question du soir, c'était de savoir si ce nouvel art éveille nos sens. Loin de moi l'idée de vous présenter mes futurs plats, j'avoue que le dressage n'est pas mon premier atout - même s'il va bien falloir assurer le minimum, hum.

Non, des amis m'avaient offert une invitation pour une conférence sur le design culinaire et c'est ainsi que j'ai dû choisir entre m'asseoir dans un amphi ou les tribunes d'une salle de basket. Tout un symbole entre l'ancienne et la nouvelle vie ? Je n'en sais rien, mais enfin, ma curiosité a fait pencher la balance vers mes aspirations du moment.

En arrivant, premier choc. J'avais oublié de répondre de façon écrite à l'invitation et je n'étais donc pas sur la liste des invités. Je parviens, la bouche en coeur, devant la table de réception improvisée. Et là, je tombe nez à nez sur l'une de mes interlocutrices les plus perplexes, avec qui j'avais conversé le matin même au téléphone! Bon, on discute quelques minutes, avant que je parte, prendre place dans cet amphi tout en bois et béton ciré, antre de l'école supérieure des Géomètres, s'il vous plaît.

Moi qui n'ai jamais fréquenté la fac, ça m'a fait tout drôle. Mais enfin, mon voisin était plutôt sympathique, le siège confortable, alors je suis restée.

C'est Marc Brétillot qui a lancé les débats. Comment, vous ne connaissez pas cet enseignant de l'art et du design? Euh, moi non plus. Je voulais vous mettre son site en lien, mais mon ordi s'est mis à hurler qu'un cheval de Troie arrivait au galop, donc j'ai renoncé à la connexion et je vous conseille juste de lire cette chronique à la place.

Bref. Cet esthète nous a proposé un condensé de son travail et j'avoue qu'il m'a bluffée. En même temps, pour un type qui aime le beau, il aurait pu choisir autre chose qu'un pull camionneur vert et le polo rouge pour aller en dessous - mais tout ceci est très subjectif, je vous l'accorde.

Le monsieur, il fait des nuages dans des verres, il suspend du parmesan au plafond et s'amuse à faire des millefeuilles en chocolat verticaux, c'est drôlement chouette. Tel un architecte de la pasta ou du fruit de mer, il dresse aussi des tables mortuaires avec des aubergines un peu brûlées et des spaghetti noires étalées de tout leur long autour. Y'a des moules dessus. Mais cuites, les moules, hein, c'est important de le préciser.

Allez, je le concède : ça m'a semblé un peu bizarre. C'est conceptuel, j'imagine. J'ai un peu de mal avec l'art contemporain. Et d'autant plus lorsque l'auteur explique que le goût du cramé, c'est vachement intéressant, esthétiquement parlant. Surtout le pain carbonisé, a-t-il précisé.

J'étais assez loin de lui mais je crois pouvoir affirmer qu'il n'avait pris aucune drogue. Même pas un pet'. Non, le gars, il parlait normalement et je le trouvais plutôt brillant. Un peu barré, mais brillant.

Il était spirituel, aussi. Nature, surtout. A une personne l'interrogeant sur les dégâts supposés que la cuisine moléculaire pouvait engendrer sur nos petits organismes, il a simplement observé qu'on ne goûtait pas tous les jours à ce type de concept et qu'il fallait seulement envisager cela comme un événement. "Et tant pis si on a la chiasse en rentrant!"

Pas classe, certes. Spontané et inattendu, plutôt.

Après, les deux autres intervenants ont vendu leur soupe, et c'était un peu plus pénible. D'ailleurs, Marc Brétillot n'adhérait pas, lui. Surtout quand le chef de marketing d'une grande chaîne de cafétérias (j'ai souvent vomi dedans, à chaque départ de vacances, pour tout dire. Et pas parce que j'étais contente) a évoqué les grands concepts de sa chaîne, avec un joli décor, des serveuses souriantes, de bonnes chaises et plein de trucs avec des "ing" et des "flow" à la fin. Avec un "fast-good" - en référence au fast-food - cerise sur le gâteau d'un discours bien rôdé.

Marc, il l'a cassé, quand le marketeur en chef (ben quoi?), il a parlé de "naturalité". Comme quoi, tout ça c'était pipeau. Intérieurement, j'applaudissais.

La naturalité, c'est donc le retour à la nature. Oui, oui. Avec ses sandwiches emballés dans du plastique et son CA à 280 millions d'euros annuels, le monsieur en costard-cravate veut nous faire croire que sa boîte, elle a la green attitude.

Y'en a qui doutent de rien.

Enfin, presque. Parce que le Marc, là, plus il en rajoutait une couche, plus le marketeur, il baissait la tête, avec la sensation (légitime) de n'avoir rien à faire là. Entre les deux, il y avait le "globe-foodeur", un type qui a inventé une agence d'innovation culinaire, oui, rien que ça. Bon, je vais pas trop cracher sur lui, ses macarons à la rose étaient plutôt réussis.

Ah oui, parce que, comme à chaque fin de conférence, un cocktail nous attendait. Mon voisin semblait vouloir entamer la conversation mais là, mon regard a été arrêté par la vision d'une chemise pourpre, bariolée: le cuistot courageux!! Il était là, à se sacrifier, vérifiant que ses services traiteur étaient bien supérieurs à ceux proposés (et ils le sont, je confirme). Un peu pris en flagrant délit de pique-assiette, il s'est montré convivial.

Chic, j'allais pouvoir poser mon verre d'eau, pris timidement, et aller trinquer à la santé de tous les amoureux culinaires, naturalistes, designers, globe-foodeurs ou simples apprentis!

C'est là qu'intervient la chargée de mission perplexe. Qui connaît bien le cuistot, son asso d'entrepreneurs continuant de le parrainer. S'engage une conversation sur les dangers de monter son restau, les angoisses du chef, plus cerné que jamais, les façons de s'en sortir dans le marasme... Enfin, le refrain classique, hein, je ne vous fais pas un dessin. La dame, fronçant avec application ses sourcils, en profite pour me souligner la difficulté de la tâche, "parce qu'avec des gens comme vous, il faut bien expliquer le contexte. Que vous compreniez ce qui vous attend."

J'aime bien cette réflexion. "Des gens comme vous". Un vrai bonheur.

Sans me départir de mon sourire de faux-derche, je lui rappelle alors que ma réflexion m'a poussé à me poser déjà quelques questions, depuis le temps, que je ne suis certes pas "de la partie", mais que je me suis familiarisée avec des aspects qui m'étaient étrangers il y a encore peu, que j'engage avant tout ma responsabilité et pas la sienne, finalement. Bref, que je ne débarque pas dans le pays de Oui-Oui.

Là, ses yeux pétillent, elle regarde le cuistot, tourne son visage amusé vers moi et me dit: "ah oui, hein, quand j'ai lu votre premier projet, je me suis dit que c'était un conte de fées!"

Ah, ah.

N'ayant aucune accointance avec la Belle au bois Dormant ou Cendrillon (encore que, je serai amenée à faire le ménage), je ne m'étais pas projetée dans le monde merveilleux de Walt Disney. Je l'ai un peu mouchée, reprenant la méthode tout juste testée de Marc Brétillot - une petite réflexion de biais, balancée tranquillement - et je l'ai laissée penser ce qu'elle avait bien envie de penser.

Je peux comprendre ce discours alarmiste à la première rencontre. Je peux aussi accepter le fait qu'elle me donne le numéro d'un type qui s'est planté récemment (!), lui qui avait monté un salon de thé sur Le Mans. Mais bon, il arrive un moment où on a juste envie de prouver. Tout en restant enthousiaste, quoi qu'en pensent les oiseaux de mauvais augure.

Je suis d'accord avec Marc. La naturalité, je connais pas. Non, moi, j'ai juste envie de rester nature. Je ne vais pas commencer à dire amen à tous les perplexes, oh!

6 commentaires:

  1. Excellent ! Décidément, avant de nous régaler de tes petits plats, tu fais déjà saliver nos neurones.
    Permets moi de te contredire, ma chère Mouette : tu ressembles bien à une de ces princesses de chez Walt Disney. Tu es peut être simplement mal placée pour t'en rendre compte alors regardes dans les yeux des gens qui t'aiment. Alors oui, restes nature.

    Bises
    L'oiseau

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  2. Quelle aventure cette sortie dans le "grand monde" culinaire !!!
    C'est vrai que la cuisine contemporaine est souvent un peu "space"... du destructuré au moléculaire, on en voit de toutes les couleurs !!!! C'est vrai que c'est souvent beau... mais est-ce que c'est bon ???? Notre bonne vieille cuisine franchouillarde n'est surement pas la plus belle à l'oeil, mais dans l'estomac... hum !
    Pour ce qui est de tes détracteurs habituels... malgré les tentatives de démoralisation, les coups bas et autres coups tordus, tu es plus que jamais debout et dans les starting blocks... il faudrait donc qu'ils ouvrent les yeux et qu'ils se rendent compte que tu n'es pas la première venue (non mais ! on a du caractère dans la famille, et quand on a une idée en tête... !!!).
    Bises

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  3. Oui, alors moi, hein, tu vois, les types qui se consolent derrière des assiettes d'être des artistes "ratés", en se grossissant l'ego à pleins tubes, ça me laisse de marbre. Je vais au restaurant pour me restaurer et manger ce que j'aime, pas pour me payer des expériences sensorielles déjà faites à la maternelle. Je préfères cette bonne vieille cuisine "mangeable" à tous ces délires de "gourous de la table".
    Je trouverais piquant que tu réussisses, et qu'ainsi tu cloues le bec à cette meute de rabat-joie dont on se demande si leur but c'est de t'aider dans ton effort, ou de te casser pour que tu laisses tomber ? Mais à quoi jouent-ils donc, ceux-là ? Ils touchent un dessous-de-table de pôle emploi ou quoi ?
    Courage, garde la gniaque ! Y a pas de raison que tu n'y arrives pas !

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  4. @ l'oiseau, attends, je vais chercher ma chaussure de vair!

    @ Jérôme: La question a été posée, hier, par mon voisin, d'ailleurs: le beau est-il bon? Une autre personne lui a aussi demandé si on pouvait manger de telles oeuvres et l'artiste en question a tiqué, genre sacrilège en vue... Sinon, question caractère, nos origines bretonnes nous servent, parfois, n'est-ce pas?...

    @ Anne: les mecs qui intellectualisent autant des concepts reposant sur de l'air, je t'assure que personnellement, ça m'épate! Tous ces gens qui se prennent tellement au sérieux, ça me scie...
    Je ne connais pas les intentions de tous ces oiseaux-là, bien moins bienveillants que celui que nous connaissons (!) je crois que là aussi, c'est une question d'égo, de rester sérieux en toute circonstance, sans humour, sans fantaisie. J'y décèle, peut-être, une petite pointe de jalousie pour n'avoir pas osé. Pourquoi je réussirais et pas eux, alors qu'ils savent, EUX? Détendez votre string, tous!

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  5. très bon ce post j'avais pas lu... C'est la soirée que j'ai ratée? l'invit d'isa?

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  6. Oui, Sandy, c'était bien la soirée d'invit, la prochaine fois, je te traîne avec moi!!

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