mercredi 16 décembre 2009

Ce monde parallèle

Son air toujours absorbé ne peut masquer sa lassitude. Taciturne, il soupire sans même s'en cacher. Je ne le connais pas mais j'avoue, il ne m'inspire aucune sympathie. J'imagine que la routine du quotidien a fini par tuer ses rêves, son enthousiasme, sa gaieté.

Hier, je l'ai croisé, à son bureau. Il avait l'air plus maussade que jamais. Je suis amie avec sa collègue de travail et c'est auprès d'elle qu'il s'est plaint. Le soir, à l'issue de sa longue journée, il allait devoir s'astreindre à du phoning.

"Pff, on n'a même pas le droit d'avoir une vie privée", qu'il a grogné.

Mon amie a haussé les épaules, résignée, elle qui ne voit pas plus le jour.

"C'est bien", a-t-il repris, "on gagne de l'argent mais on n'a pas le temps de le dépenser."

Aussi absurde que cela puisse paraître, je me suis surprise à l'envier. En proie aux doutes et un rien déstabilisée de me lever chaque matin sans le but qui m'animait jusque-là, j'aimerais retrouver une place dans ce tourbillon de la vie active. C'est sans doute pour cela que je l'ai trouvé limite indécent de se lamenter sur son propre sort.

J'ai conscience que chaque situation est unique, qu'il est parfois difficile de prendre du recul et que la nature humaine est ainsi faite que nous sommes perpétuellement insatisfaits. Je peux entendre ses complaintes. Sans doute lui aussi rêverait-il de tout plaquer, sans doute sa fatigue est-elle légitime, sans doute avait-il imaginé une autre vie.

Pourtant, je côtoie aujourd'hui tellement de personnes confrontées au chômage ou à des situations précaires que j'ai juste envie de lui ouvrir les yeux. Même si je sais que le monde du travail est impitoyable et qu'il ne rend pas forcément heureux.

Même si je sais que c'est facile de juger.

Même si je ne peux ignorer que j'étais, voilà plus d'un an, dans la même situation.

D'ailleurs, aujourd'hui encore, si c'était à refaire, je ne changerais rien au scénario.

Simplement, je ne réalisais pas à quel point on rejoint vite le monde parallèle, celui où l'on n'a plus d'existence professionnelle.

Et à quel point, surtout, il est difficile de le quitter.

4 commentaires:

  1. Ouaip... Il y a tellement de portes qui s'ouvrent dans le sens de la sortie et si peu dans le sens inverse. Et elles s'ouvrent si difficilement.

    Bises
    L'oiseau

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  2. Faut s'accrocher.
    Et des fois, chercher les portes "parallèles" (i.e. non-officielles) pour rejoindre la vie des "actifs"....
    Y a toujours plus ou moins moyen - et je le comprends, ce monsieur, de rechigner sur le "phoning". Il y a une vie après le travail...ou en tout cas ce devrait être ! On ne bosse pas juste pour bosser, mais pour se donner les moyens de vivre, "réellement vivre", quand on est au-dehors ! Parce que "réellement vivre" en bossant...ça c'est juste pour une minorité de gens, même si beaucoup en rêveraient !

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  3. Je me suis mal expliquée, Mouette. Je ne dis pas qu'il te faut ouvrir un salon de thé; je dis qu'il faut présenter un projet dans lequel ton "inexpérience" est gommée.
    J'ai un copain, par exemple, qui s'est fait bouquiniste et spécialiste en bières (à boire pas croquemort, hein!) ... petit à petit, il a ouvert certains soirs avec bouffe d'accompagnement et ça a fini par marcher. C'était à La LOUPE en bordure du Perche, c'est te dire l'endroit fréquenté!
    Tant qu'il a animé son truc ça a fonctionné; ensuite il a vendu pour faire autre chose (indécrottable nomade) les suivants n'ont pas su; ils ont fait un vrai bistrot, y'avait plus de bouquins à acheter, emprunter, lire sur place... Plus besoin d'aller si loin pour boire une bière...
    Je n'ai pas un mari riche... J'ai quitté le monde du travail pour écrire et ça n'a pas toujours été drôle de perdre mon indépendance financière et... les copains de boulot.
    Solitude et manque de fric, écrits que personne ne veut lire... je ne regrette rien.
    Allez, avance, ça va décoincer, forcément.
    PP

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  4. Pomme, j'avais compris ton cheminement et l'exemple de ton ami est assez séduisant, je dois dire, de tels endroits 'alternatifs' existent et c'est ce que je voulais créer. Le problème, c'est que les financiers ont besoin de savoir comment est généré le chiffre d'affaires, c'est pour cette raison que je te parlais de la faible rentabilité d'un endroit où je vendrais trois thés et quatre gâteaux, j'exagère mais tu vois de quoi je parle...

    C'est pour cela que je n'ai pu mentir, mon CA provenait en majorité de la restauration et vu les charges, j'avais besoin de produire une douzaine de couverts quotidiens pour tenir. Cela ne me paraissait pas dément. Mais il paraît qu'il faut avoir un CAP cuisine pour ce faire, alors...

    Je suis un peu amère, et je suis désolée si tu as pris l'allusion au mari riche comme une attaque. Ce n'est pas toi que je visais, bien sûr, c'est simplement le discours que certaines banques m'ont tenu, arguant qu'avec un salaire sûr dans le foyer, c'est plus facile que madame fasse mumuse avec son petit commerce... L'idée n'est pas de juger, mais je constate simplement le modèle économique que l'on prôme, faibles risques, pas d'affaires trop peu ambitieuses en terme chiffrés...

    Je suis contente en tout cas que tu ne regrettes pas ton choix car j'imagine qu'il te permet de suivre tes convictions. Et écrire, ça aussi, c'est un rêve que je poursuis!

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