lundi 14 décembre 2009

Cher employeur...

Voilà maintenant un an que vous avez bien voulu m'accueillir au sein de votre immense société, toujours avide de recrues diverses et variées.

Nous avons convenu que je rejoindrais le département "parcours entreprise", afin de m'offrir l'autonomie que je souhaitais - vous permettant, par là-même, de vous soulager d'un poids.

Vous m'avez offert les formations que je sollicitais, m'avez laissé vaquer comme bon me semblait.

Parfois, vous m'avez surprise, me demandant de repasser à votre bureau des ressources humaines pour renouveler mes voeux de mariage avec vous, alors même que je vous étais restée fidèle.

Vous m'avez fait sourire, avec vos drôles de courriers. Le dernier, surtout, que j'ai reçu FIN novembre, en rentrant de mon séjour rennais. Où vous me précisez que, si je ne me présente pas au café Clochette le 15 novembre, je serais radiée.

Sachant que c'est MOI qui ai sollicité ce stage.

Globalement, j'ai fini par penser que l'opinion publique était injuste envers vous. Quoi, vous n'étiez pas si illogique que ça, finalement. Il y avait de la cohérence dans votre démarche.

Certes, vous êtes injoignable. Ou vous proposez aimablement de nous rappeler, nous petits employés, sans jamais le faire - parce que, quand même, y'a d'autres priorités. Je vous entends d'avance: "pis, si vous n'êtes pas contents, vous pouvez aussi allonger la queue de votre agence."

Certes, vous vous moquez gentiment de nous au 3949, lorsque vous nous annoncez l'indisponibilité de vos agents, à l'issue d'une attente d'une dizaine de minutes - à 11 centimes d'euro toutes les soixante secondes.

Mais, enfin, je peux comprendre, tant vous êtes sollicité. La fusion de vos deux services, le placement et l'indemnisation, en un pôle unique, ne s'est pas faite sans mal, j'en ai bien conscience. Et je ne suis pas la plus à plaindre, eu égard à tous mes collègues qui touchent le SMIC ou, pire, le RSA.

Le problème est ailleurs: votre système est une perversion absolue et, malgré le surpeuplement de votre entreprise, vous encouragez vos employés à stagner, à n'afficher aucune ambition. A rester bien au chaud.

J'ai toujours cru que tout ça n'était que cliché. J'imaginais que certains de vos employés en contrat longue durée chez vous se complaisaient dans leur statut et je ne comprenais pas bien pourquoi, pour être sincère.

C'est vrai, ça, c'est terrible de rester au chômage, pas vrai?

Mais aujourd'hui, concrètement, j'ai perçu l'intérêt d'attendre que le temps passe, sans bouger d'un pouce.

Une preuve? On me propose un CDD court. Qui m'aiderait dans mon apprentissage de la cuisine, comme ces sachants le souhaitent. Tout cela est en ma faveur et me laisse à penser que je vais vous quitter provisoirement, sachant que vous me permettrez de gagner autant d'argent à travailler qu'à ne rien faire - moyennant un complément de salaire, histoire d'encourager la reprise d'un travail.

Tout faux. Si j'accepte ce CDD à temps plein, que je bosse vraiment, je vais perdre 30% de mes gains, au bas mot. Je ne parle même pas des frais de déplacement et l'organisation personnelle que cette nouvelle expérience va engendrer.

Vous me direz: "il faut savoir ce que vous voulez!" Oui, je veux travailler. Non, je ne veux pas être prise pour un pigeon. J'ai du mal à accepter l'idée d'être désavantagée parce que je quitte, provisoirement, votre placard. Je comprends juste qu'il vaut mieux ne pas prendre de risque si je veux toucher mes sous.

C'était donc vrai: il est parfois plus intéressant (financièrement parlant, bien sûr) de rester dans le troupeau à ne rien faire que de chercher à s'en détacher.

J'exagère? Une amie, qui a quitté son poste dans une société, en faveur d'un CDI dans une autre, s'est vue radier parce que, à l'issue de sa période d'essai, son nouvel employeur avait décidé de ne pas la conserver. Quand elle a voulu se réinscrire chez vous, on lui a signifié qu'elle avait laissé son ancien boulot et qu'en vertu de ça, elle n'avait plus droit de réintégrer votre entreprise.

En gros, tu joues, tu perds, tu pleures. C'est tout.

Voilà, cher employeur, ce que j'avais à vous dire aujourd'hui. Je ne veux pas généraliser, et j'ai même des amis qui travaillent pour vous, de l'autre côté de la barrière. Qui ont un vrai métier, confrontés chaque jour à des gens comme moi qui s'interrogent sur l'intérêt de retourner dans la vie active, quand elle promet des lendemains si chiches.

Je ne vous en veux pas, je n'ai aucune légitimité pour ce faire. Je tenais juste à vous le signaler, c'est tout.

Ce monde est absurde.

Bien à vous,

Une chômeuse naïve (novembre 2008- )

3 commentaires:

  1. C'est tellement vrai ! On marche sur la tête.
    Bravo, la Mouette, pour cette lettre ouverte à laquelle je ne peux qu'adhérer.

    Bises
    L'oiseau

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  2. Totalement vrai de chez vrai ! Mais bon, il faut bien se dire aussi que "pôle emploi" n'est pas là pour fournir du travail, mais pour gérer les inoccupés, en les leurrant d'espoirs vains, histoire d'éviter les révolutions. Et d'une. En outre, il faut que le "marché" de l'emploi soit avantageux pour les patrons, qui sinon délocaliseraient, ces pauvres chéris (ils n'est venu apparemment à l'idée d'aucun législateur de les empêcher de le faire), en tenant à leur disposition un troupeau tremblant de braves esclaves soumis, qui ont besoin de sous pour manger. On se demande où finissent ceux qu'elle évicte de ses rangs ou qui, comme moi, n'ont pas de "droits" (j'aime ne pas avoir de droits dans le pays qui a lancé ceux "de l'homme" !).
    Enfin bref, tout ça pour dire que replacer le populo traînant sur le pavé, il veut bien, "pôle emploi", mais si on pouvait faire en sorte que ça soit en précaire et à moindre coût pour les patrons (dont elle est le réservoir attitré), ça serait bien. Car pôle emploi n'a PAS été créé POUR les chômeurs, mais PAE & POUR les patrons, en fait, et voilà......
    et comme il faut rendre les masses dociles en les faisant trembler, il faut pouvoir les insécuriser en maintenant un nombre élevé de chômeurs ; d'où sans doute ces absurdités et dysfonctionnements de tous poils, où l'on finit par se rendre compte qu'on en bave moins à ne rien faire qu'en essayant de faire - jusqu'au découragement des individus, qui permet d'épurer la machine à broyer de son trop-plein (vous êtes radié, vous êtes radieux !), en faisant ainsi baisser les chiffres du non-emploi....
    Cynique, oui, je sais.

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  3. Cynique? Réaliste, je dirais. Voilà qui est bien résumé, Anne. Et qui explique combien aujourd'hui, on tient à son travail, aussi pénible soit-il, pour éviter cette situation de "non-droits" à laquelle tu es aujourd'hui confrontée. Mon amie, que je cite dans le post, a trouvé un autre boulot, alimentaire, qui n'a rien à voir avec ses compétences, mais au moins, elle va pouvoir prétendre à ces fameux droits, ensuite... En restant dans sa branche, elle n'aurait eu que ses yeux pour pleurer. Drôle de société.

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