dimanche 6 décembre 2009

La poudre aux yeux

Pff... Par quoi commencer? J'aurais pu titrer ce post - ou celui qui l'annonçait - "et de quatre". Vous raconter, jeudi et vendredi soir, les deux derniers rendez-vous avec de nouvelles banques.

J'ai eu besoin de digérer la chose, voyez-vous.

Et de quatre, donc, avec ma banque personnelle. Samedi matin, ma conseillère m'a expliqué le cheminement du refus. Mardi, son comité avait rejeté le dossier. "CAF insuffisante " (capacité d'auto-financement, en gros, je ne dégageais pas assez de bénéfices à leurs yeux pour rembourser les emprunts). Elle est revenue à la charge. "Vous comprenez, je l'ai porté aussi, ce projet", a-t-elle ajouté, désolée.

Rien à faire. Elle a trouvé les mots, je l'ai sentie réellement attristée. Elle m'a souhaité de trouver un établissement qui accepterait de m'accompagner. M'a demandé aussi ce que je comptais faire, après, si jamais... Si jamais je devais faire le deuil de ce rêve.

A vrai dire, je me sens partagée. J'ai plusieurs passions dans la vie. La cuisine en est une. L'écriture une autre. Lorsque je m'adonne à l'une ou l'autre de ces activités, j'ai le même sentiment de vertige, de perdre le fil du temps pour rentrer dans un univers où les gestes, les pensées m'apparaissent fluides.

Je ne vais pas m'en cacher, ces derniers jours ont été terriblement difficiles à vivres. Incapable de relativiser, révoltée par ce système dans lequel nous ne sommes que des jouets, triste, aussi - évidemment, j'ai traîné mon âme désoeuvrée en cherchant des solutions. J'ai beau aimer l'improvisation, j'ai besoin de me projeter un minimum.

Cela fait un an que je me suis lancée dans cette drôle d'aventure. Parfois, je me dis que j'aurais pu de la même façon simplement humer l'air du temps qui passe, me lever à pas d'heure et savourer un temps de repos inconsidéré- puisqu'après tout, au bout de ces mois qui ont passé, le résultat est le même: je suis toujours au chômage.

Plutôt que de triturer mon cerveau, j'aurais pu l'occuper à lire, voir, jouir du temps qui passe. Plutôt que de fatiguer mon corps en réduisant mon temps de sommeil, j'aurais pu l'activer sereinement avec des séances de sport à répétition.

Oui, mais voilà. Je ne regrette rien. Tout ça n'est pas vain. Tout a un sens.

En milieu de semaine, j'ai eu la tentation de tout rayer d'un bloc, de ranger mes cahiers, mes livres de recette et tout le barda qui occupe mon salon depuis trop longtemps. Tourner la page, songer à d'autres horizons, davantage à ma portée.

Écrire. Revenir vers mes premières amours.

J'ai pris les attaques reçues de façon personnelle, au départ, et puis j'ai compris que tout cela me dépassait. J'ai entendu des incohérences. Un banquier en cravate bleue qui m'assurait que "la conjoncture, madame, vous comprenez. Et puis l'emplacement, il est pas bon votre emplacement." Avant de me suggérer d'attendre que le local en question coule, qu'il soit proposé à pas cher par un administrateur judiciaire et là, il me financerait.

"Mais je ne comprends pas, vous n'aimez pas l'emplacement, vous me parlez de la crise, mais à un prix moindre, vous me financeriez?"

"Oui", qu'il m'a répondu avec aplomb. "Moins de risques, pour le coup."

Hum.

Un autre en cravate rose: "L'emplacement, j'aime bien, c'est le fait que vous ne soyez pas issue de la profession qui me gêne." Le costard gris: "Le fait que vous ne soyez pas issue de la profession ne me gêne pas; en revanche, l'emplacement..."

Et enfin, il y a eu ce dernier rendez-vous, vendredi. Je suis rentrée vers 16h30. Ressortie à 19h. Oui, on a peu causé. Le monsieur était lui aussi en chemise et cravate roses (mais c'est un code du milieu, ou quoi?). Il m'a laissé raconter mon projet (le découvrant simultanément puisqu'il n'avait pas eu la conscience professionnelle d'en prendre part avant, malgré mon envoi par mail. Hum) et j'ai vite senti la réponse négative. Contrairement à la veille, pourtant, je n'ai pas relâché la pression. J'ai eu envie de défendre mon bébé, une dernière fois.

Il a été franc. Il voulait bien constituer un dossier, mais il émettrait un avis négatif. "Vous n'êtes pas de la partie". La classique.

Au lieu d'envisager la valeur ajoutée que peut constituer l'oeil d'un reconverti, eux n'y voient qu'un risque supplémentaire, dans un contexte de crise blablabla.

J'en rigolais, de la crise, au début de mon aventure. Je trouvais qu'on lui mettait tout sur le dos. Au fil des mois, j'ai compris que tout ça n'était pas qu'un fantasme. C'est dur pour beaucoup, la classe moyenne s'appauvrit et les modes de vie changent.

Faut-il pour autant continuer de se recroqueviller sur ses acquis, faire l'autruche et attendre que ça passe? L'état a renfloué les banques à coup d'argent des contribuables, à taux 0. Pour relancer l'économie, paraît-il.

Comment peut-on encore croire à cette farce? Oui, comment ?

Casser l'élan de jeunes entrepreneurs, sur des "petits" projets (en termes financiers et humains), les réduire à leur état de demandeurs d'emploi fatalistes et résignés, est-ce ça, relancer l'économie? Suggérer à des créateurs d'aller chercher un poste salarié payé au SMIC et de ranger leurs rêves au placard, est-ce ça, anticiper la reprise ?

Je crois surtout que tous ces discours sur la création d'entreprise, c'est de la poudre aux yeux. "Créez votre emploi! Lancez-vous!" entend-on. "N'ayez plus peur! Il y a tout un tas de partenaires pour s'occuper de votre cas! Allez en discuter avec votre conseiller, vous verrez!"

De la poudre aux yeux, oui. Pendant ce temps-là, vous ne gonflez pas les rangs des demandeurs d'emploi. Vous ne sollicitez personne à Pôle Emploi, sinon lorsque vous prenez la liberté de les déranger pour un stage ou autre. Occupez les gens, ils ne s'ennuieront pas.

Le résultat, c'est qu'au bout d'un an, avec un business plan que huit banquiers ont estimé "solide et bien ficelé" (ah ah), des formations en gestion et création, des gens qui m'ont soutenue, une détermination accrue, un local trouvé pas trop cher - eu égard au marché - des premières expériences concluantes, des associés financiers et un apport personnel intéressant en conséquence, eh bien... j'en suis à la case départ.

Non, bien sûr, tout ça n'est pas vain. C'est juste ce léger goût amer, dont je ne parviens à me défaire, qui me déplaît.

6 commentaires:

  1. Puis-je émettre une suggestion idiote???
    Ecris un livre de cuisine...
    PP

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  2. Allez je me lance. cette fois je ne passerai pas par ton mail perso. En quittant Montpellier hier, ma dernière pensée fût pour toi. Pourquoi? Parce que je suis passée devant une jolie vitrine qui a accroché mon regard. Il se trouve que c'était un "atelier" où étaient dispensés des cours de cuisine. Mais bien sûr!!! OK c'est peut-être mort pour le local. Mais des cours de cuisine chez toi? Ou mieux des cours dispensés dans la cuisine de tes futures clientes qui inviteraient des copines pour une leçon collective (plus on est de fou et plus le tarif par personne est dégressif) avec 3 ou 4h de partage de savoir-faire pour concocter un repas (entrée-plat-dessert) sur un thème (repas de fête, repas libanais,etc...). Investissement de départ : un site internet pour te faire connaître, une jolie malette à roulettes avec un peu de matériel de cuisine pour faire "top crédibility". Après à toi de t'adapter à ce que ta cliente aura dans sa cuisine. C'est le jeu ma pauvre lucette!!! Qu'en penses-tu? Tout ça sous le statut d'auto-entrepreneur. Et parallèlement, tu reprends ton projet d'écriture (sous ton nom... ou pas) pour compléter ton emploi du temps et tes revenus. Elle est pas bonne mon idée ??? Allez tu réfléchis et on en re-cause. Qui tu sais rapport à la ville citée ci-dessus

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  3. J'aime bien la suggestion de Pomme.....
    Que te dire, la Mouette ? que c'est ce qu'ils recherchent, ton échec ? Que oui, c'est bien le but, maintenir les femmes (surtout les femmes !) dans la précarité pour développer une main d'oeuvre à bon marché casée dans les emplois dits "de service à la personne" ? (va nettoyer les fesses du quatrième âge à domicile, on en prévoit beaucoup dans les années qui viennent !) ?
    Tu es découragée après avoir tenté le parcours "normal", c'est logique. Le truc, c'est : tu le ranges, ou tu retournes dans ton créneau (faut bouffer !) ou bien tu explore des voies "hors balisage" ??? ou tu cherches un autre projet ?
    En tout cas c'est net, tu as besoin d'un petit mois de break, je dirais.
    Et bon, tu as compris que je suis révoltée, en rogne contre ces salopards, et que, l'économie, à mon sens, sous "la droite", se voit confisquée au profit de certains, accaparée - et je me dis que ce ne sont pas "ces gens-là" qui nous permettront de bouffer à notre faim (si je te dressais la liste de ce que j'ai dû renoncer à acheter au fil des dix ans passés tu serais folle !).
    La Mouette, je n'aime pas ce vent de défaite, là, tss, je crois surtout que ton projet les emm....parce que tu es UNE FEMME ! ça, en chef d'entreprise, y-z-aimment pas, et je te promets que c'est vrai !
    Ah, shit, tiens ! je trouve pas quoi te dire, ça me fait de la peine pour toi, et je me sens mais, impuissante et......ça me fout en vrille - bon sang, doit bien y avoir un AUTRE moyen !

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  4. Je suis sûr que ce goût amer disparaitra vite. Tu n'as pas fait tout ça pour rien et je suis certain que d'autres opportunités se présenteront. Ne reste pas sur un sentiment de défaite, ce n'en est pas une. Les idées que te donnent Pomme et Anonyme sont bonnes, tu pourrais commencer comme ça, par exemple.

    Bises, la Mouette.
    Thierry

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  5. Je peux te dire ce que je pense vraiment ? Que, crise ou pas crise, il va bien y avoir, au bout du compte, la banque qui va accepter. Il suffit d'une seule. La question à se poser, c'est comment on la trouve... Ne cède pas sur l'essentiel : ton rêve est là, ne cède pas là-dessus. Je t'embrasse

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  6. Merci à tous pour les idées et le soutien.

    J'ai exploré pas mal de solutions, à vrai dire, et le fait de ranger mon projet au placard me permettrait de passer à autre chose. Sauf que, rien à faire, je n'y arrive pas, pour l'instant, ce rêve continue d'hanter mes songes. Et pourtant, je me projette dans une hypothèse qui n'a rien à voir.
    Un livre de cuisine? Des ateliers? Mais, PP et copine, je n'ai pas la légitimité pour ça, n'étant pas "issue de la profession", vous vous rappelez. Je me mets des barrières? Non, on me les a imposées. Cela dit, en complément, ce genre d'activités n'est pas à écarter, il ne faut pas qu'elle me bouffe l'esprit, c'est tout.

    Anne, j'aimerais que tu aies tort, mais je crois qu'hélas, tu cernes bien la situation. Le mois de break, c'est bien cerné aussi, j'ai besoin de ça, je crois!

    L'oiseau, c'est une défaite, si, si, il faut être réaliste. Mais je n'ai pas encore rendu les armes.

    Anonyme-que-je-sais-qui-tu-es, merci pour ta première intervention ici, je t'appelle sur ton portable cette semaine...

    Pascale, tu sais de quoi tu parles, je ne peux ignorer ton avis et à vrai dire, ton expérience m'aide à tenir. Si ce n'est pas pour maintenant, ce sera pour plus tard...

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