dimanche 18 juillet 2021

Poupées de chiffon


 Mais qu'est-ce que je croyais? Que j'étais plus forte que les autres? Que moi, je pourrais passer outre? 

J'ai un peu les boules, ce soir. Le soleil est pourtant revenu, j'ai plus de 3 heures de sommeil à mon actif - luxe suprême, le sommeil, parole d'une quadra fatiguée. Quoi d'autre? Le business est reparti, mon fils est bachelier, la vie va, globalement (je n'ai pas de vie sociale, mais ça, ça n'a pas beaucoup changé) (merci l'entreprenariat) (me voilà repartie avec ma manie des parenthèses) (bref).

Alors, quoi? Rien. J'ai mal au bras. Eh oui, j'ai, comme tout le monde, bêlé un peu et j'ai eu droit à ma première piqûre, ce midi. Et cette douleur qui s'immisce dans mon corps au fil des minutes qui passent me rappelle ma naïveté, mon sentiment de surpuissance, peut-être, aussi, celle d'avoir joué les rebelles quand tout le monde me traitait d'irresponsable ou d'égoïste, à demi-mots ou franchement.

Double peine, j'ai eu le covid mais j'aurai droit à ma deuxième piquouse, dans trois semaines, "parce qu'il n'y a pas de preuve" m'a dit le médecin du centre, tout content. Eh oui, en février 2020, je n'ai pas signalé à la Sécu avoir eu le covid. A l'époque, on en était encore à la grippette, et si mon médecin a reconsidéré mon cas deux mois plus tard en confirmant mes doutes, je n'ai pas eu le test positif qui m'aurait libérée de cette injonction; injection, pardon.

Je me sens confuse. D'ailleurs, quelqu'un y voit-il clair, dans cette pénombre? Ce sentiment d'être à ce point manipulé, traité comme des marionnettes, d'être réduit à des poupées de chiffon, l'avez-vous? Je ne suis pas du genre à crier au complot, je ne compare pas notre sort à toutes les victimes de dictature, non. Simplement, je sens le glissement, je ne supporte pas cette hypocrisie. Tu peux ne pas te faire vacciner, oui, bien sûr, tu en as le droit. Par contre, si tu ne peux plus rien faire, si tu perds ton taf, si tu es cloîtré chez toi, ce sera ta décision, parce que tu sais, rien n'est obligatoire, il l'a dit, le monsieur que je ne veux même plus regarder. 

C'est quoi le but? Nous sortir de la pandémie? Sans doute, bien sûr, il faudrait être particulièrement cynique pour penser autre chose, non?

Nous diviser? Là, c'est bien joué, en tout cas. Jamais vu autant de leçons de morale en si peu de temps. Perso, j'ai eu envie de répondre "oui, papa, oui maman" chaque fois que l'on me parlait de mon "irresponsabilité".

A ceux qui ne voient qu'un refus égoïste, j'ai eu envie de leur rappeler leurs propres errements. Mais les juger, je n'en ai pas envie. Trop d'énergie perdue. Oui, la solidarité collective est primordiale pour s'en sortir, bien sûr. Mais elle est valable pour tous, les vaccinés aussi. Alors, pense à coller ton masque sur ton pif avant de me postillonner à la tronche et arrête la bise avec ton tissu tout souillé. Vous voyez? Je juge aussi. Je dois être un peu énervée, finalement.

Soyons clairs: personne n'est libre de son corps, au fond. Cette douleur, qui s'intensifie encore à l'instant où j'écris, me le rappelle. Oui, j'aurais pu passer outre, jouer la surpuissante et résister à la pression. Je n'aurai pas pu accueillir de clients en septembre. C'est un peu plus gênant que le reste, même si l'idée d'être privée de toute sortie ne m'enchantait pas. Mais enfin, je ne sacrifiais pas grand-chose, soyons honnête, tant mes loisirs se résument à peau de chagrin actuellement.

En revanche, être empêchée de travailler, alors que j'ai un peu sué sang et eau pour en arriver à ce stade de mon activité, là, non.

J'ai les boules, ce soir, oui. Cette douleur à l'épaule n'est pas dramatique, bien sûr. Elle est même insignifiante. Simplement, elle me rappelle ma vulnérabilité, ma docilité face à un ordre décrété, dans une civilisation dite démocratique. Si je me regardais dans le miroir, j'aurais l'impression de voir une poupée de chiffon. Toute molle, toute fragile.

Et ça, j'aime pas trop, à vrai dire.