vendredi 31 mars 2023

Haut les coeurs

 Allez, haut les coeurs.

C'est ça, que l'on dit souvent, pour se donner du courage, non?

Haut les coeurs.

Le mien, ce matin, est serré. Depuis l'annonce, lundi soir, de l'hospitalisation de mon père dans un état très préoccupant, il n'a cessé de se tendre plus encore. La première visite, mardi, a eu un effet assez dévastateur.

Depuis, avec ma mère, chaque jour, à chaque visite, c'est comme si on s'habituait à l'inhabituel.

Comme si les agitations de mon père faisaient partie d'un drôle de spectacle, qu'il ne maîtriserait lui-même pas tout à fait, sorte de pantin que la mort a décidé d'épargner.

Il se raconte beaucoup d'histoires, à défaut de nous en raconter. Hier, son regard s'est un peu plus ouvert, a éloigné ce voile vitreux apposé depuis lundi. Il a écarquillé les yeux en me voyant.

Oh", qu'il a dit.

Ce "Oh", il est devenu le signe d'un espoir, pour nous. Comme ce "Isabelle", qu'il a lâché un peu plus tard, entre deux inepties (à nos oreilles, parce que c'est sans doute parfaitement clair pour son esprit embrumé). Qu'il évoque ma soeur, c'était le deuxième bâton barré sur le chemin des retrouvailles.

Haut les coeurs, pour mieux oublier son agitation, le fait qu'il puisse ignorer son propre nom, sa colère et son impudeur nouvelle.

Haut les coeurs, mercredi, lorsque la maman d'une amie proche m'a annoncé que sa fille venait de faire une crise d'épilepsie et ne la reconnaissait pas.

"Ne pleure pas, Stéphanie" s'est-elle écriée au téléphone.

"Mon père vient de faire la même chose...

-Je sais, elle a eu le temps de me le dire..."

Haut les coeurs, quand mon père a insulté les infirmiers qui tentaient de lui faire une piqûre, dans un énervement qui a transformé ce papa poule en homme rouge et transi de colère. En un étranger, ce petit garçon dans ce corps de vieil homme énervé.

Haut les coeurs, ce matin, quand ma mère a quitté la maison pour aller à la clinique, se faire enlever son mélanome. Comme l'a justement noté ma soeur, c'est lunaire. On vit une situation lunaire, oui.

Papa, maman, vous avez tellement été présents ces derniers temps pour moi, et moi, c'est comme si je vous lâchais, seule dans ma maison.

Haut les coeurs, pour sécher ces larmes qui coulent spontanément.

Haut les coeurs, ils sont vivants.  

mercredi 29 mars 2023

Dubreuilh, Gilbert et Gilles (une Tamalou story)

En février, lorsque ma mère a appris la nouvelle, mon père, une fois passé le choc, a osé l'avouer: il était un peu jaloux de nous. Pensez donc, sa fille cadette décroche la tumeur cérébrale, son épouse un mélanome de Dubreuilh (aka, c'est cancéreux, donc plus de points sur l'échelle du Tamalou); sa fille aînée n'était pas tout à fait en reste, sortant d'une opération quoique bénigne, mais tout de même douloureuse.

Et lui, le roi des diagnostics médicaux sur Internet, il n'aurait pas un petit truc à déclarer? "C'est mon tour", maintenant, a-t-il proclamé, de façon à la fois péremptoire et puérile. Et quand je lui ai répondu qu'il n'était obligé à rien, et surtout pas à passer par la case "hôpital", il a osé un incroyable: "mais je suis jaloux, moi!"

Ce soir, quand j'y repense, ça me donne à la fois envie de rire et de pleurer.

Ce soir, mon père, ce tamalou, est enfermé dans son cerveau, dans son monde, dans cet entre-deux inaccessible.

Sans cesser de s'inquiéter pour les maux de sa famille, il a pu connaître à son tour quelques réjouissances en apprenant, quelques jours après l'annonce du mélanome de ma mère, qu'il était atteint d'une maladie génétique, le syndrome de Gilbert. Cela aurait dû lui suffire et je l'ai senti rassuré de l'avoir, sa petite saleté, laquelle, heureusement, restait bénigne. Mais mon père est parfois gourmand.

Ou peut-être le sort a-t-il testé son ironie.

Depuis ce lundi soir, mon père est dans ce lit d'hôpital. Malaise, AVC probable. Saura-t-il nous reconnaître? Pourrons-nous lui parler, l'entendre?

L'angoisse, cette furie qui déboule sans délicatesse et s'infiltre dans tous les pores de votre peau, ne m'a plus quittée depuis ce coup de fil de lundi soir. N'a plus quitté les autres femmes de sa vie, ma mère et ma sœur - ma nièce ayant été épargnée une nuit durant, à l'instar de mon fils.

C'est évidemment dans un état de fébrilité non masquée que je suis rentrée dans la chambre, en soins intensifs, aujourd'hui.

Mon père, ce héros, ce papa poule si fort, qui savait nous faire tourner la tête et nous faire rire aux éclats, est là, allongé, agité. Il nous fixe de ce regard bleu-vert perçant. Il ne nous reconnaît pas, je le crois et le crains bien. Il regarde ma mère, commence à lui parler dans un mélange de râles et de bouillie. C'est insupportable.

Mon père ce héros, devenu ce monsieur désorienté qui parle et parle encore, mais ne sort que des sons incompréhensibles, un coup en levant les yeux au ciel, un coup en les écarquillant. Est-ce qu'il voit mes pleurs? Même pas sûre. Sent-il notre émotion si palpable? Il semble si loin et parle en continu dans un charabia inimaginable.

Cette logorrhée stérile se trouve soudainement ponctuée de noms d'oiseaux...

Oui, mon père ce héros est en train d'insulter la terre entière, visiblement. Je vous épargne les quolibets mais ça sort de toutes parts et pour le coup, c'est parfaitement compréhensible.

Mon père ce héros s'est transformé en illustration de Gilles de la Tourette sous nos yeux sidérés.

Il ne peut dire des choses simples, répondre s'il a mal quelque part, mais jurer ou lâcher un "Connard!", ça, c'est bon, ça passe. Complètement surréaliste. Il se met à pleurer quand il réalise qu'il ne peut pas se lever, puis à rire, parce qu'il a visiblement adoré la scène imaginaire qui se joue sous ses yeux.

Risible et pathétique à la fois. Si troublant. Si horrible et si touchant.

 Il dit que c'est "n'importe quoi",  et que "ca sert à rien", répète "allez hop, on y va". Il veut absolument quitter son lit et multiplie les essais, toujours infructueux, pour s'évader de cette drôle de cage.

Sans comprendre que cette drôle de cage n'est pas cette chambre d'hôpital... mais son cerveau attaqué par ce sombre accident.

lundi 20 mars 2023

Les chemins sont à tout le monde (et tout le monde suit son chemin)


 L'air est un peu frais mais les bourgeons, comme les effluves fleuris, ne trompent pas. Le printemps est là. A titre personnel, c'est la troisième saison que je vois s'égrener sous mes yeux, dans une vie nouvellement ralentie. J'ai été arrêtée au début de l'automne, j'ai passé l'hiver au chaud et voilà que le printemps survient plus vite que je ne l'avais imaginé.

Hier, dimanche, j'ai mis le nez dehors pour courir - une fantaisie en ces temps d'asthénie exceptionnelle. Au delà de mon besoin de souffler, après un bon premier parcours, j'ai ressenti une envie folle de m'arrêter pour plonger mon regard dans cette Loire un peu obscure, mais au pouvoir hypnotisant intact. Pour respirer et pour savourer, aussi, les premiers signes du renouveau.

Un rien euphorique, j'ai marché, comme seule au monde au milieu des arbres fleurissants, jusqu'au bout de cette petite île, près de chez moi. Et là, j'ai réalisé, non sans effroi, à quel point je suis auto-centrée actuellement: j'ai senti en moi cette légère pointe de déception en découvrant un couple déjà sur ce bout de terre, que j'imaginais mien.

Comme si le sentiment que la nature nous octroie généreusement d'être unique, quand on la côtoie avec émerveillement, s'estompait au fur et à mesure que d'autres silhouettes que la sienne se dessinent sur ces chemins.

J'ai eu soudain un goût amer et, pour tout dire, un léger sentiment d'imposture et de prétention.

Oui, les chemins sont à tout le monde. Qui es-tu, toi, pour imaginer fouler seule ces sentiers accessibles à tous? Qui es-tu, toi, surtout, à asséner tes certitudes sur la nécessité de la lenteur ou le bonheur de puiser la grâce où elle se niche, selon ta propre expérience ? Je me sens tellement libérée de vivre un quotidien calme et serein que je me découvre parfois un peu prosélyte, à vouloir convaincre que ma vérité est forcément la bonne, qu'il faut vivre le temps présent et conjuguer son existence avec un lâcher-prise permanent. Cesser de râler et profiter de notre chance.

Vivre le temps présent? En soi, personne ne le contestera. Mais ceux pour qui la vie rime avec vitesse et adrénaline, ceux qui ont la tête dans le guidon - de façon volontaire ou non - ceux dont la charge mentale pèse plus lourd qu'un 49-3 sur une démocratie, pourraient y trouver à redire.

Après tout, libre à chacun de suivre la voie qui le comble. D'ailleurs, ce qui me convient aujourd'hui m'aurait sans doute horripilée autrefois. Et j'imagine comme ça doit être agaçant d'entendre ces injonctions au bonheur quand tu croules sous les emmerdes et les contraintes - ce que ma vie m'épargne actuellement, merci les bénéfices indirects de la tumeur cérébrale, ah ah ah.

Simplement, je crois avoir compris très récemment pourquoi j'avais besoin à ce point de courir, d'être toujours pressée et dans l'action. Il m'a paradoxalement fallu du temps pour ce faire. Aujourd'hui, je ressens un véritable rejet de cette vie de stress. Je ne veux plus jamais vivre ainsi (Je radote un peu, non?)

Pourtant, ça m'a convenu, des années durant. Je ne me sentais pas malheureuse. J'avais juste la sensation de louper des choses, ça oui, parfois même relevant de l'essentiel. Mais je n'étais pas prête à le reconnaître, à admettre que cette façon de vivre n'était que la parade que j'avais trouvée à une faille plus profonde.

Comment ai-je commencé à déchirer le voile sur mon propre fonctionnement? En écrivant. J'ai enfin mis ma flemme de côté (enfin, elle revient souvent, cette vilaine), pris mon ordinateur, ouvert un nouveau fichier pour coucher mes pensées.

Là encore, j'ai réalisé ma prétention. J'imaginais pouvoir écrire d'un trait, ou presque, mais la censure personnelle subsiste encore et je dois lever quelques blocages. Je sens les résistances, la difficulté à me concentrer longtemps sur la tâche, le besoin de solitude couplé à l'envie d'aller puiser mon inspiration dans la nature...

Mais j'écris. Doucement. Rien ne presse et je ne suis sûre de rien. Mais, en revenant sur mon passé via ce texte au titre encore provisoire, je m'offre, je l'espère, la promesse d'un renouveau souriant.

vendredi 10 mars 2023

A plat

L'aridité ne cache pas forcément la beauté...

Voilà un moment que je n'ai rien écrit ici. J'ai laissé passer les jours et découvert ce que c'était, un peu, la vie d'après, ce que l'on appelle "la convalescence", après les soins.

Comme je l'avais imaginé, il a fallu trouver de nouveaux repères dans ce quotidien désormais exempt de soins quotidiens. Une sorte de liberté retrouvée, dans l'emploi du temps, mais sans mode d'emploi.

Il a fallu inventer une routine, moi qui ai si souvent pu m'en prémunir. Se lever le matin, prendre de nouvelles habitudes, trouver des moteurs pour avancer, passer le cap et envisager la suite.

Envisager la suite? J'ai pris le pli de ne pas me projeter. Un jour après l'autre, pas après pas. Aucune urgence, juste l'envie de respirer, s'écouter, patienter. De savourer la solitude, plutôt que de la subir.

J'ai découvert ce besoin de rester dans sa bulle, se centrer sur soi, n'écouter que soi. 

J'ai découvert l'égoïsme, ce défaut qui me fait horreur. 

J'ai découvert le handicap invisible.

Je ne me suis jamais sentie aussi alignée et pourtant, mon corps me retient de profiter à 100% de ce que la vie me propose.

Je vis une dichotomie entre mon envie de croquer la vie - forcément amplifiée par la présence d'Abricotine dans ma caboche - et celle de me terrer, bien au calme et au chaud, chez moi.

Je dors douze heures par nuit, m'offre une sieste l'après-midi, refuse nombre de sorties et gère les priorités. Mon mamie rythme et moi, on se complait dans cette bulle. J'octroie à mon corps sa dose de sport quotidienne, histoire de lui rappeler qu'il est en vie. Il accepte mais me montre ses limites. J'ai de vrais moments à plat. Plus de carburant dans le moteur.

Etrange sensation pour la pile que j'étais.

Le handicap invisible, c'est ça. En apparence, tout va bien. On tient droit sur nos jambes, on peut même marcher, courir, pédaler; sourire, s'amuser, danser. Mais la batterie se vide rapidement et ne se recharge jamais complètement.

Alors, on se ménage, on apprend à vivre au ralenti, on renonce à la tentation de puiser dans des ressources imaginaires pour mieux apprécier le moment présent.

Loin de moi l'idée de partir dans une complainte stérile. Mon système immunitaire est à plat, j'ai des vertiges non stop, mais ça va, je veux dire, je vais retrouver de l'énergie peu à peu et savoure chaque jour ce temps qui m'est donné pour trouver la voie de l'après.

Qui a dit qu'on devait forcément s'agiter pour vivre?