dimanche 10 mai 2020

55 jours

Hier matin, je me suis réveillée avec le pouce droit rouge et douloureux. Vous me direz, c'est pas comme si j'étais droitière, si je reprenais le boulot la semaine prochaine, et que j'avais un travail manuel.

Le truc, c'est que si, justement. Donc, le panaris, t'es gentil, mais tu dégages.

Comme j'avais un peu peur, en vrai, je lui ai parlé gentiment. Je l'ai trempé dans son petit verre de dakin et puis je suis partie à la pharmacie. Ni une ni deux (enfin, façon de parler, hein : si l'on passe la désormais traditionnelle file d'attente dans un silence terrifiant et la progression lente jusqu'au comptoir), j'ai eu le traitement nécessaire. J'étais déjà prête à dégainer ma sans-contact quand le monsieur m'a expliqué l'origine des panaris et m'a demandé: "Vous prenez des vitamines? Faites une cure de Berocca parce que vous devez être fatiguée".

Fatiguée. Comment dire. Voilà deux mois que je ne travaille plus, que mon corps ramolli l'a bien senti, que je dors (mal, certes) et récupère un déficit de sommeil important à coups de levers tardifs, que je prends le temps de ranger toutes mes affaires, à un rythme qu'un escargot ne renierait pas... et je serais fatiguée?

Sur le moment, j'ai trouvé ça cocasse. Mais finalement, j'ai l'impression d'avoir travaillé plus que prévu durant cette drôle de période. Moi qui rêvais de vrai chilling depuis longtemps, à coups de séquence canapé-plaid-séries-cerveau à zéro activité, j'ai l'impression de ne pas en avoir eu le temps! N'est-ce pas un comble d'avoir vu défiler aussi vite ces jours censés être vidés de toute substance?

Au contraire, le confinement m'aura paru d'une grande richesse. Bon, riche dans les assiettes, si j'en crois le gras qui s'est collé sur mon auguste personne... Mais riche humainement parlant, aussi.

J'ai en mémoire tous ces regards souriants (si, si, un regard peut sourire) (quelques mois tous masqués et on en sera tous convaincu), ces moments d'émotion dans un hall vide de CHU, ces larmes coulant toutes seules à la vue de gestes solidaires forts. Ces dons, de part et d'autre, dons de matériel, dons de temps, dons de soi. Je me souviens déjà, comme si c'était loin et proche à la fois, de ces dimanches passés à pâtisser pour les autres, de ces journées pleines où l'on doit prendre son cahier pour noter les priorités et être sûre de ne rien oublier. Ces conversations à rallonge avec les gens que l'on aime, mais aussi avec des interlocuteurs habituellement moins diserts, tantôt le monsieur de l'assurance, tantôt la dame de la banque ou de la compta, que l'on sent au bout du fil fragilisés, eux aussi. Je pense aussi à tous ces moments passés devant des conférences d'inconnus, tantôt passionnants, tantôt soporifiques, mais avec cette même envie de partager, de transmettre et de se tenir les coudes (enfin, de loin, hein, pas touche, les gens).

55 jours de vie entre parenthèses. Ou presque.

Que nous restera-t-il de cette période, dans un an, dans cinq ans, à la fin de notre vie? Qu'avons-nous appris? Que nous étions mortels? Nous le savions déjà. Pourtant, nous continuons à faire les mêmes conneries.

Les images fortes de ces rues vides, de la gravité ambiante, le chant si puissant des oiseaux, tout ça va sans doute se dissiper, au fur et à mesure. J'aimerais en dire autant de la bouée qui s'est incrustée autour de ma taille, d'autant qu'elle ne me servira pas cet été - j'irai pas nager.

La quête du Graal
Je crois, au fond, qu'il est trop tôt pour refermer cette sorte de parenthèse dans nos vies. Nous aimerions tous, j'imagine, repartir, peut-être pas comme avant - merci l'éveil des consciences - mais vivre de nouveau notre liberté d'aller et venir (sans attestation!), de travailler d'exister, tout simplement en étant plus humains, plus sensibles, plus ouverts. Sans doute à l'instar des personnes qui reviennent d'un voyage initiatique et dont la vision du monde aurait été transformée.

 La différence, c'est que si ces personnes posent un nouveau regard sur le monde qu'elles connaissent, pour nous, ce monde - que nous connaissons pourtant tellement, croyons-nous - devient un peu inconnu. Qui saurait dire ce qui va se passer ensuite?

Ah si, y'a une chose dont on peut être quasi-sûr: les bouquins relatant le confinement vont pulluler. Les films, aussi, les chansons, tous les champs d'expression artistique étrangement bâillonnés par le covid et qui pourront de nouveau embellir (ou pas) nos vies. Je serai ravie de retrouver les amis, mais j'avoue le manque de ces à-côtés, les restaus, les sorties au ciné, ce qui me fait dire, une fois encore, que la parenthèse n'est pas totalement refermée. Et qui plus est avec cette limitation de nos déplacements, qui bride pas mal nos envies d'évasion.

Finalement, c'est drôle. J'ai envie de profiter de nouveau de ces plaisirs et en même temps, je me demande si cette effervescence revenue sera signe de joie. En attendant, je vais profiter de cette étrange accalmie pour enfourcher Arthur plus que de raison, histoire d'être au taquet quand nous pourrons simplement piquer une tête dans l'océan.

Piquer une tête dans l'océan? Oui, je sais, j'ai des rêves un peu fous.

mercredi 6 mai 2020

Balance ton monde

La journée a bien commencé: mon chat s'est approché à quelques millimètres de moi, alors que j'étais encore au lit et... m'a éternué au visage.

Le bonheur.

Rien à dire, ça présageait une bonne journée. J'ai eu du mal à me rendormir, alors, je me suis massé le ventre. Un poil plus plat qu'il y a peu. De quoi me rassurer, après les craintes ces dernières semaines. Oui, avant l'arrivée d'Arthur, mon fidèle allié, mon destrier, j'avais senti comme un corps extérieur s'immiscer sur mes hanches. Comme une bouée, vous voyez le genre.


L'un des pièges du confinement. On ne voit pas grand-chose? C'est pour éviter une tentation trop forte.

J'ai sérieusement pris peur. Parce que, la culotte de cheval, ça va, ça fait longtemps qu'elle est intégrée, mais euh, ce truc qui pousse, tout mou, tout moche, on est obligé?

Arthur m'aura donc permis de retrouver un semblant de dignité, de relever la tête, d'imaginer le futur, tonique, dynamique, ... hygiénique... Hygiéniste ?

Et là, ton moral retombe un peu.

Mais quel est donc ce monde auquel on se prépare, là? La semaine prochaine, retour au travail tel un laborantin de Wuhan, tout équipé pour rien choper et bosser. Mais pas comme si de rien n'était, clairement. Tout devient atrocement calculé. On va devoir anticiper nos moindres gestes et dépenser le PIB de la Suisse pour s'équiper, tant en masques, qu'en gel, qu'en charlottes, qu'en... emballages, ce truc dont je m'évertue à me débarrasser depuis le début de mon activité, et qui revient en force. Minimiser les risques de contamination, c'est ranger chaque plat préparé, chaque gâteau dans son emballage individuel. Le truc qui vaut un bras et qui, accessoirement, se jette. Et le zéro déchet, les gars? Tous nos efforts? On en fait quoi?

Bon, j'ai trouvé des alternatives, des contenants en bagasse eux-mêmes issus du recyclage, donc pas fabriqués exprès pour un usage unique. Ma conscience s'en porte-t-elle mieux? Peut-être. Mais c'est tout un monde qu'il faut revoir, avec cette impression désagréable de rétro-pédalage. Moi la relou de base qui prêtait ma vaisselle pour que les clients puissent l'utiliser et la ramener - propre, hein - me voilà à balancer du carton - recyclé, certes- à tout va, dans des sacs en kraft individuels, toujours, et tout ça pour quoi? Ben, pour pérenniser ma propre boîte.

C'est plutôt justifié, on dira. Pas le choix que de se réinventer, d'imaginer un nouveau modèle.

A la réflexion, ce confinement aura justement permis à mon imagination, trop souvent tarie par la fatigue, de s'exprimer de nouveau. Rien ne sera comme avant et nous devons tous rebondir. On nous demande d'inventer, créer, imaginer, explorer. Je me sens comme une enfant à qui on donnerait soudainement le champ libre, qui en serait à la fois très excitée et terrorisée.

Que faire de de cette nouvelle liberté? N'est-elle pas contradictoire avec toutes les contraintes visibles et certaines?

A nous d'inventer de nouvelles stratégies. Il y en a une, en tout cas, que j'ai développée depuis le début de ce confinement : chaque fois que je vais dans ma salle de bains, je ne m'approche pas de la balance. Parce que j'ai peur du verdict implacable? Qu'elle m'annonce quelques kilos pris? Meuh non, pensez donc, rien à voir...

Simplement, elle peut retenir sur elle des traces du coco, donc je la considère comme potentielle porteuse du virus. Il serait tout simplement dangereux et même irresponsable de monter dessus.

Y'a pas à dire : La mauvaise foi, c'est beau quand c'est bien fait.

lundi 4 mai 2020

Le cocon qui n'en était pas

Bon, comment ça, les gens? Toujours dans votre grotte? Parce que moi, oui, plus que jamais. Il faut dire que j'ai eu un bon garde-fou. Ceci:

Joli, non? Mais dangereux, surtout juste au-dessus de ta tête...


Oui, cette oeuvre d'art, que j'ai découverte par hasard, était un nid primaire abritant quelques larves. Le gros frelon que j'entendais à chacune de mes sorties exaltées à la poubelle s'est avéré asiatique. Une reine-mère qui n'avait rien trouvé de mieux que de s'installer sous le porche de ma porte d'entrée.

Nickel. Deux ou trois jours de plus et j'aurais dû escalader le grillage du jardin, derrière, juste pour sortir de chez moi.

En aurais-je été capable? Il est arrivé un moment, dans ce confinement, où je me suis sentie tellement bouffie et rouillée que l'idée même de soulever mes fesses de deux centimètres me fatiguait. Heureusement, j'ai rencontré Arthur.

Oui, Arthur, résistant, solide, fiable. Un bon compagnon, certes un rien volumineux mais au moins sait-il se rendre indispensable.

Arthur, celui qui m'a empêché de craquer. Qui a permis à mes nerfs de se relâcher.

Arthur, qui se fout bien de mon poids, qui l'accepte et m'encourage silencieusement.

Arthur...

J'suis sympa, j'ai laissé Germain, comme ça, ils peuvent se faire la causette tous les deux.


Voilà, un jour, j'ai craqué et à l'occasion d'une sortie professionnelle, j'ai poursuivi ma route quelques minutes pour Arthur, que l'on peut considérer comme un achat de première nécessité. Les gens qui me l'ont vendu étaient soulagés, ils avaient croulé sous les appels depuis la mise en ligne de leur annonce. A croire que l'on en est tous au même point...

Au même point? Je ne sais pas trop, je l'avoue. Tandis que je vois certaines personnes marcher normalement dans la rue ou enfourcher leur vélo "comme avant", moi, je crains les autres, plus que jamais. C'est fou, je n'aurais jamais cru ça de ma part. Je vous le disais, je ne quitte presque plus ma grotte, alors même que l'on entrevoit le bout du tunnel (provisoire? Ne l'espérons pas) et à chaque fois que j'essaie de me raisonner, un micro-événement me conforte dans l'idée que seule la maison - et Arthur - demeure secure.

Ce matin, j'ai voulu braver mes nouveaux blocages en allant chercher des légumes au magasin bio près de chez moi. De grandes allées, un dispositif mis en place réglo... Oui, mais c'est sans compter sur l'humain, cet être qui décidément ne saura se discipliner qu'à une condition que j'ignore moi-même. J'ai renoncé au paquet d'emmenthal (à 8 euros le paquet, mon compte en banque déjà vidé me dit merci, vous me direz) parce qu'au moment où j'allais le prendre dans son rayon désinfecté, une femme s'est approchée un peu trop près à mon goût. Hop, un pas de côté, on oublie le fromage (en plus, Arthur n'est pas très fan, m'a-t-il murmuré) et on se contente des légumes.

Il est temps d'imaginer le futur, la vie revenue, les jours sans Arthur, conscient qu'un jour, il partira sans doute au garage, avec Germain et toutes les lubies que j'ai eues.

Pour l'instant, reste cette illusion de cocon, où je ne me sens plus à l'état larvesque - merci l'instinct de survie - mais en mode "préparation pour le combat". Telle la Reine-mère, je prépare le terrain. Et j'espère bien que personne ne va venir exterminer ma petite demeure intérieure, parce que, les gars, ce serait dommage de tout flinguer.